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Ankara intervient contre les Kurdes de Syrie, au risque d'une crise avec Washington


Dimanche 14 février 2016 à 18h23

Istanbul, 14 fév 2016 (AFP) — Après des mois de tensions, la Turquie a mis ses menaces à exécution en intervenant militairement contre les Kurdes de Syrie sur le territoire syrien, au risque de se brouiller avec son allié américain et de jeter de l'huile sur le feu de la crise.

Pour la deuxième journée consécutive, l'artillerie turque a bombardé dimanche depuis sa frontière des positions des Unités de protection du peuple (YPG), les milices du Parti de l'union démocratique (PYD), en représailles selon Ankara à des tirs venus de Syrie.

Depuis plusieurs mois, le gouvernement islamo-conservateur turc avait mis en garde ces deux mouvements contre toute velléité de s'installer durablement à l'ouest de la rivière Euphrate, prévenant qu'il s'agissait-là d'une "ligne rouge".

Ankara a considéré qu'elle avait été franchie avec l'arrivée ces derniers jours de leurs combattants aux alentours de la ville syrienne d'Azaz, à la faveur de l'offensive lancée par l'armée du régime de Damas et de l'aviation russe sur Alep.

La Turquie redoute par dessus tout que les Kurdes de Syrie, qui contrôlent déjà en grande partie le nord de la Syrie, n'étendent leur influence à la quasi-totalité de sa frontière.

Comme il n'a cessé de le répéter ces dernières semaines, le président Recep Tayyip Erdogan considère le PYD et les YPG comme des organisations "terroristes", frères du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène depuis 1984 une rébellion meurtrière sur le sol turc.

L'homme fort de Turquie accuse également les Kurdes de Syrie d'être alliés au président syrien Bachar al-Assad, leur bête noire, et à la Russie qui le soutient.

S'ils ont eux aussi inscrit le PKK dans leur liste des groupes "terroristes", les Etats-Unis refusent à l'inverse d'y intégrer les YPG et le PYD. Washington leur livre même armes et munitions, les jugeant comme les combattants les plus efficaces dans la lutte contre le groupe Etat islamique (EI).

"Le désaccord entre les Etats-Unis et la Turquie est évident", souligne Özgür Ünlühisarcikli, le directeur du bureau turc du German Marshall Fund américain. "Pour résumer, les Américains considèrent PYD et YPG comme un partenaire, alors que la Turquie ne voit en eux que des ennemis".

- 'Spectateur' -

Cette différence de position nourrit de vives tensions entre les deux pays, membres de l'Otan.

Le département d'Etat américain a ainsi rapidement exprimé samedi son inquiétude après les premières frappes turques et a "exhorté la Turquie à cesser ces tirs", en même temps qu'il a prié les Kurdes de "ne pas profiter de la confusion de la situation en s'emparant de nouveaux territoires".

L'appel américain a toutefois peu de chance d'être entendu.

"La Turquie n'est pas un pays qui va s'asseoir pour regarder en spectateur ce qui se passe", a prévenu dimanche le vice-Premier ministre Yalçin Akdogan à la télévision.

Lors d'une conversation téléphonique tard samedi soir, le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a répété le même message au vice-président américain Joe Biden, l'assurant que le PYD était pour son pays une "menace" contre laquelle il était déterminé à "prendre toutes les mesures nécessaires".

"Les frappes turques (...) vont encore accroître la méfiance et la tension entre les deux alliés, qui ont pourtant besoin de travailler étroitement", a pronostiqué M. Ünlühisarcikli.

Plus tôt cette semaine, M. Erdogan avait déjà sommé Washington de choisir son camp. "Est-ce que vous êtes avec nous ou avec les groupes terroristes du PYD et des YPG ?", avait-il lancé, furieux.

La colère des Turcs est d'autant plus grande qu'ils soupçonnent Damas et Moscou de favoriser la poussée des Kurdes vers l'ouest. Un tel mouvement empêcherait la Turquie de continuer à ravitailler, via sa frontière, les groupes rebelles syriens qu'elle soutient.

"Si (les Etats-Unis) préfèrent une organisation terroriste à la Turquie, soit", a écrit dimanche l'éditorialiste très en cour à Ankara du quotidien Yeni Safak, Ibrahim Karagül, "mais alors nous allons considérer que +les Etats-Unis font la guerre à la Turquie+".

En Turquie, certains s'inquiètent déjà de cette rhétorique enflammée et de ses effets sur les relations turco-américaines.

"Le problème vient de la phobie kurde d'Ankara, qui est irrépressible", a ainsi jugé le commentateur Cengiz Candar dans le quotidien en ligne Radikal.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.