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Turquie: le leader prokurde Demirtas jugé pour "terrorisme"


Jeudi 7 decembre 2017 à 12h38

Sincan (Turquie), 7 déc 2017 (AFP) — Un tribunal turc a commencé à juger jeudi le leader prokurde Selahattin Demirtas, l'un des plus farouches opposants du président Recep Tayyip Erdogan, accusé d'activités "terroristes" dans ce procès critiqué par les défenseurs des droits de l'Homme.

M. Demirtas, 44 ans, a été arrêté avec une dizaine d'autres députés du Parti démocratique des peuples (HDP) le 4 novembre 2016, alors que les purges lancées après le putsch manqué de juillet 2016 s'étendaient aux milieux pro-kurdes.

Le co-président du HDP est accusé notamment de diriger une "organisation terroriste", de "propagande terroriste" et d'"incitation à commettre des crimes". Il risque jusqu'à 142 ans de prison.

Le procès s'est ouvert en fin de matinée dans le complexe pénitentiaire de Sincan, près d'Ankara.

Les avocats de M. Demirtas ont contesté devant le tribunal les charges retenues contre leur client, affirmant qu'il ne s'était livré qu'à des activités politiques légales, selon une correspondante de l'AFP dans la salle d'audience.

Ils ont ainsi réclamé l'abandon des poursuites et la remise en liberté de M. Demirtas, mais le parquet a demandé son maintien en détention.

M. Demirtas n'était pas présent dans la salle d'audience, la cour ayant ordonné qu'il comparaisse par visioconférence depuis sa prison d'Edirne (nord-ouest), ce qu'il a refusé de faire, selon le juge.

Les autorités turques accusent le HDP d'être la vitrine politique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation classée "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux.

Mais le parti a toujours rejeté ces allégations et affirme être visé pour des raisons politiques, du fait de son opposition énergique au président Erdogan.

Plusieurs centaines de personnes s'étaient rassemblées devant le tribunal pour manifester leur soutien à M. Demirtas, selon une journaliste de l'AFP. "Le seul crime de Demirtas, c'est d'avoir été l'opposant d'Erdogan", a déclaré une manifestante.

Outre les avocats, une centaine de personnes assistaient à l'audience à laquelle des représentants de missions étrangères n'ont pas été autorisés à accéder, selon une source diplomatique.

Neuf députés du HDP sont actuellement en prison, selon les chiffres du parti. Cinq de ses 59 députés élus en novembre 2015 ont également été déchus de leur mandat, dont sa co-présidente Figen Yüksekdag, également incarcérée.

L'arrestation des députés du HDP a été rendue possible par la levée en mai 2016 de l'immunité parlementaire des députés faisant l'objet de poursuites judiciaires, une mesure largement décriée par le HDP qui y voyait une manoeuvre du gouvernement pour l'évincer.

- 'Saboter l'opposition' -

A la lumière de ces éléments, il est "difficile de ne pas conclure que le procès contre (Demirtas) n'est rien d'autre qu'une initiative politiquement motivée du gouvernement turc pour saboter l'opposition parlementaire", commente Hugh Williamson, de Human Rights Watch.

Le procès qui s'est ouvert jeudi recouvre 31 dossiers qui ont été fusionnés par les autorités judiciaires. C'est dans le cadre de ce procès que M. Demirtas a été placé en détention préventive il y a maintenant près de 400 jours.

Depuis son arrestation, M. Demirtas, à l'encontre duquel près de 100 procédures judiciaires ont été engagées, ne s'est encore jamais présenté devant un tribunal.

Le HDP a dénoncé en novembre une lettre qui aurait été envoyée par le ministère de la Justice à tous les tribunaux qui poursuivent actuellement M. Demirtas, les appelant à ne pas lui permettre de se présenter physiquement devant eux.

Par ailleurs, des individus non identifiés ont cambriolé dimanche dernier le bureau de l'un des avocats de M. Demirtas et ont volé un ordinateur contenant la défense qu'il avait préparée pour jeudi, selon la défense.

Avec M. Demirtas en prison, le HDP perd son principal atout au moment où le pays se prépare à d'importantes élections municipales, législatives et présidentielle en 2019: cet avocat de formation, parfois surnommé l'"Obama kurde", a transformé le parti en une formation de gauche moderne et progressiste, séduisant bien au-delà du seul électorat kurde.

Le HDP avait créé la surprise lors des élections législatives de juin 2015, raflant 80 sièges et privant ainsi le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir) de la majorité absolue. Mais lors de nouvelles élections convoquées pour novembre de la même année, le HDP a perdu 21 députés.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.