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Familles de jihadistes en Syrie: "un fardeau" pour les Kurdes (HRW)


Samedi 27 janvier 2018 à 12h28

Paris, 27 jan 2018 (AFP) — De retour de Syrie, Nadim Houry de l'ONG Human Rights Watch est formel: les Kurdes ne veulent pas juger chez eux les femmes de jihadistes étrangers, notamment françaises, qu'ils considèrent comme un "fardeau", dit-il dans un entretien à l'AFP.

Directeur du programme lutte antiterroriste à HRW, il a pu accéder à un camp en Syrie contrôlé par les forces kurdes où sont regroupés 400 femmes et enfants de jihadistes étrangers du groupe Etat islamique (EI).

"Aucune procédure judiciaire n'a été ouverte à leur encontre par les autorités locales qui n'ont pas l'intention d'entamer des poursuites et veulent que femmes et enfants repartent dans leur pays d'origine", assure Nadim Houry.

"Les Kurdes expliquent qu'ils ont bien assez à faire avec les jihadistes qu'ils ont combattus sur le terrain", ajoute-t-il. "Ces femmes sont un fardeau pour les Kurdes qui n'ont pas l'intention de les juger."

Le sort des femmes de jihadistes français arrêtées en Irak ou en Syrie est au coeur d'un très vif débat en France.

Le gouvernement souhaite qu'elles soient jugées sur place si les conditions d'"un procès équitable" sont réunies. Mais des avocats mettent en garde contre l'absence d'Etat de droit et réclament leur transfert en France en vue de leur jugement.

"Même avec de bonnes intentions, le système judiciaire est inadéquat et très faible dans les zones kurdes de Syrie", estime M. Houry. "Les Kurdes ont crée des tribunaux locaux où au moins 700 jihadistes syriens et irakiens ont déjà été jugés, mais leur loi antiterroriste ne prévoit ni la présence d'un avocat ni de procédure d'appel. Comment parler dans ce cas de respect des droits de la défense?"

- Le problème épineux des enfants -

Des centaines de tentes éparpillées dans le nord-est de la Syrie à quelques encablures de la frontière irakienne: le camp de Roj, que Nadim Houry a pu visiter, abrite la moitié des familles des combattants étrangers de l'EI aux mains des forces kurdes.

La plupart ont été capturées après la reprise à l'organisation jihadiste des villes de Raqqa en octobre et de Deir ez-Zor un mois plus tard. Au moins huit femmes et une vingtaine d'enfants français s'y trouvent actuellement, relate M. Houry.

Âgées d'une vingtaine ou d'une trentaine d'années, leurs parcours diffèrent: elles ont parfois quitté seules la France pour rejoindre les rangs de l'EI ou sont parties avec un proche, souvent leur mari. Très peu d'informations circulent sur ces derniers: "Certains combattent encore, d'autres sont décédés ou détenus dans des prisons loin du camp", affirme l'observateur qui a pu s'entretenir avec sept des Françaises. Toutes ont eu un ou plusieurs enfants sur place.

Manque de lait infantile, de médicaments, coupures d'électricité: elles vivent dans les conditions d'un camp de déplacés. Elles sont libres de circuler en son sein mais n'ont pas le droit d'en sortir. "Le camp n'est pas ultra-sécurisé, mais se trouve au milieu de nulle part. Si elles songeaient à s'enfuir, où iraient-elles?", souligne-t-il.

Selon lui, elles ont été interrogées par les forces kurdes et certaines par les services américains, mais aucune n'a indiqué avoir rencontré d'enquêteurs français.

"Elles ont la possibilité de rentrer périodiquement en contact avec leur famille en France", ajoute le cadre de HRW qui précise qu'"aucune preuve de violence physique n'a été relevée sur les Françaises alors que d'autres détenues ont affirmé avoir été battues au cours de leur interrogatoire par les autorités locales".

Les sept Françaises font l'objet de mandats d'arrêt ou de recherche en France où elles demandent à être rapatriées pour être jugées.

Pour leurs enfants, le problème est particulièrement épineux. "Il n'y a à Roj aucun suivi psychologique individualisé pour ces très jeunes mineurs qui ont vécu la guerre et sans doute vu des exactions", relève-t-il, déplorant "l'inertie de la France et de la communauté internationale".

Mardi, le procureur de Paris François Molins, chef du parquet antiterroriste, a appelé à une prise en charge "spécifique" des jeunes enfants de jihadistes afin d'éviter que certains ne deviennent "des bombes à retardement".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.