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En Syrie, un cinéma itinérant émerveille les enfants des zones kurdes


Mardi 20 août 2019 à 17h22

Sanjak Saadoun (Syrie), 20 août 2019 (AFP) — Devant un écran installé dans la cour de leur école, des enfants kurdes s'esclaffent en découvrant les pitreries en noir et blanc de Charlie Chaplin grâce à un cinéma itinérant qui parcourt depuis quelques semaines le nord-est de la Syrie.

Munis d'un projecteur, d'un écran, d'un ordinateur et de haut-parleurs, le réalisateur Chiro Hindi et son équipe sillonnent la région pour "répandre" le 7e art.

"Notre objectif d'ici un an est de faire en sorte que chaque enfant dans le Rojava ait vu un film de cinéma", affirme le cinéaste kurde de 39 ans, utilisant le nom donné à la région semi-autonome instaurée par sa communauté à la faveur du conflit syrien.

Si cette région est aujourd'hui relativement épargnée par la guerre, elle a payé par le passé un lourd tribut à ce conflit, qui a fait plus de 370.000 morts depuis 2011.

Avant de lancer son projet, Chiro Hindi a réalisé "Histoires de cités sinistrées", un film qui relate les destructions de villes kurdes, dont Kobané, où ont eu lieu les premiers combats entre les forces kurdes et le groupe jihadiste Etat islamique (EI).

Début 2015, les Kurdes ont repris Kobané et, il y a près de six mois, une alliance de combattants kurdes et arabes, aidée d'une coalition internationale menée par Washington, a chassé les jihadistes du dernier pan de leur "califat" autoproclamé en Syrie.

- "Sensibiliser au cinéma international" -

Dans le village de Sanjak Saadoun, les enfants attendaient de pied ferme le début de "The Kid", réalisé par Chaplin en 1921, la plupart n'ayant jamais vu de film au cinéma.

Assis dans la cour près du terrain de basketball sur des chaises en plastique dépareillées, ou debout, faute de place, certains échangent avec le réalisateur.

"Nous avons déjà projeté des films dans des villes, nous voulions que les enfants des villages puissent en profiter" eux aussi, explique à l'AFP Chiro Hindi, cheveux frisés et moustache encore plus fournie que celle de l'idole du cinéma muet.

Tandis que le générique commence, les enfants s'émerveillent et leurs yeux s'écarquillent. Leurs rires entrecoupent les scènes muettes du film, surtout au moment où le comédien donne à manger à l'enfant à l'aide d'un arrosoir.

L'idée d'un cinéma ambulant a émergé après plusieurs tentatives vaines de sédentariser le projet dans un centre culturel ou une salle de projection.

Quant au choix de Charlie Chaplin, il a été motivé par le désir de faire connaitre l'histoire du cinéma à des enfants qui ont grandi pendant la guerre. Mais l'équipe projette aussi des films français ou encore des dessins animés, doublés en kurde.

"Nous voulons les sensibiliser au cinéma international, depuis sa création", explique M. Hindi.

Longtemps absent des villes et villages du nord-est syrien, même avant le déclenchement de la guerre, le cinéma reste quasi inexistant aujourd'hui dans les zones kurdes, la plupart des salles s'étant transformées en lieux de réception ou de concerts.

- Raviver des "souvenirs" -

La mémoire collective kurde reste par ailleurs marquée par un incendie, déclenché en 1960 dans un cinéma de la ville syrienne d'Amouda, non loin de la frontière turque, qui accueillait des écoliers. Plus de 280 enfants avaient alors péri.

"Durant mon enfance, le cinéma représentait cet endroit sombre", se souvient M. Hindi. Avec ce projet "j'ai voulu remplacer cette obscurité par des couleurs."

Dans le village de Chagher Bazar près d'Amouda, il projette le film d'animation "Spirit, l'étalon des plaines", sorti en 2002, qui raconte l'histoire d'un cheval durant la conquête de l'Ouest aux Etats-Unis au XIXe siècle.

Dans la cour de l'école, les enfants s'empressent de s'asseoir.

"Je veux que mes enfants découvrent le cinéma", affirme d'une voix timide Amal Ibrahim, entourée de Hélène, six ans, et Kadar, sept ans. "Ils attendaient impatiemment de venir ici. Ils n'ont jamais été au cinéma", ajoute-t-elle.

Quelques hommes du village n'ont pas hésité à rejoindre le public juvénile. Certains, comme Adnane Jouli, 56 ans, n'ont pas vu de film sur grand écran depuis des décennies.

"Il y a plus de quarante ans, je regardais les films à travers les fenêtres" qui donnaient sur une salle de projection, raconte-t-il. "Et voilà qu'aujourd'hui mes deux enfants" sont là et "ravivent mes souvenirs", se réjouit-il.

Si l'initiative permet de divertir le public, l'expansion du cinéma dans le nord-est de la Syrie à plus long terme fait partie des rêves de l'équipe de Chiro Hindi.

Objectif: créer des salles de cinéma et organiser des festivals en collaboration avec des cinéastes étrangers.

"Mais cela dépendra de la fin de la guerre et du retour à la stabilité", lâche le réalisateur.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.