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Militantes kurdes tuées en 2013 à Paris: l'enquête relancée autour du rôle des services secrets turcs


Mercredi 15 mai 2019 à 12h14

Paris, 15 mai 2019 (AFP) — L'unique suspect était mort en prison à la veille de son procès, sans révéler tous ses secrets: six ans après le triple assassinat de militants kurdes à Paris, leurs familles ont obtenu la reprise des investigations sur l'implication potentielle des services de renseignement turcs du MIT.

Un juge antiterroriste a été chargé mardi de reprendre l'enquête sur des complicités dans l'assassinat le 6 janvier 2013 à Paris de ces trois militantes dans les locaux du Centre d'information du Kurdistan à Paris, a appris l'AFP mercredi de sources concordantes.

Sakine Cansiz, 54 ans, une des fondatrices du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) - un groupe classé comme "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux -, Fidan Dogan, 28 ans, et Leyla Saylemez 24 ans, avaient été tuées de plusieurs balles dans la tête.

L'unique suspect, le Turc Omer Güney, avait été renvoyé devant la cour d'assises spéciale de Paris mais il était mort d'un cancer du cerveau en décembre 2016, à la veille de son procès.

Son décès avait entraîné l'extinction de l'action publique à son encontre. Mais, début 2017, les familles avaient demandé la poursuite d'investigations via une première plainte accompagnée de nouveaux documents renforçant, selon elles, la thèse d'une "opération mûrement planifiée par les services secrets" turcs.

Le parquet de Paris avait rouvert l'enquête cette année-là pour traduire ces pièces, avant de la classer sans suite.

Les familles avaient donc déposé en mars 2018 une plainte avec constitution de partie civile pour obtenir la désignation d'un juge d'instruction.

Sur la base de cette nouvelle plainte, le parquet de Paris a finalement dû ouvrir mardi une information judiciaire pour "complicité d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste" et "association de malfaiteurs terroriste criminelle", selon une source judiciaire.

"C'est historique, la fin de l'impunité pour les assassinats politiques en France commandités depuis l'étranger", s'est félicité Me Antoine Comte, avocat d'une des familles, auprès de l'AFP.

"Le parquet admet que l'affaire n'est pas terminée avec la mort du suspect, un juge va pouvoir examiner tous les éléments, en premier lieu l'implication d'un pays étranger, déjà pointée par l'enquête initiale", a-t-il ajouté.

-"Ordre de mission"-

Si Omer Güney, qui clamait son innocence, était le seul accusé, les enquêteurs français avaient en effet relevé "l'implication" de membres des services secrets turcs, le MIT, sans désigner de commanditaires.

"Il est établi qu'Omer Güney avait une activité d'espionnage avérée", "qu'il a eu de nombreux contacts secrets avec des individus se trouvant en Turquie" et que "son plan d'évasion" de prison déjoué durant l'instruction "prévoyait la participation d'un membre du MIT", avait indiqué à l'époque une source proche du dossier.

Toutefois, les enquêtes n'avaient pas permis d'établir si des agents du MIT éventuellement impliqués avaient agi "avec l'aval de leur hiérarchie" ou "à l'insu de leur service afin de discréditer [le MIT] ou de nuire au processus de paix" entre Ankara et le PKK, selon cette source.

Des médias turcs ont par ailleurs diffusé un enregistrement d'une conversation entre un homme présenté comme Omer Güney et deux agents des services, ainsi qu'un document s'apparentant à un "ordre de mission" pour Güney.

En janvier 2014, le MIT avait officiellement démenti toute implication.

Dans leur plainte, consultée par l'AFP, les familles ont produit notamment des déclarations de janvier 2018 attribuées à deux responsables du renseignement turc arrêtés par les forces kurdes en Irak qui pointeraient vers de possibles commanditaires au sein de leurs services.

Une procédure judiciaire turque a par ailleurs montré qu'Omer Güney avait dans son téléphone un numéro attribué à la direction du MIT.

En janvier 2018, plusieurs milliers de Kurdes avaient manifesté à Paris pour réclamer "vérité" et "justice" dans cette affaire et dénoncer le "silence" des autorités françaises.

Depuis la reprise du conflit entre le PKK et Ankara dans le sud-est de la Turquie en 2015 après la rupture d'un fragile cessez-le-feu, le discours du président Recep Tayyip Erdogan au sujet des rebelles kurdes s'est nettement durci, faisant s'éloigner la perspective d'une solution politique négociée.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.