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Ces réfugiés syriens qui fuient la guerre à vélo dans l'Arctique


Vendredi 11 septembre 2015 à 06h49

Oslo, 11 sept 2015 (AFP) — "J'ai regardé une carte et j'ai décidé de me lancer": Ahmad Taleb, un Kurde syrien de 25 ans, a trouvé refuge le plus légalement du monde en Norvège grâce à quelques tours de pédalier au fin fond de l'Arctique.

Selon la police norvégienne, plus de 200 demandeurs d'asile, des Syriens fuyant la guerre pour l'immense majorité d'entre eux, ont depuis le début de l'année franchi la frontière entre la Russie et la riche Norvège qui appartient à l'espace Schengen de libre-circulation des personnes à défaut d'être membre de l'UE.

Ce long crochet via des contrées réputées inhospitalières leur ouvre les portes de l'Europe en leur épargnant les mille dangers encourus par les centaines de milliers de désespérés qui traversent la Méditerranée à bord de frêles embarcations surchargées avant d'entamer un périple semé d'embûches à travers le continent.

Plus de 380.000 migrants et réfugiés ont ainsi gagné le Vieux Continent depuis janvier et 2.850 y ont laissé la vie ou sont portés disparus, selon les derniers chiffres de l'ONU.

"Par la mer, c'est dangereux", témoigne Ahmad Taleb, rencontré à Oslo, dans le centre de transit de Refstad par lequel passent tous les migrants après leur enregistrement auprès des services spécialisés de police.

"Mais si vous achetez un visa pour la Russie, vous payez et vous partez. Comme ça, c'est plus rapide et plus sûr", ajoute le jeune homme qui dit avoir quitté sept jours plus tôt Kobané, ville ravagée par les combats entre Kurdes et jihadistes du groupe État islamique (EI) finalement chassés des lieux en juin.

L'idée, confie-t-il, lui est venue en parlant avec des personnes sur Facebook. Méfiant, attendant son transfert avec ses maigres affaires rassemblées dans un grand sac poubelle noir, il refuse d'en dire plus sur les coulisses de son voyage.

Les deux pays entretenant de bonnes relations, il est, semble-t-il, assez aisé pour un Syrien de décrocher un visa pour la Russie. Après un trajet en avion vers Moscou, les candidats à l'exil rejoignent généralement Mourmansk, grande ville du Nord-Ouest de la Russie, en train, puis Nikel, à une vingtaine de kilomètres de la Norvège.

Là, ils font l'achat d'un... vélo, souvent au prix fort.

"On a payé beaucoup mais on ne voulait pas trop traîner", raconte Bahzad Soliman, un autre réfugié syrien qui a passé les trois dernières années à Moscou, vivant de petits boulots, mais qui se dit las de ne pas pouvoir y régulariser sa situation.

- Un passage légal -

Bizarrement, le vélo est désormais sans doute le seul moyen de locomotion légal pour les réfugiés désireux de franchir le poste-frontière de Storskog, le seul entre la Russie et la Norvège.

Côté russe, les autorités interdisent en effet les passages transfrontaliers à pied tandis que, côté norvégien, la police a récemment commencé à infliger de lourdes amendes aux personnes transportant des migrants dans leur véhicule, jugeant que cela s'apparentait à du trafic d'êtres humains.

Du coup, la police de Kirkenes, ville norvégienne la plus proche de la frontière, veille aujourd'hui sur quelque 65 vélos, souvent quasi flambant neufs, dont elle ne sait quoi faire, leurs éphémères propriétaires ayant été expédiés vers Oslo pour y déposer leur demande d'asile.

La plupart des passages à vélo ont eu lieu au cours des dernières semaines mais certains ont aussi franchi la frontière en hiver dans des températures négatives et sur des routes recouvertes de neige.

Dans le centre de Refstad --un ancien complexe de loisirs pour officiers nazis--, les Syriens interrogés indiquent que le détour via le Grand Nord revient à entre 3.000 et 4.000 euros.

"Ça n'est pas cher au regard de ce que l'on doit souvent payer aux passeurs via les routes habituelles", explique Solveig Skogstad, une responsable de NOAS, organisation norvégienne de soutien aux demandeurs d'asile. "Certains payent plusieurs milliers de dollars pour venir illégalement, alors que là, c'est légal et pas dangereux".

Ou presque pas: "D'après ce qu'on comprend, il y a beaucoup d'inquiétudes concernant ce qui peut se produire en Russie", précise-t-elle. "Les autorités russes peuvent aussi être très sévères si on arrive sans avoir tous ses papiers en règle".

Depuis le début de l'année, quelque 1.800 Syriens ont demandé l'asile en Norvège, dirigée par une coalition comprenant la droite populiste anti-immigration, à peine plus d'un dixième des demandes enregistrées en Suède voisine, beaucoup plus accueillante.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.