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Turquie: après douze jours de combats et de couvre-feu, Silvan panse ses plaies


Vendredi 20 novembre 2015 à 10h11

Silvan (Turquie), 20 nov 2015 (AFP) — Lorsque les combats ont éclaté à Silvan au début du mois, Sahin Dönmez a fui avec sa famille, sans se retourner. "Voilà", soupire-t-il au milieu de son salon calciné, "le fruit de quarante années de labeur parti en fumée".

Comme les Dönmez, de nombreux d'habitants du quartier de Mescit à Silvan, dans le sud-est à majorité kurde de la Turquie, ont tout perdu ou presque lors des récents combats qui y ont opposé jeunes Kurdes et forces de sécurité turques.

Pendant douze jours, les chars de l'armée et les tireurs d'élite de la police antiterroriste ont traqué les combattants de la Jeunesse patriotique révolutionnaire (YDG-H), proches du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans trois quartiers de la ville, soumis par les autorités locales à un strict couvre-feu.

Le bilan est lourd. Au moins 10 personnes tuées, selon le gouvernorat de la province de Diyarbakir: un officier de l'armée, deux policiers, deux civils et cinq combattants kurdes.

Dans les quartiers visés, les dégâts sont considérables. Nedret Yakan, 35 ans, contemple la vitrine édentée de son salon de coiffure, miroirs brisés, meubles fracassés. Son estimation des dégâts ? "Vingt ans de ma vie", dit-elle, "anéantis en quelques jours".

Un peu plus loin, ses voisins fouillent les décombres de leur vie passée. Ils en extirpent un canapé ou un lave-linge miraculé et le chargent sur un camion. Destination "la paix".

Dogan Celik a eu moins de chance. L'immeuble qui abritait le restaurant, l'épicerie et l'appartement dont il était propriétaire a été dévasté par des explosifs posés, selon lui, par les partisans du PKK. "La semaine dernière, j'étais riche. Aujourd'hui, je n'ai plus rien", se lamente-t-il.

Le mur de son salon est éventré, les canapés criblés de balles et recouverts de plâtre. Sur une table basse, des douilles par poignées. "Il n'y a rien à sauver".

Depuis l'été, les armes parlent à nouveau dans le sud-est de la Turquie. Après plus de deux ans d'un fragile cessez-le-feu, la reprise des combats a éteint les espoirs de résolution d'un conflit qui a fait plus de 40.000 morts depuis 1984.

- 'L'Etat est là' -

Aux traditionnelles attaques de convois militaires en zones rurales et montagneuses, les rebelles semblent cette fois privilégier le front urbain, dans l'espoir de susciter des soulèvements. Une stratégie peu payante jusqu'à présent, et qui met en danger les civils.

A Silvan, les combattants du YDG-H se sont retranchés chez Sahin Dönmez, accusent ses voisins. La façade constellée d'impacts de projectiles de tous calibres et la lourde porte métallique trouée comme du gruyère témoignent de la violence des combats.

Sahin exhibe les restes d'un engin incendiaire. "C'est ça qui a déclenché (l'incendie)", dit-il. De quel camp sont venus les tirs ? "On ne sait pas", poursuit l'habitant, "mais ça a commencé à brûler quand la police est entrée dans le quartier".

Derrière le désarroi de la population, largement acquise à la cause rebelle, la colère contre le gouvernement turc n'est jamais loin. Sur les murs des maisons, certains slogans sont vécus comme des provocations. "L'Etat est là", proclame l'un d'eux.

"Ces jeunes qui érigent des barricades sont en colère à cause de la politique violente du gouvernement", a justifié jeudi devant la presse la coprésidente du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), Figen Yüksekdag. "Il faut reprendre le processus de paix, c'est la seule façon de résoudre le problème".

Comme à Silvan, de nombreuses villes ont été le théâtre de cette nouvelle guérilla urbaine et soumise au couvre-feu. Cizre, Lice, Nusaybin, Diyarbakir...

Dans le quartier de Mescit, la vie a peu à peu repris. Des ouvriers s'activent à rétablir le réseau électrique, les femmes se pressent pour refaire le plein de vivres. Dans les rues, les blindés de la police surveillent le démantèlement des dernières barricades.

"Une nouvelle maison, une nouvelle vie. On va essayer", marmonne Sahin Dönmez. Nedret, elle, a envoyé ses enfants chez des proches à Istanbul. "Si on m'aide à réparer ma boutique, je pourrais reprendre mon travail", dit-elle. "Seule, je n'y arriverai pas, je ne peux pas lui donner vingt autres années de ma vie".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.