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Milices kurdes en Syrie: Ankara face à un casse-tête diplomatique


Jeudi 18 janvier 2018 à 13h18

Istanbul, 18 jan 2018 (AFP) — La Turquie a beau jurer d'en finir avec une nouvelle force dominée par les Kurdes en Syrie, elle est confrontée à un véritable casse-tête diplomatique et militaire en raison de risques de collision avec ses alliés américain et surtout russe, selon des analystes.

Depuis l'annonce, dimanche, de la création de cette "Force de sécurité frontalière" entraînée par les Etats-Unis, le président turc Recep Tayyip Erdogan tire à boulets rouges sur Washington et répète qu'Ankara agirait militairement pour la "tuer dans l'oeuf".

Cette force frontalière, qui doit compter à terme 30.000 hommes, sera composée pour moitié de membres des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de combattants kurdes et arabes, le reste des effectifs devant être constitué de nouvelles recrues.

Or, les FDS sont dominées par les Unités de protection du peuple kurde (YPG), une milice kurde considérée par la Turquie comme l'extension en Syrie du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui livre une sanglante guérilla contre Ankara depuis 1984.

M. Erdogan a affirmé lundi que l'armée turque était "prête" à lancer une opération "à tout moment" contre les bastions des YPG à Afrine et Minbej, dans le nord de la Syrie et des renforts militaires turcs ont été depuis acheminés à la frontière, laissant croire à l'imminence d'une attaque.

- Washington peu concerné? -

Mais une telle offensive s'annonce périlleuse, car la Russie, qui coopère de plus en plus avec la Turquie sur le dossier syrien, dispose d'une présence militaire à Afrine et entretient de bons rapports avec les YPG.

Une action militaire turque mécontenterait aussi Washington, car les YPG sont en première ligne sur le terrain dans la lutte contre les groupes jihadistes en Syrie, même si les Américains sont moins impliqués dans le canton d'Afrine qui est dans le viseur d'Ankara.

"Les menaces turques d'intervenir paraissent sérieuses, ou du moins très bruyantes et persistantes. Il serait difficile pour Erdogan de se défausser à ce stade", estime Aron Lund, spécialiste de la Syrie au centre de réflexion américain Century Foundation.

Notant que les Américains "ne considèrent pas Afrine comme leur problème" car ils concentrent leurs activités auprès des YPG dans les régions à l'est de ce canton, il minimise les chances de voir les forces américaines s'impliquer dans un éventuel conflit.

"L'armée américaine est présente en Syrie avec un mandat limité à la lutte anti-terroriste. Participer aux guerres des YPG contre la Turquie ou d'autres rebelles n'en fait pas partie", souligne-t-il.

Aaron Stein, de l'Atlantic Council, convient qu'il existe une certaine "résignation à Washington qu'il s'agit d'un +show+ turc et que rien ne peut être fait pour dissuader Erdogan d'envoyer son armée de l'autre côté la frontière s'il décide de le faire".

"Erdogan menace d'envahir la Syrie au moins une fois par semaine depuis un an. Cette fois, c'est différent, car la rhétorique est beaucoup plus spécifique et dirigée contre les Etats-Unis. Je crois qu'il va mettre en oeuvre sa menace, mais l'ampleur d'une éventuelle opération reste inconnue", ajoute-t-il.

- Feu vert russe indispensable -

M. Stein estime que "la seule puissance extérieure qui peut empêcher une invasion à ce stade est la Russie".

Le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu a reconnu jeudi la nécessité de se "coordonner" avec la Russie, afin d'"éviter tout accident" avec les militaires russes déployés à Afrine.

"Il ne faut pas qu'elle (la Russie) s'oppose à une opération à Afrine", a-t-il ajouté.

Le chef de l'état-major turc Hulusi Akar et le patron des services de renseignement turc Hakan Fidan se sont rendus jeudi à Moscou pour évoquer la Syrie avec le chef de l'armée russe.

"La Turquie peut mettre la Russie au pied du mur en envahissant sans obtenir son feu vert explicite", indique M. Stein. Mais un tel scénario sonnerait le glas du processus diplomatique parrainé par les deux pays et l'Iran pour parvenir à un règlement du conflit, estime-t-il.

Metin Gürcan, analyste militaire à l'Istanbul Policy Center et chroniqueur pour le site Al-Monitor, juge "improbable" une offensive turque, sauf si la Russie "ouvre l'espace aérien d'Afrine à la Turquie" et "retire ses soldats" déployés dans ce canton.

"Ankara osera-t-il attaquer Afrine sans le feu vert de la Russie? La réponse pour moi est sûrement +non+", affirme-t-il.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.