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Turquie: la mort d'un avocat kurde tourne à la foire d'empoigne politique


Mercredi 2 decembre 2015 à 16h40

Diyarbakir (Turquie), 2 déc 2015 (AFP) — Le mystère qui entoure les circonstances de la mort du célèbre avocat kurde Tahir Elçi suscite une vive polémique en Turquie, où l'opposition accuse le gouvernement islamo-conservateur de vouloir étouffer l'affaire, voire d'être complice des tueurs.

Figure renommée de la cause kurde, le bâtonnier de l'ordre des avocats de Diyarbakir (sud-est) est tombé samedi à la fin d'une conférence de presse, atteint d'une balle en pleine tête lors d'une fusillade entre la police et des hommes armés non identifiés.

Plus de 50.000 personnes sont descendues dimanche dans les rues de la plus grande ville du sud-est à majorité kurde du pays pour honorer la mémoire de cet "homme de paix". Mais sitôt sa dépouille en terre, la polémique n'a pas tardé.

Dès lundi, le chef de file du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) Selahattin Demirtas a ouvert le feu en suggérant que M. Elçi avait été tué par la police.

"De notre point de vue, il est très clair qu'à ce moment-là, à cet endroit et dans cette rue, personne ne tirait hormis la police", a assuré M. Demirtas. "Il est donc certain que la balle qui a tué Tahir Elçi a été tirée par une arme de la police".

Le patron du HDP, qui accuse depuis des mois le pouvoir d'avoir délibérémment saboté le processus de paix avec les rebelles kurdes, fonde ses allégations sur une vidéo.

Ces images, qui ont fait le tour des réseaux sociaux, montrent Tahir Elçi debout derrière des policiers tirant sur un homme armé qui court vers eux. Une fois que l'homme a passé leur niveau, ils se retournent et tirent dans la direction opposée, où se trouve M. Elçi. Juste après, la vidéo montre son corps étendu au sol, un pistolet à ses côtés.

Le Premier ministre Ahmet Davutoglu n'a guère apprécié les accusations de son rival.

"De quelle preuve Demirtas dispose-t-il pour accuser l'Etat de meurtre ? Accuser la police qui était en train de chasser les agresseurs sans dire un mot des agresseurs eux-mêmes n'est rien moins qu'une tentative d'étouffer le meurtre", a-t-il dénoncé.

- 'Camouflage' -

Dans les heures qui ont suivi la mort du bâtonnier, le chef du gouvernement a clairement mis en cause le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), accusés d'être à l'origine de la fusillade qui a également tué deux policiers. "Cet acte a été commis par ces mêmes groupes qui ont essayé de camoufler l'incident", a-t-il lancé.

Juste après l'incident, le procureur de Diyarbakir et des policiers chargés de sa protection ont été attaqués par des hommes armés sur les lieux du crime.

D'autres violents incidents ont depuis été signalés dans ce même district de Sur, régulièrement soumis à couvre-feu depuis la reprise des affrontements entre le PKK et ses partisans et les forces de sécurité l'été dernier.

En visite mardi à Diyarbakir, le ministre de la Justice Bekir Bosdag a affirmé que la police avait découvert sur les lieux du crime deux douilles, dont une endommagée qui pourrait être celle de la balle, toujours introuvable, qui a tué Tahir Elçi.

Deux suspects, toujours en fuite, ont été formellement identifiés, a ajouté le ministre, avant de promettre la transparence totale des investigations.

Dans un pays prompt à relayer toutes les théories du complot, ses assurances n'ont pas fait taire les soupçons. D'autant que les députés du parti au pouvoir et leurs collègues ultranationalistes ont rejeté la création d'une commission d'enquête.

De nombreuses ONG internationales, des capitales étrangères et l'ONU ont exigé depuis samedi que toute la lumière soit faite sur la mort de Tahir Elçi.

"On tue un bâtonnier en plein centre de Diyarbakir, c'est insensé. Il faut retrouver au plus vite les coupables", a insisté mercredi matin le chef de file de l'opposition Kemal Kiliçdaroglu, "ce pays a plus que jamais besoin de paix et de tranquillité".

Quelques heures plus tard, une femme, présentée comme membre du PKK, qui avait ouvert le feu sur des policiers a été abattue dans ce même district de Sur.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.