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Accusé de terrorisme, un acteur kurde espère un nouveau départ en France


Vendredi 5 janvier 2018 à 13h41

Paris, 5 jan 2018 (AFP) — Le comédien et documentariste kurde Aram Ikram Tastekin, l'un des milliers de citoyens turcs à avoir fui son pays pour échapper aux purges, aime à se remémorer la brève période où les Kurdes pouvaient s'exprimer en toute liberté.

"Nous nous sentions si bien, les combats avaient cessé, tout le monde pouvait parler librement", confie l'acteur de 29 ans, lors d'un entretien avec l'AFP réalisé avant la visite à Paris vendredi du président turc Recep Tayyip Erdogan.

Cette parenthèse aux airs de "printemps kurde" s'était ouverte en 2013, lorsque autorités turques et rebelles kurdes étaient parvenus à s'entendre sur un cessez-le-feu. Elle s'est brutalement refermée mi-2015.

Alors que les combattants reprenaient le fil d'une lutte vieille de trois décennies, le président Erdogan lançait une vaste offensive visant à les expulser du sud-est du pays.

Aram Ikram Tastekin, figure locale de la ville à majorité kurde de Diyarbakir, est alors directement témoin des combats les plus âpres entre l'armée et les militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme une "organisation terroriste" par la Turquie, les Etats-Unis et l'Union européenne.

Objecteur de conscience ayant refusé de faire son service militaire, il filme les sanglants affrontements en décembre 2015, avant d'être arrêté et détenu pendant quatre jours.

Libéré faute de charges, il devient un homme sous surveillance.

L'étau se resserre encore après la sortie de son documentaire sur les combats. Il reçoit un courrier l'informant qu'il fait l'objet d'une enquête pour "propagande terroriste".

"Ils m'ont dit que je montrais l'armée sous un mauvais jour et que je faisais la propagande du PKK", raconte à mi-voix le comédien barbu à la tignasse brune ébouriffée, rencontré à l'Atelier des artistes en exil, centre pour ces artistes à Paris.

"Je leur ai répondu que la seule propagande que je faisais était celle de mes idées !", lance-t-il.

Après un coup d'Etat avorté en juillet 2016, attribué aux partisans de l'ennemi juré d'Erdogan, le prédicateur exilé Fethullah Gülen, la répression contre les opposants, les intellectuels et les artistes s'accentue.

- Paria -

Pour Aram Ikram Tastekin, le tournant survient lors de l'arrestation de dizaines de maires appartenant au Parti démocratique des peuples (HDP), un mouvement pro-kurde dont le chef Selahattin Demirtas est incarcéré. Ces militants sont accusés de liens avec le "terrorisme" et une série de centres culturels kurdes sont fermés.

Le comédien perd alors son poste de professeur de théâtre dans la ville de Diyarbakir, acquise au HDP, comme la plupart des employés municipaux.

Deux mois plus tard, quand les autorités publient la liste des personnes définitivement licenciées, son nom figure parmi les premiers.

Ce renvoi fait de lui un paria aux yeux des autres employeurs, dont les responsables d'une école lui ayant auparavant proposé un emploi bien payé.

"Ils m'ont dit: +Désolés mais nous ne pouvons plus travailler avec vous+", se rappelle-t-il.

Sa soeur, enseignante à Diyarbakir, est elle aussi renvoyée, emportée par la purge massive de dizaines de milliers de professeurs, juges, magistrats ou militaires soupçonnés de proximité avec Gülen ou le PKK.

En décembre, Aram Ikram Tastekin - menacé d'une longue peine de prison en cas de condamnation - s'envole pour Paris pour un échange culturel d'un mois. Il espère pouvoir rester en France pour y étudier et faire avancer son projet de comédie musicale en kurde.

Mais il avoue avoir déjà le mal du pays et attendre avec impatience le jour où la Turquie sera "vraiment démocratique".

"En Turquie, le gouvernement répète que +nous sommes un seul peuple avec un seul drapeau+. Toujours un seul, un seul. Mais il y a de nombreuses cultures et religions en Turquie, pas seulement les Turcs".

"Les Kurdes, les Arabes, les Arméniens, eux aussi ont des droits".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.