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En Turquie, le président Erdogan accusé au lendemain de l'attentat d'Ankara


Dimanche 11 octobre 2015 à 19h19

Ankara, 11 oct 2015 (AFP) — Des milliers de personnes ont défilé dimanche à Ankara pour conspuer le président Recep Tayyip Erdogan au lendemain de l'attentat le plus meurtrier de l'histoire de la Turquie, qui a fait au moins 95 morts à trois semaines des élections législatives.

Deux fortes explosions, attribuées par le gouvernement à des kamikazes, ont visé samedi matin près de la gare centrale de la capitale turque une manifestation de partis politiques, syndicats et ONG proches de la cause kurde qui dénonçaient la reprise des affrontements entre les forces de sécurité et les rebelles kurdes.

Le Premier ministre islamo-conservateur Ahmet Davutoglu a décrété trois jours de deuil national après cette attaque qui, en l'absence de revendication, suscite de nombreuses tensions et alimente la colère des victimes.

A l'appel des mouvements qui avaient convoqué la "marche pour la paix" de samedi, plus de 10.000 manifestants se sont retrouvées dimanche matin sur une place d'Ankara proche du site de l'attentat pour dénoncer la violence.

"Je suis une mère et je suis inquiète pour mes enfants", a déclaré à l'AFP Zahide, une ouvrière, un oeillet rouge au poing. "Je marche pour nos enfants, pour notre avenir. A chaque fois qu'il y a des morts, je meurs aussi un peu. Que Dieu punisse Tayyip" (ndlr : le président turc).

La foule a largement conspué M. Erdogan et son gouvernement, accusés de ne pas avoir, délibérément, assuré la sécurité du rassemblement prévu samedi. "Erdogan meurtrier", "l'Etat rendra des comptes", ont-ils scandé, encerclés par les forces de l'ordre.

"Nos coeurs saignent (...) mais nous n'allons pas agir par esprit de vengeance ou de haine", a lancé Selahattin Demirtas, le chef de file du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde). "Nous attendons le 1er novembre (date du scrutin législatif)", a-t-il poursuivi, "alors nous commencerons à oeuvrer pour renverser le dictateur".

- '11 Septembre turc' -

Depuis plusieurs semaines, la tension est très vive entre le pouvoir et le HDP, exacerbée par les échéances électorales et les violents affrontements qui ont repris entre l'armée turque et les rebelles kurdes dans le sud-est à majorité kurde du pays.

Dans la perspective des législatives anticipées du 1er novembre, M. Erdogan dénonce avec virulence le parti prokurde, accusé de "complicité" avec les "terroristes" du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Dimanche encore, la presse qui lui est favorable a mis en cause les rebelles dans l'attentat de samedi.

En retour, l'opposition l'accuse de mettre de l'huile sur le feu du conflit kurde, avec l'espoir d'attirer à lui l'électorat nationaliste.

Le 7 juin, le parti de l'homme fort du pays a perdu la majorité absolue qu'il détenait depuis treize ans, notamment en raison du bon score réalisé par le HDP. Il espère inverser ces résultats lors des législatives anticipées du novembre.

L'attentat d'Ankara est le plus meurtrier jamais commis sur le sol turc.

"Il pourrait bien être le 11-Septembre de la Turquie", a jugé Soner Cagaptay, du Washington Institute, en référence à la série d'attentats qui a visé les Etats-Unis en 2001.

Dans leur dernier bilan, les services du Premier ministre ont recensé 95 morts, et précisé que l'attentat avait fait un total de 507 blessés. 160 d'entre eux étaient toujours hospitalisés, dont 65 dans des unités de soins intensifs.

Le HDP de M. Demirtas affirme lui que 128 personnes y ont perdu la vie.

En l'absence de revendication, M. Davutoglu a pointé du doigt trois mouvements susceptibles, selon lui, d'en être à l'origine : les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le groupe Etat islamique (EI) et le Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C) d'extrême gauche.

- Piste jihadiste -

Le gouvernement est resté très discret dimanche et n'a fait aucun commentaire officiel sur l'avancée de l'enquête.

La chaîne d'information NTV a affirmé que les investigations se concentraient sur la piste jihadiste. Selon les quotidiens Hürriyet et Habertürk, un des deux kamikazes de samedi pourrait être le frère de celui qui a perpétré l'attentat de Suruç en juillet dernier.

Le 20 juillet dernier, cette attaque, très proche dans la forme de celle d'Ankara, avait tué 33 militants de la cause kurde dans cette ville proche de la frontière syrienne. Ankara l'avait alors attribuée au groupe EI.

Accusant le gouvernement de collaborer avec les jihadistes contre lui, le PKK avait alors repris ses attaques contre la police et l'armée, entraînant en représailles une campagne de bombardement massive de l'armée turque contre ses bases arrière du nord de l'Irak.

Cette escalade de la violence a fait voler en éclat les discussions de paix engagées par Ankara avec les rebelles pour tenter de mettre un terme au conflit kurde, qui a fait quelque 40.000 morts depuis 1984.

Le PKK a toutefois annoncé samedi, quelques heures après l'attentat d'Ankara, la suspension de ses opérations avant les élections. "Nous ne ferons rien qui puisse empêcher une élection équitable", a-t-il indiqué dans une déclaration.

Malgré cette trêve, l'armée turque a annoncé avoir bombardé, samedi et dimanche, des cibles du PKK et "neutralisé" 14 "terroristes". Et deux gendarmes ont été tués lors d'un accrochage avec des rebelles dans la province d'Erzurum (nord-est).

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.