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La Turquie risque de s'enliser dans son offensive militaire en Syrie (experts)


Mardi 30 août 2016 à 15h38

Istanbul, 30 août 2016 (AFP) — L'offensive militaire de la Turquie en Syrie, engagée depuis près d'une semaine, comporte une part de risque d'enlisement, de pertes accrues et d'aggravation des tensions avec les Etats-Unis qui soutiennent les combattants kurdes, estiment des experts.

Ankara affirme que cette opération sans précédent vise à débarrasser la frontière à la fois du groupe jihadiste Etat islamique (EI) et des YPG (Unités de protection du peuple kurde), qu'elle considère comme une organisation "terroriste".

Mais depuis mercredi, date de la reprise facile à l'EI de la localité syrienne de Jarablos par des rebelles syriens soutenus par Ankara, les efforts de la Turquie se sont majoritairement portés sur les YPG.

Selon le vice Premier-ministre turc Numan Kurtulmus cette opération vise à empêcher les milices kurdes de former un corridor continu le long de la frontière, qui renforcerait les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en territoire turc.

Mais la défense d'une zone tampon entre les régions contrôlées par les Kurdes dans le nord de la Syrie pourrait précipiter la Turquie dans un piège, avertit Aykan Erdemir, chercheur à la Foundation for Defense of Democracies, un "think tank" basé à Washington. "A terme, la Syrie pourrait devenir un nouveau théâtre des combats entre la Turquie et le PKK, qui durent depuis 1984", explique-t-il à l'AFP.

- 'Pièces de musée' -

Lundi, la Turquie a prévenu qu'elle continuerait de cibler les Forces démocratiques syriennes (FDS, pro-Kurdes) tant qu'elles n'auraient pas reculé à l'est de l'Euphrate.

L'armée turque a annoncé avoir déjà chassé des "éléments terroristes" de 400 km2 de territoire dans le nord de la Syrie, mais le gouvernement a laissé entendre qu'elle pourrait pousser plus au sud, vers la ville de Minbej, reprise par les FDS à l'EI début août.

Une telle stratégie, qui entraînerait les forces turques à plus de 30 kilomètres à l'intérieur du territoire syrien, serait risquée, estime Aaron Stein, du Centre Rafic Hariri pour le Moyen-Orient.

La Turquie a essuyé sa première perte au sol le week-end dernier. Le lendemain, elle annonçait avoir tué 25 "terroristes" kurdes.

"Tout ce que (la Turquie) a fait jusqu'à présent a été facile, mais elle a déjà subi une perte", souligne M. Stein. "S'ils (la Turquie) veulent combattre (à Minbej), ils subiront d'autres pertes", prévient-il, soulignant la vétusté des chars turcs déployés sur le sol syrien, qu'il qualifie de "pièces de musée", vulnérables aux bombes.

- 'Escalade' -

Jusqu'à présent, l'opération reste relativement contenue, avec une cinquantaine de chars. Mais en gagnant du terrain, l'armée pourrait être contrainte de renforcer sa présence pour consolider l'avancée des rebelles syriens, bien plus nombreux.

"Ce que la Turquie ne veut pas est de voir ce territoire retomber aux mains de l'EI ou des Kurdes syriens", relève Sinan Ulgen, ancien diplomate turc et directeur du Centre d'études économiques et de relations internationales à Istanbul. M. Ulgen s'attend à ce que l'armée turque se serve de Jarablos comme base arrière, d'où elle pourrait procéder à des frappes chirurgicales.

Mais de nouveaux affrontements avec les YPG accroîtraient aussi les tensions avec Washington - allié d'Ankara - qui a vivement condamné les derniers combats après avoir soutenu l'opération à ses débuts.

Qualifiant les violences d'"inacceptables", le Pentagone a assuré que les forces kurdes avaient "largement" tenu leurs promesses de se retirer à l'est de l'Euphrate.

"On voit difficilement comment cela ne tournerait pas mal", a estimé dans un article le Conseil européen des relations internationales.

"L'ensemble du conflit pour les Kurdes a tourné autour de la question de établissement d'un quasi-Etat à eux à l'intérieur de la Syrie, et pour la Turquie il s'agit d'empêcher une telle issue".

En Turquie, l'opération pourrait également mener à une escalade dans les combats entre l'armée et le PKK, qui a tué des centaines de policiers et soldats turcs depuis qu'un cessez-le-feu de deux ans et demi a pris fin l'été dernier.

"Une confrontation plus soutenue avec les YPG aurait certainement un impact négatif (...) par rapport à la lutte en cours contre le PKK", conclut M. Ulgen.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.