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La Turquie honore les victimes de l'attentat d'Ankara, le gouvernement accusé


Dimanche 11 octobre 2015 à 14h06

Ankara, 11 oct 2015 (AFP) — Des milliers de personnes ont honoré dimanche à Ankara les victimes de l'attentat le plus meurtrier de l'histoire de la Turquie, qui a fait au moins 95 morts, et accusé le pouvoir de la montée des tensions à trois semaines des élections législatives.

Deux fortes explosions, attribuées par le gouvernement à des kamikazes, ont visé samedi matin près de la gare centrale de la capitale turque une manifestation de partis politiques, syndicats et ONG proches de la cause kurde qui dénonçaient la reprise des affrontements entre les forces de sécurité et les rebelles kurdes.

Le Premier ministre islamo-conservateur Ahmet Davutoglu a décrété trois jours de deuil national après cette attaque qui, en l'absence de revendication, suscite de nombreuses questions et alimente toutes les rumeurs.

"Une bombe dans nos coeurs", a titré dimanche le quotidien Hürriyet. "Profondément en colère, le public attend de savoir qui est derrière l'attaque".

En l'absence de revendication, M. Davutoglu a pointé du doigt trois mouvements susceptibles, selon lui, d'en être l'auteur: les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le groupe Etat islamique (EI) et le Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C) d'extrême gauche.

A l'appel des mouvements qui avaient convoqué la "marche pour la paix" de samedi, plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées dimanche matin sur une place d'Ankara proche du site de l'attentat pour dénoncé la violence.

"Moi je suis une mère et je suis inquiète pour mes enfants", a déclaré à l'AFP Zahide, une ouvrière, au milieu de la foule. "Je marche pour nos enfants, pour notre avenir. A chaque fois qu'il y a des morts, je meurs aussi un peu".

- 'Erdogan meurtrier' -

Les manifestants ont également conspué le président Recep Tayyip Erdogan et son gouvernement, accusés d'entretenir des liens avec le groupe jihadiste Etat islamique (EI) et de ne pas avoir, délibérément, assuré la sécurité du rassemblement prévu samedi.

"Erdogan meurtrier", "l'Etat rendra des comptes", ont-ils scandé dans une ambiance encore tendue par la présence d'imposants effectifs policiers.

"Nos coeurs saignent (...) mais nous n'allons pas agir par esprit de vengeance ou de haine", a lancé Selahattin Demirtas, chef de file du principal parti prokurde du pays, le Parti démocratique des peuples (HDP). "Nous attendons le 1er novembre (date du scrutin législatif)", a-t-il poursuivi, "alors nous commencerons à oeuvrer pour renverser le dictateur".

M. Demirtas a aussi réaffirmé à la tribune le bilan de 128 morts avancé par son parti.

Dans leur dernier bilan, les services du Premier ministre ont recensé 95 morts, et précisé que l'attentat avait fait un total de 507 blessés. 160 d'entre eux étaient toujours hospitalisés, dont 65 dans des unités de soins intensifs.

Cet attentat est le plus meurtrier jamais commis sur le sol turc.

"Il pourrait bien être le 11-Septembre de la Turquie", a jugé Soner Cagaptay, du Washington Institute en référence à la série d'attentats qui a visé les Etats-Unis en 2001. "Il s'est déroulé au coeur de la capitale turque, en face de la gare centrale, symbolique de l'Ankara d'Ataturk", le fondateur de la République turque.

- Frappes turques -

Très discret depuis l'attentat, M. Erdogan s'est contenté samedi de dénoncer une "attaque haineuse" et de promettre "la réponse la plus forte" contre ses auteurs.

Depuis plusieurs semaines, la tension est très vive entre le pouvoir et le HDP, exacerbée par les échéances électorales et les violents affrontements qui ont repris entre l'armée turque et les rebelles kurdes dans le sud-est à majorité kurde du pays.

M. Erdogan accuse le HDP d'être "complice" du PKK, qu'il s'est promis "d'anéantir". La presse favorable au régime a mis en cause les rebelles dans l'attentat de samedi.

Le 20 juillet dernier, une attaque très proche dans la forme de celle d'Ankara, attribuée à l'EI, avait tué 33 militants de la cause kurde à Suruç. Accusant le gouvernement de collaborer avec les jihadistes contre lui, le PKK avait alors repris ses attaques contre la police et l'armée, entraînant les représailles militaires de la Turquie.

Cette escalade de la violence a fait voler en éclat les discussions de paix engagées par Ankara avec les rebelles pour tenter de mettre un terme au conflit kurde, qui a fait quelque 40.000 morts depuis 1984.

Le PKK a toutefois annoncé samedi, quelques heures après l'attentat d'Ankara, la suspension de ses opérations avant les élections. "Nous ne ferons rien qui puisse empêcher une élection équitable", a-t-il indiqué dans une déclaration.

Malgré cette trêve unilatérale, l'armée turque a annoncé avoir bombardé, samedi et dimanche, des cibles du PKK et "neutralisé" 14 "terroristes".

Lors du scrutin législatif du 7 juin, l'AKP a perdu la majorité absolue qu'il détenait depuis treize ans au Parlement, notamment en raison du bon score réalisé par le HDP.

Après l'échec des négociations pour la formation d'un gouvernement de coalition, M. Erdogan a convoqué des élections anticipées pour le 1er novembre.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.