Page Précédente

Turquie: le chef kurde Selahattin Demirtas, rival numéro 1 du président Erdogan


Dimanche 1 novembre 2015 à 23h21

Istanbul, 1 nov 2015 (AFP) — Il est jeune, charismatique, moderne. A 42 ans, le chef du parti prokurde HDP Selahattin Demirtas a confirmé dimanche son statut de rival numéro 1 du président Recep Tayyip Erdogan, au terme d'une campagne âpre menée sous la menace jihadiste.

Il s'en est pourtant fallu d'un rien pour que l'ascension de cette "étoile filante" de la politique turque ne s'achève prématurément.

En à peine cinq mois, le score de son Parti démocratique des peuples (HDP) a reculé de trois points et a longtemps tutoyé dimanche soir le seuil fatidique des 10% des voix nécessaire pour être représenté au Parlement. Avec 10,7% des voix, il ne devrait plus y détenir que 59 sièges de députés.

Sous la conduite de "l'Obama kurde", comme il est parfois appelé pour son aisance devant les caméras, le HDP avait créé la sensation lors des législatives du 7 juin, envoyant 80 élus sur les bancs du parlement.

Mais ce succès, qui avait contribué à priver le parti islamo-conservateur de sa majorité absolue, en avait aussi fait la principale cible de l'homme fort du pays. Ce dernier, agacé, raille d'ailleurs volontiers le "beau gosse" du HDP.

Comparé aux chefs sans grande envergure des deux autres grands partis d'opposition, Selahattin Demirtas est désormais considéré par ses partisans comme le seul à pouvoir rivaliser avec M. Erdogan, véritable "mâle dominant" de la politique turque depuis son arrivée à la tête du gouvernement en 2003.

Totalement rompu aux codes de la "com" politique, il y a imposé une image de bon père de famille, petit-déjeunant avec sa femme et ses deux filles.

Le rédacteur en chef de l'édition anglaise du quotidien Hürriyet, Murat Yetkin, le décrit comme un "défenseur des droits de l'homme, toujours à la recherche d'un compromis, même sur les questions les plus clivantes".

Né dans la ville à majorité kurde d'Elazig (est), le coprésident du HDP est le deuxième d'une famille de sept enfants. Il raconte avoir pris conscience de son identité kurde lorsqu'il avait 15 ans, lors des funérailles d'un homme politique tué par les forces de sécurité à Diyarbakir, capitale kurde de Turquie.

- Complice des "terroristes" -

Avec un diplôme de droit en poche, Selahattin Demirtas a un temps travaillé comme avocat avant de se lancer en politique.

Elu en 2007 il s'est révélé sur la scène nationale lors de la présidentielle d'août 2014, où il a frôlé la barre des 10%.

Sous sa coprésidence, le HDP a largement élargi son audience au-delà de la seule communauté kurde de Turquie (15 millions de personnes) et s'est transformé en un parti moderne, à la fibre sociale et ouvert aux femmes et à toutes les minorités.

Mais sa tâche s'est considérablement compliquée depuis l'été. Fin juillet, les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont repris leur campagne d'attentats ciblés contre la police et l'armée après l'échec des discussions de paix ouvertes fin 2012.

M. Demirtas est désormais systématiquement accusé par Ankara d'être le "complice" des "terroristes" du PKK. Il fait même l'objet d'une enquête judiciaire qui pourrait lui valoir jusqu'à vingt-quatre ans de prison.

"Nous n'avons pas de lien organique avec le PKK", répond-il, gêné aux entournures par le ralliement de son propre frère à la guérilla. "Nous avons toujours maintenu que le PKK doit déposer les armes", a-t-il confié cette semaine à l'AFP, "mais la République de Turquie doit aussi cesser ses activités militaires contre le PKK".

Depuis cinq mois, le parti de M. Demirtas est également sous la menace directe des jihadistes. Après ceux de Diyarbakir (juin) et Suruç (juillet), ses militants ont été la cible, avec d'autres, de l'attentat suicide qui a visé la gare centrale d'Ankara le 10 octobre.

Dimanche soir, M. Demirtas a attribué sa contre-performance à ce danger, qui l'a contraint à annuler toutes les réunions publiques de sa campagne. "mais personne ne doit avoir peur", a-t-il ajouté, "nous continuerons à rester debout contre tous ceux qui menacent nos valeurs et notre liberté".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.