Page Précédente

Malgré les combats, le chef du PKK prêt à un cessez-le-feu avec la Turquie


Vendredi 9 octobre 2015 à 12h12

Kandil (Irak), 9 oct 2015 (AFP) — Depuis trois mois, les combats font à nouveau rage entre l'armée turque et les rebelles kurdes. De son repaire irakien, leur chef Cemil Bayik se dit prêt à faire taire les armes, mais prévient que la "logique de guerre" d'Ankara risque d'étendre le conflit.

"Nous sommes prêts à cesser le feu dès maintenant", assure le dirigeant du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). "Mais si (le gouvernement turc) persiste dans cette logique de guerre (...) d'autres cimetières vont se remplir et le conflit va s'étendre à toute la Turquie, à la Syrie et à tout le Proche-Orient", menace-t-il.

Dans son impeccable "battle dress" vert pâle, Cemil Bayik a accordé un entretien à l'AFP au coeur des monts Kandil, dans l'extrême nord du Kurdistan irakien.

Dans ce dédale de vallées étroites, le PKK règne en maître absolu.

Les flancs des montagnes y sont recouverts de portraits du fondateur historique du mouvement, Abdullah Öcalan, qui purge depuis 1999 une peine de réclusion à perpétuité dans une prison turque.

A l'entrée de chaque village, des combattants rebelles, Kalachnikov à l'épaule, filtrent le trafic. Mais l'essentiel de leurs unités reste caché dans les montagnes, pour se protéger des bombardements réguliers des F16 turcs.

Dissimulé sous un bosquet d'arbres, assis devant deux drapeaux kurdes frappés de l'étoile rouge, Cemil Bayik accuse le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan d'être le seul responsable de la reprise des hostilités.

"Nous ne voulons pas la guerre (...) Nous avons tenté jusque-là par une voie politique et démocratique de faire avancer le dialogue", affirme le chef de l'Union des communautés du Kurdistan (KCK), qui regroupe tous les mouvements de la rébellion. "Mais Erdogan a empêché ce processus-là (...) il n'y a jamais cru".

- 'Légitime défense' -

En 2012, l'ouverture de discussions entre Ankara et Abdullah Öcalan a nourri l'espoir d'une fin du conflit kurde, qui a fait plus de 40.000 morts depuis 1984. Mais le 20 juillet dernier, un attentat suicide attribué au groupe Etat islamique (EI), qui a tué 32 militants prokurdes à Suruç, à la frontière syrienne, a sonné le glas du cessez-le-feu.

Une branche du PKK y a répondu en revendiquant l'assassinat de deux policiers, une "action punitive" contre la Turquie accusée de soutenir les jihadistes. En retour, Ankara a lancé une "guerre contre le terrorisme" et promis de "détruire" le PKK.

Depuis, le sud-est à majorité kurde de la Turquie a replongé dans la violence. Près de 150 policiers ou soldats ont été tués dans des attentats attribués au PKK et l'aviation turque a multiplié les raids contre les rebelles.

Le PKK dément avoir alimenté cette escalade et évoque la "légitime défense". "La guérilla ne fait que se protéger, elle n'est pas encore entrée en guerre", se défend Cemil Bayik. "Ce que l'on voit, ce sont plutôt les jeunes qui sont montés au créneau, qui se protègent et protègent le peuple et la démocratie".

Pour ce vétéran de la lutte kurde, ce retour aux "années de plomb" du conflit kurde a des racines purement politiques. "Erdogan a perdu aux élections la majorité absolue, c'est pour ça qu'il a commencé à faire la guerre".

- 'Aider le HDP' -

Le 7 juin, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan a perdu le contrôle qu'il exerçait depuis treize ans sur le pays. En raflant 80 sièges de députés, le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), a largement contribué à ce revers.

A l'approche des législatives anticipées du 1er novembre, l'homme fort du pays a concentré ses attaques sur le HDP, accusé d'être complice des "terroristes".

Si le HDP répugne à reconnaître tout lien avec le PKK, Cemil Bayik, lui, affiche sans complexe sa proximité avec le parti. Il promet même une "initiative" pour le soutenir. "Il est nécessaire d'aider le HDP", juge-t-il.

Un autre dirigeant du KCK, Bese Hozat, a laissé entendre cette semaine dans la presse que le PKK pourrait suspendre ses opérations "pour contribuer à la victoire du HDP".

Malgré les combats, Cemil Bayik se dit prêt à reprendre les discussions avec la Turquie, mais à condition qu'un "cessez-le-feu bilatéral" soit imposé et qu'Ankara libère des prisonniers kurdes dont Abdullah Öcalan.

Il compte aussi sur le soutien des Occidentaux, persuadé que son mouvement a redoré son blason à la faveur de sa participation, en Syrie et en Irak, à la lutte contre l'EI.

"Nous avons de plus en plus de soutien américain et européen. Ils ont compris que les Kurdes étaient devenus une force stratégique dans la région", se réjouit-il. "Si la communauté internationale retire le PKK de la liste des organisations terroristes, la Turquie sera obligée d'accepter la réalité du problème kurde et acceptera le dialogue".

A 64 ans, le dirigeant du PKK, un modéré du mouvement, affirme avoir toujours "l'espoir" d'une "solution pacifique". "S'il était possible de résoudre le problème par la guerre", dit-il, "ce serait fait depuis longtemps".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.