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Turquie: le principal parti pro-kurde remplace son dirigeant incarcéré


Dimanche 11 février 2018 à 16h09

Ankara, 11 fév 2018 (AFP) — Le principal parti prokurde de Turquie a élu dimanche ses nouveaux chefs, pour remplacer notamment son charismatique leader incarcéré, Selahattin Demirtas, en vue d'élections nationales cruciales en 2019.

Les quelque 800 délégués du Parti démocratique des peuples (HDP), réunis en congrès dimanche à Ankara, ont élu Pervin Buldan et Sezai Temelli comme co-présidents: se présentant comme étant à l'avant-garde sur les questions féministes, le HDP place à la fois un homme et une femme aux postes à responsabilité.

M. Temelli, un ancien député de 54 ans, remplace ainsi Selahattin Demirtas, 44 ans, dont huit à la tête du parti.

M. Demirtas a été arrêté avec une dizaine d'autres députés du HDP en novembre 2016, alors que les purges lancées après le putsch manqué s'étendaient aux milieux prokurdes.

Accusé notamment de diriger une "organisation terroriste" et de "propagande terroriste", il risque jusqu'à 142 ans de prison et a annoncé début janvier ne pas souhaiter se présenter à sa propre succession.

Mme Buldan, 50 ans, députée et vice-présidente du groupe HDP au parlement, succède à Serpil Kemalbay, nommée en mai pour remplacer Figen Yüksekdag, elle-même incarcérée et déchue de son mandat de députée.

Le congrès de dimanche se tenait sous très haute sécurité, au moment où le HDP est le seul parti élu au parlement à s'opposer à l'offensive militaire menée par la Turquie dans l'enclave syrienne d'Afrine pour en déloger une milice kurde considérée comme une organisation terroriste par Ankara mais alliée des Etats-Unis dans la lutte contre le groupe Etat islamique (EI).

"La solution n'est pas la guerre, c'est la paix", a déclaré Mme Buldan lors d'un discours prononcé devant quelques milliers de militants. "La solution n'est pas de mourir ou de tuer, mais de vivre et de maintenir en vie".

Déjà fortement affecté par les purges qui ont suivi le putsch manqué de l'été 2016, le HDP affirme que plus de 350 de ses membres ont été arrêtés pour leur opposition à cette opération militaire lancée le 20 janvier.

Le président Recep Tayyip Erdogan avait en effet appelé à l'unité nationale autour de cette offensive, mettant en garde ceux qui s'y opposeraient.

Les autorités turques accusent le HDP d'être la vitrine politique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation classée "terroriste" par la Turquie, l'Union européenne et les Etats-Unis.

Mais le parti, troisième formation au Parlement, rejette ces allégations, affirmant être visé en raison de sa ferme opposition au président Erdogan.

Plusieurs portraits d'Abdullah Öcalan, le chef du PKK arrêté en 1999, sont néanmoins apparus sur un écran géant lors du Congrès.

- 'Figure importante' -

Depuis juillet 2015 et la rupture d'un fragile cessez-le-feu avec le PKK, 3.300 membres du HDP ont été incarcérés, selon le parti.

"Si (leur) réponse à la résistance est l'incarcération, ils peuvent construire mille prisons de plus, ils n'auront pas la place de tous nous y mettre", a déclaré M. Demirtas, dans une lettre envoyée de prison et lue devant le Congrès.

La désignation des dirigeants du parti est particulièrement importante à l'approche des élections législatives et présidentielle de novembre 2019.

Beaucoup doutent en effet que le HDP puisse réitérer la surprise de 2015, lorsqu'il avait raflé 80 sièges aux législatives de juin, privant ainsi le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir) de la majorité absolue. Lors de nouvelles élections convoquées pour novembre de la même année, le HDP a perdu 21 députés.

En plus de Mme Yüksekdag, six autres de ces députés élus en 2015 ont été déchus de leur mandat.

La percée initiale du HDP tient en grande partie à la personnalité de M. Demirtas, qui a transformé le parti en une formation de gauche moderne et progressiste, séduisant bien au-delà du seul électorat kurde.

Pour Hüseyin Güngör, présent dimanche, si les militants "n'oublieront jamais" M. Demirtas et Mme Yüksekdag, "le parti n'est pas lié à des personnes" et soutiendra ses nouveaux co-présidents.

"En 2019, nous serons soit gouvernés par le pouvoir d'un seul homme (Erdogan), soit nous pouvons en tant que membres et électeurs du HDP dire +stop+, comme nous l'avons fait lors des précédentes élections présidentielles", estime Ilknur Güç, elle aussi venue assister au Congrès.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.