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En haussant le ton contre l'Irak, la Turquie prépare l'après-Mossoul


Vendredi 14 octobre 2016 à 15h35

Istanbul, 14 oct 2016 (AFP) — Le ton véhément de la Turquie envers l'Irak à l'approche de l'offensive pour chasser le groupe Etat islamique de Mossoul traduit la hantise d'Ankara de voir ses rivaux, notamment kurdes, prendre pied dans une région qu'elle considère comme son pré carré.

Après avoir envoyé depuis décembre 2015 des centaines de militaires sur une base à Bachiqa, dans la région de Mossoul, pour entraîner des volontaires sunnites en vue d'une reconquête du bastion irakien de l'EI, Ankara semble tenue à l'écart alors que les préparatifs pour une offensive battent leur plein.

Et quand l'Irak a rejeté début octobre la prolongation par le parlement turc du mandat de ces militaires, les assimilant à "une force d'occupation", les dirigeants turcs, le président Recep Tayyip Erdogan en tête, ont vu rouge.

Ainsi, M. Erdogan n'a pas hésité, sur un ton dédaigneux, à sommer le Premier ministre irakien Haidar Abadi de "rester à sa place".

Le pouvoir irakien, dominé par les chiites, considère en outre comme une ingérence inacceptable les mises en garde turques répétées contre une éventuelle participation à l'offensive de Mossoul de milices chiites ou de groupes armés kurdes affiliés à l'ennemi juré d'Ankara, le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK).

M. Erdogan, issu d'une mouvance sunnite conservatrice, estime que la libération de Mossoul, doit se faire uniquement par des forces qui ont des liens ethniques et religieux avec la ville, une allusion au fait que la majorité de ses habitants, estimés à un million, est sunnite.

Par ailleurs, plus de 1,5 million de Turkmènes (ou Turcomans) vivent dans le nord de l'Irak, qui fut un territoire de l'empire ottoman pendant quatre siècles.

- ' L'après-Mossoul ' -

Selon des analystes, ce n'est pas tant le déroulement de la bataille de Mossoul que le nouvel équilibre des forces qui en découlerait qui préoccupe M. Erdogan.

"Il est inquiet pour la future composition ethnique et confessionnelle de Mossoul et il veut s'assurer que les Kurdes et les chiites n'auront pas la haute main", estime Aykan Erdemir, de la Fondation pour la Défense de la démocratie basée à Washington.

"Ankara ne veut pas rester en dehors du jeu en Irak et Erdogan veut s'assurer qu'il aura son mot à dire sur les développements à venir à Mossoul et en Irak. Ayant entraîné les milices sunnites dans la province de Ninive, il craint de voir les milices chiites prendre le dessus", ajoute-t-il.

Pour Soner Cagaptay, directeur du programme de recherche turc au Washington Institute, le discours musclé des dirigeants turcs montre qu'ils sont "en train de préparer l'après-Mossoul".

"Ankara réalise que l'Irak restera un Etat faible et veut avoir une zone d'influence dans le nord de l'Irak pour se protéger des risques que fait peser l'instabilité de ce pays" qui partage une frontière de quelque 350 km avec la Turquie, ajoute-t-il.

A cette fin "la Turquie veut avoir une présence militaire la plus profonde possible en Irak et Bachiqa lui donne une telle présence", explique-t-il.

Rappelant que le PKK est présent dans la région autonome kurde irakienne voisine de Mossoul, M. Cagaptay estime qu'Ankara cherche à tout prix à empêcher ce groupe rebelle "de prendre le contrôle de territoires" après l'éviction de l'EI.

Selon lui, Ankara craint par ailleurs de voir l'Iran renforcer son influence dans la région de Mossoul à travers une éventuelle participation des milices chiites irakiennes soutenus par Téhéran. "Erdogan sait qu'il ne pourra jamais se mettre d'accord avec l'Iran" sur le dossier irakien, affirme-t-il.

Washington, qui conduit la coalition internationale qui appuiera les forces irakiennes dans l'offensive de Mossoul, s'est gardé de prendre publiquement parti dans la querelle turco-irakienne.

Mais de récentes déclarations du département d'Etat et du Pentagone rappelant que tous les efforts militaires pour libérer Mossoul doivent se faire "en coordination et avec l'accord du gouvernement irakien", ont été interprétées à Ankara comme une prise de position en faveur de Bagdad.

"Les Etats-Unis, qui dans un premier temps voulaient que la Turquie participe à l'opération de Mossoul, prennent à présent parti pour l'Irak, et par conséquent pour l'Iran", a ainsi écrit dans une tribune Burhanettin Duran, de la Fondation pour la recherche politique, économique et sociale, un centre de réflexion proche des cercles du pouvoir.

Pour M. Duran, "exclure la Turquie du dossier irakien, ou lui confier un rôle de second plan sous la pression de l'Iran, ne contribuera pas à la création d'un nouvel Irak pacifié".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.