Page Précédente

Turquie: Erdogan relance la guerre contre les "complices" des "terroristes" kurdes


Mercredi 16 mars 2016 à 15h10

Ankara, 16 mars 2016 (AFP) — Le président turc Recep Tayyip Erdogan a relancé mercredi l'offensive contre ceux qu'il considère comme des complices du terrorisme, élus, journalistes ou intellectuels, trois jours après un attentat suicide meurtrier d'Ankara attribué aux rebelles kurdes.

Lors d'un discours devant des élus locaux, M. Erdogan a pressé le Parlement, où son parti dispose de la majorité absolue, de lever "rapidement" l'immunité de cinq députés du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) poursuivis pour "propagande" en faveur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Une nouvelle fois, il a plaidé pour un élargissement de la notion de "crime terroriste" à tous ceux qui les soutiennent ou en font l'apologie, alors que plusieurs universitaires et avocats ont été arrêtés pour ces motifs ces dernières vingt-quatre heures.

Les déclarations au vitriol de M. Erdogan interviennent à la veille d'un nouveau sommet à Bruxelles, où l'Union européenne (UE) est censée parapher un nouvel accord avec Ankara pour tenter d'enrayer le flux des migrants qui se pressent en Europe.

Plusieurs pays de l'UE ont exprimé des réticences à signer un texte avec les dirigeants turcs, accusés de dérive autoritaire.

La chancelière allemande Angela Merkel a rappelé mercredi qu'elle resterait ferme avec eux sur "la protection de la liberté de la presse ou le traitement des Kurdes".

Engagée depuis des mois, la guerre ouverte par M. Erdogan contre le HDP s'est durcie depuis l'attaque-suicide à la voiture piégée de dimanche soir, la deuxième en moins d'un mois dans la capitale turque, qui a fait 35 morts.

L'homme fort du pays considère ce parti, troisième force politique du pays depuis les législatives de novembre, comme la vitrine du PKK, ce que le HDP dément.

"Excusez-moi, mais je ne considère plus comme des acteurs politiques légitimes les membres d'un parti qui fonctionne comme une filiale de l'organisation terroriste (le Parti des travailleurs du Kurdistan, interdit)", a-t-il déclaré.

Son gouvernement a déposé devant le Parlement une demande de levée d'immunité de cinq élus du HDP, dont son chef emblématique Selahattin Demirtas, qui avaient réclamé une forme "d'autonomie" pour les 15 millions de Kurdes de Turquie.

M. Erdogan a pourfendu mercredi sans distinction tous les militants de la cause kurde.

- 'Terroristes avec un stylo' -

"Les terroristes ne sont pas seulement ceux qui brandissent des armes mais aussi ceux qui ont des stylos dans la main", a-t-il lancé sous les applaudissements, "que tu sois éditorialiste qui exprime une opinion ne me regarde pas (...) si ta plume est à la solde des terroristes, tu es contre moi, point final !"

Mis en difficulté par ceux qui lui reprochent de ne pas avoir empêché les attentats d'Ankara, le chef de l'Etat a annoncé un durcissement de la répression de la "propagande terroriste", un délit puni de 5 ans de prison qu'il veut élever au rang de crime.

Sans attendre cette réforme, la police turque a multiplié depuis dimanche dans tout le pays les arrestations dans les milieux prokurdes.

Mercredi à l'aube, huit avocats ont été interpellés à Istanbul, a annoncé leur collectif, à l'origine d'une plainte devant la Cour constitutionnelle dénonçant les violences exercées par l'armée lors de ses opérations contre le PKK.

La veille, la justice a ordonné l'incarcération jusqu'à leur procès de trois universitaires stambouliotes, signataires en janvier d'une "pétition pour la paix" dénonçant les "massacres" des forces de sécurité contre les civils dans le sud-est du pays.

Un professeur britannique de l'université Bilgi d'Istanbul, Chris Stephenson, a été remis en liberté mercredi après une nuit de garde à vue, a rapporté l'agence de presse Dogan. Il était accusé d'avoir distribué des tracts pour les fêtes du Nouvel an kurde le 21 mars.

L'ONG Human Rights Watch (HRW) a dénoncé la "campagne malveillante" de M. Erdogan pour "interdire, punir et faire taire toutes les critiques en Turquie".

En novembre, deux journalistes du quotidien d'opposition Cumhuriyet ont été incarcérés pour un article accusant Ankara d'avoir livré des armes aux rebelles islamistes syriens. Ils ont été relâchés depuis mais seront jugés à partir du 25 mars. Ils risquent la prison à vie.

Au début du mois, la justice turque a placé sous tutelle un autre quotidien d'opposition, Zaman, proche de l'ennemi-juré de M. Erdogan, l'imam Fethullah Gülen.

Ces mesures ont suscité de vives critiques parmi les alliés de la Turquie.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.