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Dans les hôpitaux d'Afrine, l'offensive turque fait craindre une "tragédie"


Samedi 27 janvier 2018 à 14h02

Afrine (Syrie), 27 jan 2018 (AFP) — Allongé sous une couverture grise, l'oeil tuméfié et le crâne enroulé d'un bandage, l'homme blessé dans les bombardements turcs fait le V de la victoire. A Afrine, cible d'une offensive d'Ankara dans le nord syrien, hôpitaux et secouristes s'attendent au pire.

"Les médicaments et les aides humanitaires sont bientôt épuisés", met en garde Khalil Sabri Ahmed, directeur du principal hôpital de la ville d'Afrine, qui reçoit depuis une semaine les civils blessés dans l'offensive de la Turquie.

En Syrie ravagée depuis 2011 par une guerre meurtrière, Ankara a lancé le 20 janvier une opération militaire avec des rebelles syriens alliés. L'objectif: chasser la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG) de la région d'Afrine, située à la frontière.

Dans le principal hôpital de la ville, les couloirs sont silencieux et ceux qui les empruntent --infirmières, femmes et enfants-- affichent un visage grave, a constaté un reporter collaborant avec l'AFP.

Allongée dans un lit en fer, le pied dans le plâtre, une fillette est encouragée à raconter son calvaire devant les caméras. Cheveux en bataille, elle reste murée dans son silence, le visage impassible et les yeux tristes, observant calmement son entourage, une perfusion reliée au bras.

Ici, un patient emmitouflé dans un épais pullover a sombré dans un profond sommeil, sous une couverture. Un peu plus loin, une infirmière mesure la tension d'un vieil homme à la mine renfrognée et aux cheveux blancs.

Guirlandes et décorations de Noël sont encore accrochées aux murs.

- 'Capacités faibles' -

Depuis une semaine, les localités d'Afrine près de la frontière sont la cible d'un pilonnage intensif. Un grand nombre de blessés ont été transférés vers la ville du même nom, relativement épargnée par les combats.

Sur le terrain, les responsables médicaux craignent de ne plus pouvoir prodiguer de soins, la menace de pénuries de médicaments planant toujours.

"Les civils sont les plus touchés", insiste M. Ahmed. Son hôpital accueille les cas les plus graves, qui nécessitent une intervention chirurgicale ou un suivi délicat.

Au moins 36 civils ont été tués dans les bombardements turcs depuis le début de l'offensive, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).

M. Ahmed explique qu'à la frontière, des "abris médicaux" ont fait leur apparition pour soigner les blessés, après que "les centres médicaux ont été bombardés".

Bordée au nord et à l'ouest par la Turquie, et par des régions contrôlées par des rebelles syriens pro-Ankara au sud et à l'est, Afrine est reliée au monde extérieur par une seule route, contrôlée par des insurgés et menant à Alep, deuxième ville de Syrie.

"Nos capacités sont faibles en raison de ce siège, si la pression s'accentue, ce sera très difficile à supporter", poursuit M. Ahmed, qui lance un appel aux organisations internationales pour recevoir des aides, et surtout pour l'arrêt de "l'agression" turque.

L'Unicef a tiré la sonnette d'alarme, rapportant la mort d'au moins 11 enfants. "La guerre est régie par des lois, et tous les jours ces lois sont transgressées en Syrie", déplore-t-il dans un communiqué.

- 'Tragédies humanitaires' -

L'ONU avait déjà fait état de quelque 5.000 personnes déplacées par l'offensive en cours, la plupart au sein même de la région où vivent plus de 300.000 personnes dont 120.000 déplacés.

"La violence est si intense que les familles sont confinées dans les sous-sol de leur immeubles. La plupart des magasins sont fermés, les services de protection des enfants soutenus par l'Unicef ont dû être suspendus", selon l'agence onusienne.

Dans l'hôpital d'Afrine, un homme au crâne dégarni remonte le manche de sa chemise et de son pull. L'infirmière lui pique le bras: il est venu donner son sang. A ses côtés, un autre homme attend la fin du prélèvement.

"Nous espérons que les organisations internationales vont lancer des initiatives humanitaires pour nous envoyer des aides", plaide de son côté un directeur du croissant rouge kurde, Nouri Cheikh Qanbar, qui évoque de "graves tragédies humanitaires".

Ces derniers jours, devant les morgues d'Afrine où reposent les corps des victimes, les mêmes scènes se répètent. Inlassablement, des femmes crient et pleurent la perte d'un proche, rapporte un autre journaliste collaborant avec l'AFP.

Les yeux humides, un homme qui a pourtant perdu un fils appelle à la retenue. "Ne pleurez pas, ce sont des martyrs, ils nous ont précédés au Paradis."

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Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.