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Détenu en Syrie, un jihadiste canadien se dit livré à lui-même et en appelle à Ottawa


Lundi 11 février 2019 à 10h25

Hassaké (Syrie), 11 fév 2019 (AFP) — Détenu en Syrie par une alliance arabo-kurde, un jihadiste canadien se dit livré à lui-même, à l'instar d'autres étrangers du groupe Etat islamique (EI), et en appelle aux autorités de son pays.

Il y a neuf mois, Mohammad Ali, 28 ans, a été capturé par l'alliance des Forces démocratiques syriennes (FDS) qui combat l'EI, alors qu'il tentait de rallier la Turquie avec sa femme canadienne et leurs deux filles.

Comme lui, des centaines d'étrangers, des hommes mais aussi des femmes et des enfants, sont retenus par les FDS qui réclament leur rapatriement vers leurs pays d'origine, lesquels se montrent réticents face à l'hostilité de leur opinion publique.

Mohammad Ali a été interrogé par l'AFP dans un centre de détention de Hassaké (nord-est) en présence de deux membres des FDS. L'AFP n'a pas pu vérifier de manière indépendante le récit qu'il a fait de son parcours et de ses activités au sein de l'EI.

Ce Canadien né de parents pakistanais a rejoint l'EI en 2014 sous le nom de guerre Abou Tourab al-Kanadi. Il dit avoir été longuement interrogé par la CIA et des responsables militaires américains durant sa détention par les FDS.

"Chaque fois que je suis emmené à un interrogatoire ou un entretien, j'espérais que ce serait avec quelqu'un du gouvernement canadien, quelqu'un qui peut me donner un peu d'espoir", indique Mohammad Ali.

"Jusqu'à maintenant, rien. Je n'ai nulle part où aller", dit le jeune homme vêtu d'une jellaba grise, bonnet sur le crâne et des sandales noires usées au pied.

- Pas d'accord -

Le ministère des Affaires étrangères du Canada a indiqué à l'AFP avoir établi un canal de communication avec les autorités kurdes syriennes, mais ajouté qu'il n'y avait aucun accord pour des rapatriements à ce jour.

Selon l'ONG "Familles contre l'extrémisme violent", quelque 25 Canadiens sont retenus par les FDS.

Comme le Canada, plusieurs gouvernements occidentaux se montrent réticents à rapatrier ces jihadistes.

Mohammad Ali affirme avoir rejoint l'EI pour lutter contre le pouvoir de Bachar al-Assad.

Fort de son expérience dans l'industrie pétrolière au Canada, il dit avoir été employé pendant quatre mois au "ministère du Pétrole" établi par l'EI, fonction durant laquelle il a utilisé son compte Twitter, très suivi, pour lancer des appels à rejoindre le groupe jihadiste.

Il a ensuite endossé la casquette de combattant et de formateur, mais prétend avoir "refusé de tirer sur des civils".

Le Canadien se dit "épuisé" et s'accorde de longues pauses avant de marmonner ses réponses.

- "Attendre leur heure" -

C'est en 2016 que le jeune homme commence à douter de l'EI qui recule face à aux offensives et se retourne selon lui contre les étrangers. Un ami hollandais sera exécuté, affirme-t-il, sans vouloir s'attarder sur la question.

"Les étrangers se sentaient abandonnés, lâchés, ils ont été utilisés et on a abusé d'eux" au sein de l'organisation, avance-t-il.

Mohammad Ali paye un contrebandier pour entreprendre avec sa femme, également liée à l'EI et rencontrée en Syrie, le périlleux passage vers la Turquie, depuis la province de Deir Ezzor.

Il voulait se rendre à l'ambassade du Canada à Ankara, mais la famille a été arrêtée avant de franchir la frontière, dit-il.

Depuis son arrestation, Mohammad Ali dit ne pas avoir été autorisé à rejoindre sa femme ou ses filles installées dans des camps de déplacés gérés par les FDS, ni à contacter sa famille au Canada.

L'ultime poche où est acculé l'EI à Deir Ezzor est la cible d'une offensive des FDS et, ces deux derniers mois, des centaines d'étrangers affiliés au groupe jihadiste ont fui le secteur.

Mohammad Ali se rend compte qu'il risque d'aller en prison, en cas de retour au Canada. Mais il plaide pour ne pas être mis dans le même sac que d'autres jihadistes étrangers connus pour leurs exactions, tels les Britanniques Alexanda Amon Kotey et El Shafee el-Sheikh, qui ont exécuté des otages.

Même si l'EI est en passe de perdre tout contrôle territorial en Syrie, M. Ali dit que les jihadistes restent dangereux, et pourraient se reconstituer.

"Parmi les Syriens et les Irakiens, il y en a beaucoup qui se fondent parmi la population (...) Ils pourront se relever", met-il en garde. "Ils ont des poches dans le désert, des gens qui se font passer pour des civils, en train d'attendre leur heure".

mjg/tgg/tp/gk

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.