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En pleine guerre, des Syriens subissent les affres d'une double administration


Mardi 4 août 2015 à 09h53

hassaké (Syrie), 4 août 2015 (AFP) — Deux services militaires, deux permis de conduire, deux systèmes d'impôts: dans les régions syriennes partagées entre Kurdes et régime, les habitants subissent la guerre, mais aussi les tourments d'une double administration.

Raëd, un Syrien arabe de Hassaké (nord-est) s'efforce d'éviter les barrages des Unités de protection du peuple kurde (YPG) dans cette ville du nord-est du pays.

"J'ai fini mon service militaire avec l'armée il y a quatre ans, mais si les YPG m'attrapent, ils m'obligeront à en faire un autre de six mois", explique à l'AFP ce jeune homme de 28 ans.

La guerre a divisé Hassaké, comme d'autres villes de la région où coexistent Arabes et Kurdes, entre forces du régime et YPG. Conséquence: institutions et services se chevauchent, et le citoyen paye, au propre comme au figuré, le tribut d'une double administration.

A Amouda, ville majoritairement kurde à 85 km au nord de Hassaké, Aziz n'a pas vu sa mère depuis deux ans.

"Elle habite en zone gouvernementale. J'ai peur d'y aller, d'être arrêté à un barrage du régime et qu'on m'oblige à faire le service militaire", explique ce jeune kurde de 28 ans. "Pourquoi les habitants de la province de Hassaké devraient passer leur vie au front?".

- Pas d'exemptions -

Depuis 2012, le régime a, en vertu d'un accord tacite, retiré ses troupes des zones à majorité kurde, tout en conservant des bâtiments administratifs, mais aussi des soldats.

Damas continue à payer les salaires de ses employés, et de procurer eau et électricité, aux quartiers sous son contrôle comme en zone kurde.

Mais en 2013, le Parti démocratique kurde (PYD), principale mouvance kurde en Syrie et qui chapeaute les YPG, a créé une administration autonome, non reconnue par Damas, dans trois cantons: Jaziré (Hassaké), Afrine et Kobané (dans la province d'Alep).

"Les habitants vivant sous contrôle kurde et âgés de 18 à 30 ans, qu'ils soient Arabes, Kurdes ou Assyriens, doivent faire leur service militaire au sein des YPG", souligne Radwane Mohammad Charif, responsable du service militaire kurde.

"Même ceux qui ont servi dans l'armée syrienne ne sont pas exemptés", ajoute-t-il, assis derrière son bureau où sont entassés des livrets militaires verts.

A un km à peine de là, dans le centre de Hassaké, se dresse l'immeuble de la conscription gouvernementale, orné de portraits du président Bachar al-Assad.

Un employé rappelle que tout Syrien se doit de faire son service dans l'armée. "Cela s'applique aux combattants des YPG", souligne-t-il.

- deux plaques d'immatriculation -

Certains, comme Khalil Khalil, ont décidé de faire les deux services militaires pour faciliter les déplacements: "j'avais fait mon service gouvernemental en 2004. Je n'imaginais pas que j'allais porter de nouveau et les armes et le treillis, mais je n'avais pas d'autre choix".

D'autres ont été obligés de se procurer deux permis de conduire, comme Mansour Oussi, ancien fonctionnaire devenu chauffeur de taxi entre Hassaké et Qamichli, 85km plus au nord.

"J'ai un permis pour la police, un autre pour les Assayech (forces de sécurité kurdes, ndlr). Beaucoup de chauffeurs ont fait comme moi", assure ce Kurde de 56 ans.

"La police pourrait interpréter le carnet kurde comme une rébellion, et les Kurdes n'acceptent pas nécessairement les papiers officiels. C'était devenu embêtant".

Il dispose même de deux plaques d'immatriculation: la blanche pour l'Etat, la verte pour les barrages kurdes.

- Lésés -

A Qamichli, des commerçants racontent à l'AFP, sous couvert de l'anonymat, que beaucoup vivant sous contrôle kurde ne versent plus d'impôts à Damas, et vice-versa.

Mais la tâche est plus ardue dans les régions mixtes. Sur un grand marché de la ville, des drapeaux kurdes côtoient des portraits d'Assad.

"Nous subissons deux types de contrôle", confie Bahfared Asmar, devant sa pharmacie. "Celui du syndicat rattaché au gouvernement à qui on paye des cotisations et des taxes, et celui des Kurdes qui nous collent des contraventions sous prétexte que nos prix sont chers".

"Je paie chaque mois au gouvernement un impôt pour la location de ma boutique, et aux Kurdes, une 'taxe' hebdomadaire parce qu'ils nettoient les rues", se lamente de son côté un vendeur de téléphones portables.

"Nous sommes lésés des deux côtés. Vivre dans ce canton, c'est être perdant à tous les coups".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.