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Familles de jihadistes en Syrie: plainte contre les autorités françaises pour détention arbitraire


Mercredi 17 janvier 2018 à 15h53

Paris, 17 jan 2018 (AFP) — Des avocats de femmes et d'enfants de jihadistes français, récemment capturés par les forces kurdes en Syrie, ont déposé plainte pour "détention arbitraire" contre les autorités françaises, dénonçant le souhait de Paris de faire juger ses ressortissants sur place.

"Le Kurdistan syrien n'ayant aucune existence légale et ne disposant par là-même d'aucune institution souveraine, ces femmes et ces enfants sont tous détenus sans droit ni titre", affirment les avocats Marie Dosé, William Bourdon, Martin Pradel et Marc Bailly dans un communiqué.

La France fait "délibérément le choix de s'abstenir de toute intervention" et les "expose à des risques évidents notamment sur le plan sanitaire dans une zone de conflit", ajoutent-ils, demandant au parquet de Paris de diligenter une enquête préliminaire pour "détention arbitraire" et "abus d'autorité".

Une quarantaine de jihadistes français, autant d'hommes que de femmes, accompagnés d'une vingtaine d'enfants, ont été arrêtés en zone irako-syrienne, dont la grande majorité par les forces kurdes en Syrie, d'après une source proche du dossier. Les adultes font tous l'objet de poursuites judiciaires en France où ils sont visés par des mandats d'arrêt ou de recherche.

Leur retour est un sujet ultra-sensible pour Paris: les faire rentrer pose question pour la sécurité nationale mais les laisser juger en Syrie soulève des interrogations juridiques au vu du chaos dans le pays.

A plusieurs reprises, le gouvernement français a indiqué qu'il souhaitait que les femmes jihadistes françaises soient jugées, tout comme les hommes, par "les autorités locales" kurdes si les conditions le permettent.

"Soit les règles du procès équitable sont respectées sur place, soit elles ne le sont pas (...) et nous avons des conventions internationales sur lesquelles nous sommes très sourcilleux et donc nous les prendrons en charge en France", a assuré mercredi la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, sur France inter.

- Peu de chance d'aboutir -

Les plaintes déposées par les avocats ont peu de chance d'aboutir à l'ouverture d'une enquête, d'après une source proche du dossier.

"Je n'ai aucune illusion: le parquet va faire en sorte que les politiques définies au plus haut niveau sur ce sujet très sensible ne soient pas poursuivies au niveau pénal", a relevé Martin Pradel.

Début janvier, Emilie König, propagandiste et recruteuse du groupe Etat islamique (EI), détenue dans un camp kurde en Syrie avec son fils de 4 ans et ses jumelles d'un an, a fait savoir qu'elle se tenait "à la disposition de la justice française".

Une jeune femme de 22 ans a de son côté demandé à Emmanuel Macron son transfert en France avec ses deux enfants de 10 mois et deux ans pour "répondre de ses actes".

Le 10 janvier, le directeur de cabinet du président de la République, Patrick Strzoda, a adressé à l'avocate de la jeune femme, Marie Dosé, une fin de non-recevoir.

"Il appartient d'abord aux autorités locales de se prononcer dans le respect des principes fondamentaux du droit sur la responsabilité personnelle de votre cliente", partie en Syrie à l'été 2014 avec son frère, écrit-il dans ce courrier dont l'AFP a eu connaissance.

"Si ces autorités renonçaient à exercer des poursuites (...) notre pays prendrait des initiatives adaptées à sa situation" au vu du mandat de recherche émis par la France à son encontre en 2016, ajoute-t-il, sans précision sur les mesures envisagées dans ce cas.

Du côté des familles de jihadistes, certaines se sentent "abandonnées".

Sollicité par l'AFP, Amine Elbahi, dont la soeur est décédée en Syrie, regrette que le gouvernement "refuse jusqu'ici de se prononcer clairement sur le rapatriement des femmes et des enfants par peur de l'opinion publique".

"Les femmes ne combattaient pas. Leur seul tort est de s'être fait avoir, d'être parties et une fois là-bas elles ne pouvaient plus revenir", a estimé de son côté une jeune fille sous couvert d'anonymat qui n'a plus de nouvelles de sa soeur.

Une vision démentie par les autorités. "Il faut se départir de toute naïveté", avait ainsi averti en novembre le procureur de Paris, François Molins, affirmant que "les appels au jihad s'adressent aussi aux femmes et aux mineurs".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.