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Ankara dénonce l'"hypocrisie" de Washington qui soutient des combattants kurdes en Syrie


Vendredi 27 mai 2016 à 17h10

Antalya (Turquie), 27 mai 2016 (AFP) — La Turquie a vivement critiqué le soutien des Etats-Unis à des combattants kurdes en Syrie contre le groupe Etat islamique (EI), un sujet qui empoisonne les relations entre ces deux partenaires clés de l'Otan et de la lutte antijihadiste.

"Hypocrisie", "deux poids, deux mesures", "inacceptable"... Le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu a multiplié les commentaires peu amènes à l'endroit des Etats-Unis, dont des militaires ont été photographiés par l'AFP dans le nord de la Syrie arborant l'insigne des Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde considérée comme "terroriste" par Ankara.

Le Pentagone a reconnu la présence à des fins de "conseil et d'assistance" de militaires américains dans la province de Raqa, fief de l'EI situé dans le nord de la Syrie, où les Forces démocratiques syriennes (FDS), un groupe composé de combattants kurdes et arabes, a lancé une offensive majeure contre les jihadistes.

Ankara a protesté auprès du département d'Etat américain et de l'ambassade des Etats-Unis en Turquie, a dit M. Cavusotglu.

La Turquie considère les YPG comme étroitement liées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mène depuis 1984 une rébellion meurtrière sur son sol, et les accuse d'avoir commis des attentats à Ankara.

Washington considère cependant les YPG comme l'un des groupes les plus efficaces pour affronter l'EI au sol. Les combattants kurdes, dont les YPG, se sont forgé une réputation de redoutables fantassins en chassant notamment les jihadistes de la ville de Kobané l'année dernière.

Cette question "empoisonne depuis un bon moment les relations entre la Turquie et les Etats-Unis", alliés au sein de l'Otan et membres de la coalition antijihadiste, et "il est improbable que les deux camps surmontent leurs différends dans un avenir proche", a résumé pour l'AFP Ozgür Unlühisarcikli, du German Marshall Fund.

- Chacun sa guerre -

"Il est inadmissible que des soldats des Etats-unis, notre allié (...), utilisent l'insigne d'un groupe terroriste", a dénoncé M. Cavusoglu lors d'une conférence de presse à Antalya, dans le sud de la Turquie. "Dans ce cas, nous leur recommandons de porter des badges de Daech (acronyme arabe de l'EI), du Front Al-Nosra lorsqu'ils sont ailleurs en Syrie, et de Boko Haram lorsqu'ils vont en Afrique", a-t-il ironisé.

"La relation tactique naissante entre les militaires américains et les YPG va provoquer du ressentiment du côté turc", a dit à l'AFP Soner Cagaptay, du centre de réflexion Washington Institute, et l'"érosion de la confiance mutuelle".

Selon lui, "la Turquie et les Etats-Unis mènent deux guerres différentes en Syrie: Washington contre l'EI et Ankara contre (le président syrien) Assad. Tant que cela sera le cas, les deux pays continueront d'être en désaccord au sujet des alliances à nouer en Syrie".

Longtemps accusée de soutenir des éléments radicaux opposés au président syrien Bachar al-Assad, la Turquie, membre de l'Otan, a rejoint la coalition internationale qui frappe l'EI en Syrie et en Irak et met à la disposition des bombardiers de plusieurs pays sa base aérienne d'Incirlik (sud).

Mais en parallèle, la Turquie, laquelle ne fait "aucune différence" entre les groupes terroristes, continue de voir dans les YPG une menace pour ses intérêts.

M. Cavusoglu a critiqué une approche basée sur "+une organisation terroriste que je peux utiliser et une autre que je ne peux pas+". "Nous ne parviendrons pas à remporter notre lutte contre le terrorisme avec cette vision", a-t-il dit.

Jeudi, la présidence turque avait déploré la décision de plusieurs pays européens, dont la France et l'Allemagne, d'autoriser le Parti de l'union démocratique (PYD), aile politique des YPG, d'ouvrir des bureaux sur leur sol. "Nous leur demandons de réexaminer cette décision qui est contraire à l'esprit d'amitié et d'alliance", a dit la présidence dans un communiqué.

Si le PKK figure sur la liste des organisations terroristes des Etats-Unis et de l'Union européenne, ces derniers ont jusqu'ici refusé d'y ajouter les YPG, malgré les demandes répétées d'Ankara.

Le président Erdogan souligne régulièrement que les groupes "terroristes" finissent invariablement par se retourner contre ceux qui les soutiennent, "comme un scorpion".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.