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Après l'attentat d'Ankara, la guerre fait rage entre Erdogan et le parti prokurde


Mardi 13 octobre 2015 à 11h47

Istanbul, 13 oct 2015 (AFP) — L'attentat meurtrier qui a visé samedi une marche pour la paix à Ankara a porté la rivalité entre le gouvernement turc et le principal parti prokurde du pays à de nouveaux sommets, exacerbant les tensions à moins de trois semaines des législatives.

La fumée des deux déflagrations à peine dissipée, le charismatique chef de file du Parti démocratique des peuples (HDP), Selahattin Demirtas, a violemment mis en cause la responsabilité du président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan dans l'attaque, l'accusant d'être à la tête d'un "Etat tueur en série".

Le Premier ministre Ahmet Davutoglu a riposté en refusant de le recevoir avec les autres chefs de l'opposition.

"Le codirigeant d'un parti représenté au Parlement peut dire publiquement +ces gens ont été massacrés par l'Etat+", s'est indigné M. Davutoglu à la télévision.

L'opposition entre les deux camps est telle qu'ils s'opposent même sur le bilan de l'attaque: 97 morts pour les autorités, 128 pour le parti de M. Demirtas.

Depuis plusieurs mois déjà, l'animosité était vive entre le régime et le HDP, qui a largement contribué à priver, lors des législatives du 7 juin, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan de la majorité absolue qu'il détenait depuis treize ans.

Ce revers a ruiné les rêves du président de modifier la Constitution pour renforcer ses pouvoirs.

D'ordinaire mesuré, M. Demirtas a nettement musclé sa rhétorique après le choc de l'attentat de samedi, qui a tué de nombreux militants ou cadres de son parti.

Cette attaque est la troisième visant le HDP ou ses soutiens. Deux jours avant les législatives de juin, une bombe a fait 4 morts lors d'une de ses réunions électorales dans son fief de Diyarbakir (sud-est). Et le 20 juillet, un attentat suicide a tué 34 militants de la cause kurde à Suruç, à la frontière syrienne.

Dans les trois cas, le groupe Etat islamique (EI) a été clairement mis en cause ou fortement soupçonné.

A chaque fois, le parti prokurde a accusé le gouvernement d'avoir délibérément négligé sa protection. Voire d'avoir collaboré avec les jihadistes, défaits en Syrie par les combattants kurdes qu'Ankara considère comme des "terroristes".

- 'Renverser le dictateur' -

"Ils (le gouvernement) nous ont adressé un message: +nous pouvons tuer qui se met en travers de notre route et étouffer l'affaire+", a accusé M. Demirtas.

Si ce discours a enchanté ses troupes, il a outré le pouvoir. La presse favorable au régime a reproché à son auteur de "tenir une réunion politique" sur les lieux du drame en promettant à ses partisans de "renverser le dictateur", c'est-à-dire M. Erdogan.

Comme le relève Aaron Stein, analyste à l'Atlantic Council, l'idée selon laquelle le pouvoir turc soutiendrait les jihadistes contre les combattants kurdes de Turquie ou de Syrie est "largement partagée" dans les troupes du HDP.

"Demirtas a répété des accusations qui ont conduit beaucoup à penser qu'un attentat du type de ceux menés par l'EI pouvait être lié à l'AKP", explique M. Stein, "ce n'est certainement pas vrai mais cela peut expliquer leur colère".

Depuis la campagne des législatives du 7 juin, le camp du président reproche avec insistance au HDP sa "complicité" avec les "terroristes" du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Après l'attentat de Suruç, les rebelles ont rompu le cessez-le-feu qu'ils respectaient depuis deux ans et recommencé leurs attentats contre policiers et soldats turcs. La Turquie, qui compte environ 15 millions de Kurdes, soit 20% de sa population, a riposté en bombardant les bases du PKK en Irak. Une escalade qui a rompu les discussions de paix engagées en 2012 entre les deux parties.

La reprise des affrontements entre l'armée et les rebelles a fragilisé la position de M. Demirtas.

M. Erdogan n'a pas manqué de souligner la proximité du dirigeant kurde avec la rébellion, dans l'espoir d'attirer à lui les suffrages nationalistes lors des législatives anticipées du 1er novembre. S'il le pouvait, "il courrait dans les montagnes" où le PKK a ses bases arrières, a récemment raillé le président.

"Demirtas est un dirigeant charismatique capable d'élargir la base électorale de son parti", juge Aaron Stein, mais sa proximité supposée avec le PKK peut lui coûter "politiquement très cher".

A en croire les derniers sondages, qui voient le HDP augmenter son score le 1er novembre, il a jusque-là réussi à écarter ce risque.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.