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En Turquie, la crainte d'une extension meurtrière du conflit kurde


Mardi 15 mars 2016 à 18h42

Ankara, 15 mars 2016 (AFP) — L'attentat-suicide d'Ankara dimanche, le deuxième en moins d'un mois, nourrit la crainte d'une extension meurtrière du conflit kurde dans les villes de Turquie, un pays déjà sous la menace jihadiste et dont l'appareil sécuritaire a été affaibli par des purges politiques.

Dimanche soir, un véhicule bourré d'explosifs a foncé sur un arrêt de bus de la place Kizilay, l'une des plus fréquentées de la capitale turque, non loin des ministères et du Parlement, faisant au moins 35 morts et plus de 120 blessés dans la foule.

L'attaque n'a pas été revendiquée mais, selon le président Recep Tayyip Erdogan et son Premier ministre Ahmet Davutoglu, elle porte sans aucun doute la marque des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit).

L'une de ses auteurs a été identifiée comme une étudiante proche de ce mouvement, qui mène depuis 1984 sur le sol turc une guérilla qui s'est soldée par 40.000 victimes. Le ministère de l'Intérieur a précisé mardi qu'elle avait été entraînée par les combattants kurdes de Syrie, très proches de leurs frères d'armes turcs.

Trois semaines après un attentat similaire, revendiqué par un groupe dissident du PKK, cette opération constitue une incontestable escalade depuis la reprise du conflit kurde.

"Si sa paternité est confirmée (...) cette attaque traduit un changement significatif de la tactique du PKK, qui ne visait jusque-là que des cibles militaires", juge Otso Iho, expert au centre d'études IHS Jane's.

Depuis juillet, des combats meurtriers ont repris entre les forces de sécurité turques et le PKK, sonnant le glas des pourparlers de paix engagés fin 2012.

En plus des attaques visant soldats et policiers, le PKK a innové en ordonnant dans de nombreuses villes du sud-est à majorité kurde des "soulèvements", répétant les méthodes victorieuses de ses "frères" kurdes de Syrie face aux jihadistes.

Mais ces défis à l'autorité de l'Etat turc ont été réprimés par des opérations militaires de grande envergure qui ont causé de lourdes pertes, y compris chez les civils.

"Le +soulèvement+ n'a pas marché", note Can Acun, analyste à la Fondation turque pour les recherches politiques, économiques et sociales (Seta). "Frustré, le PKK semble avoir opté pour des actes retentissants pour créer le chaos".

- 'Folie' -

Dans un entretien au Times britannique accordé avant l'attentat d'Ankara, le chef du PKK Cemil Bayik a confirmé ce durcissement. "Il y aura des combats partout", a-t-il dit.

Cette stratégie s'annonce particulièrement risquée, estiment les analystes.

"Pour le PKK, ce serait de la folie que de viser des civils en Turquie", note Max Abrahms, de la Northeastern University de Boston (Etats-Unis). "Cela ne ferait que renforcer la main d'Erdogan contre les Kurdes et éroder le soutien international à leur cause".

Le président a contribué au triomphe de son parti aux législatives du 1er novembre en promettant "l'éradication" du PKK et en se posant en rempart contre le "chaos".

Mais quatre mois plus tard, son bilan sécuritaire reste très mitigé. En plus de la contagion du conflit kurde, la Turquie reste sous la menace permanente des jihadistes. Depuis juin, les autorités leur ont attribué quatre attentats, dont le plus meurtrier, en octobre, a fait 103 victimes devant la gare d'Ankara.

L'opposition a mis en cause les ratés du gouvernement et sa politique syrienne, longtemps complaisante à l'endroit des rebelles hostiles au régime de Damas les plus radicaux et résolument hostile aux combattants kurdes.

"Le gouvernement doit plus que jamais changer ses priorités pour qu'elles renforcent la sécurité de la Turquie, pas qu'elles la menace", a plaidé mardi l'éditorialiste Semih Idiz dans l'édition en langue anglaise du quotidien Hürriyet.

"Les terroristes ne gagneront pas", a promis lundi le président. Mais les analystes doutent de l'efficacité des services de sécurité, dont la hiérarchie a été décapitée par les purges qui ont visé les proches de l'imam Fethullah Gülen, l'ennemi de M. Erdogan.

"Ce déficit d'expertise peut être considéré comme la raison des échecs de services de sécurité et de renseignement turcs (...) ils semblent plus servir à surveiller et opprimer les adversaires du régime qu'à lutter contre le terrorisme", dénonce Aykan Erdemir, de la Fondation pour la défense des démocraties.

"Alors que le conflit kurde s'étend à l'ouest de la Turquie, le gouvernement pourrait être tenté par des confrontations armées en Syrie et en Irak", s'inquiète M. Erdemir.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.