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Devant une morgue d'Ankara, le deuil, le choc et la colère après l'attentat


Dimanche 11 octobre 2015 à 20h01

Ankara, 11 oct 2015 (AFP) — Ils sont là, venus des quatre coins de la Turquie pour récupérer ce qu'il reste de leurs proches. Réunies dans la cour d'une morgue d'Ankara, les familles des victimes de l'attentat peinent encore à réaliser ce qui vient de se jouer dans la capitale turque.

Seul le ballet régulier des corbillards vient rompre le silence glaçant qui les entoure.

Sous des tentes, dans des abris, assis sur des tapis ou des couvertures posées sur le sol, des centaines d'hommes et de femmes de tous âges attendent en pleurs, sous une pluie fine, que leur soit enfin rendu la dépouille d'une fille, d'un père ou d'une amie.

Lorsque les véhicules des pompes funèbres s'approchent, la foule applaudit. Mais timidement. Celles qui tentent de crier ou de lancer un "youyou" traditionnel sont rappelées à l'ordre. L'heure est d'abord au deuil.

"Ce n'est plus vraiment la place pour les drapeaux ou les slogans", explique une jeune femme de 23 ans, qui souhaite garder l'anonymat.

Les yeux embués de larmes, elle dit sa "consternation". "Dans le sud ou le sud-est de la Turquie, on est habitués aux morts, aux martyrs, mais pas ici", remarque-t-elle. "Cette fois, on a tué près d'une centaine de personnes en plein milieu de la capitale, vous vous rendez compte ?".

Il était 10h04 locales (07h04 GMT) samedi, lorsque deux déflagrations meurtrières ont fauché la vie d'au moins 95 personnes et blessé plus de 500 autres.

Elles étaient venues défendre la paix alors que le sud-est à majorité kurde du pays est à nouveau la proie d'affrontements meurtriers entre les forces de sécurité turques et les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

"Tout de monde était venu défendre la paix", déplore Umit, la voix chevrotante, dont la soeur est décédée lors de l'attentat.

- 'L'apocalypse' -

"On n'a pas pu récupérer les corps", s'insurge le jeune homme, qui dénonce la lenteur des légistes, débordés.

Il accuse aussi la police d'avoir fait usage de gaz lacrymogènes et de les avoir frappés alors que la population tentait de porter assistance aux blessés devant la gare centrale d'Ankara.

"J'ai vu des bras passer au-dessus de nos têtes. Devant moi, derrière moi (...) J'ai vu un corps voler à dix mètres au-dessus de moi. Il avait des corps, des corps partout", raconte la voix étranglée par l'émotion Safiye, une quinquagénaire qui peine à se tenir debout.

Pour Mahomet, "c'était l'apocalypse". Avec un calme et un détachement désarçonnants, le jeune garçon raconte l'horreur à laquelle il a été confronté.

"L'un a perdu sa main, l'autre son pied, d'autres encore baignaient dans leur sang", se souvient-il. "C'était pire que la guerre. De la guerre, on peut en réchapper. Là, on ne pouvait pas, c'était inhumain".

Derrière le choc et la peine, la colère n'est jamais loin.

Les familles des victimes, tous militants de la cause kurde, pointent du doigt la responsabilité du gouvernement, accusé de n'avoir pas protégé la manifestation de samedi et d'encourager la violence contre le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) en l'accusant d'être complice des "terroristes" du PKK.

"Ceux qui ne croient pas en la fraternité, ceux qui ne croient pas à l'égalité des peuples de ce pays, ce sont eux qui ont provoqué ce que nous avons vu hier à Ankara", s'insurge Havva. "Voilà ce qu'ils ont fait d'Ankara, une ville couverte de sang".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.