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Turquie: le couvre-feu levé, les habitants de Silopi retrouvent leur ville dévastée


Mardi 19 janvier 2016 à 18h20

Silopi (Turquie), 19 jan 2016 (AFP) — Le fracas des armes s'est arrêté, enfin. Après trente-six jours de couvre-feu, les habitants de la ville turque de Silopi (sud-est) ont découvert mardi avec stupeur les ravages causés par les combats qui ont opposé armée et rebelles kurdes.

Les larmes aux yeux, Feyruze Buluttekin a retrouvé sa maison en piteux état. Le balcon s'est effondré en plusieurs endroits, les fenêtres ont toutes volé en éclats sous les balles et le plancher a été éventré. Un obus, probablement.

Incrédule, elle raconte la guerre qui s'est déroulée sous ses fenêtres. "Pendant douze jours on est resté chez nous", dit la mère de famille, "le treizième jour, ma cousine a été tuée. Elle avait sept enfants, elle a été abattue devant sa porte".

"Nous avons gardé son corps pendant cinq jours à la maison, personne ne s'est occupée d'elle, et puis on a fini par l'emmener à la moquée", poursuit-elle. "Et puis les soldats nous ont évacués de force et nous ont installés dans une salle de sport de la ville".

Le 14 décembre, les forces spéciales de la police et l'armée sont entrées en nombre dans Silopi. Leur objectif: reprendre le contrôle de cette ville de 80.000 habitants où des centaines de partisans armés du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) s'étaient retranchés à l'abri de tranchées et de barricades, défiant les autorités.

Jour et nuit, les affrontements ont fait rage. Chars et artillerie lourde contre lance-roquettes et engins explosifs improvisés.

"Nous avions tellement peur du bruit des roquettes et des armes que nous ne pouvions même pas sortir de chez nous pour chercher de l'eau", se souvient Mehmet Simsek. "On avait mis du coton dans les oreilles des enfants de peur qu'elles n'explosent", ajoute-t-il, "je ne souhaite à personne de subir ça".

Les Mutlu, eux, n'ont pas eu d'autre choix que la fuite. Leur maison a été entièrement détruite par un tir. "Je ne sais pas qui nous a attaqué", lâche la mère de famille, Sariye, inconsolable devant ses ruines.

- 'Pire qu'à Kobané' -

Autour d'elle, c'est un spectacle de désolation. Facades ouvertes, murs criblés de balles, rues encombrées de gravats.

"C'est pire qu'à Kobané", lâche un voisin interloqué, en référence à la bataille acharnée qui a opposé fin 2014 les milices kurdes aux jihadistes du groupe Etat islamique (EI) de l'autre côté de la frontière, en Syrie.

Appuyés par des chars et des hélicoptères, les forces de sécurité ont fini par reprendre le contrôle de Silopi, rue après rue, maison après maison.

Un mois de combats ont fait de nombreuses victimes dans les deux camps. Plusieurs policiers et soldats ont perdu la vie dans les rues de Silopi. L'état-major de l'armée turque a affirmé de son côté avoir "neutralisé" 136 "terroristes".

Les civils n'ont pas été épargnés. Le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) a recensé plus de 70 tués depuis l'instauration du couvre-feu le mois dernier à Silopi, dans la ville voisine de Cizre et dans le district de Sur, à Diyarbakir.

Des morts que le HDP et la majorité de population attribuent aux forces de sécurité.

A Silopi, largement acquise à la cause du PKK, plus rares sont ceux qui pointent du doigt la responsabilité des jeunes partisans des rebelles.

"Ces jeunes étaient en train de casser les portes des maisons vides. J'ai essayé de les en empêcher (...) ils ont braqué leur fusil sur ma poitrine et m'ont dit: +on va te tuer!+", enrage encore Hamit Alkis.

En déplacement à Londres, le Premier ministre Ahmet Davutoglu s'est vanté mardi d'avoir rétabli l'ordre à Silopi. "Les opérations sont terminées dans une large mesure", a-t-il dit, "toutes les tranchées ont été rebouchées et toutes les barricades démantelées".

Mais la situation y reste très tendue. Seuls quelques rares commerces ont rouvert leurs rideau de fer et l'armée et la police reste omniprésente. Le couvre-feu a été levé pendant la journée, mais il reste en place la nuit. Jusqu'à nouvel ordre.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.