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Syrie: le retrait américain laisse les Kurdes à découvert (analystes)


Jeudi 20 decembre 2018 à 17h58

Beyrouth, 20 déc 2018 (AFP) — La décision américaine de retirer ses troupes du nord de la Syrie ouvre un boulevard à la Turquie pour mettre à exécution ses menaces de nouvelle offensive contre les forces kurdes, contraintes de se retourner vers le régime, selon des experts.

Le président Donald Trump a ordonné mercredi, à la surprise générale, le retrait des troupes américaines stationnées en Syrie, estimant avoir atteint son objectif, celui de "vaincre" le groupe Etat islamique (EI) dans ce pays déchiré par la guerre.

Cette annonce intervient alors que le président turc Recep Tayyip Erdogan avait réaffirmé lundi sa détermination à "se débarrasser" des milices kurdes dans le nord de la Syrie, soutenues jusqu'à présent par Washington.

"Il s'agit d'un feu vert à une offensive turque", estime Mutlu Civiroglu, expert en affaires kurdes.

"Si la décision du retrait est vraiment appliquée, cela ouvrira la voie à la Turquie pour commencer ses opérations contre les Kurdes et une guerre sanglante débutera", ajoute-t-il à l'AFP.

La Turquie voit d'un très mauvais oeil l'émancipation des Kurdes en Syrie, qui ont instauré une région "fédérale", appelée Rojava, sur près de 30% du territoire à la faveur du conflit syrien.

- Détente américano-turque -

Elle redoute de voir s'instaurer un embryon d'Etat kurde à ses portes, au risque de renforcer les velléités séparatistes de la minorité kurde en Turquie.

Ankara a déjà mené deux offensives dans le nord syrien depuis 2016, dont la dernière a permis début 2018 à ses troupes ainsi qu'à leurs supplétifs syriens de mettre la main sur Afrine, l'un des trois cantons de la zone semi-autonome kurde.

Les forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance dominée par les Kurdes soutenue par une coalition internationale antijihadiste dirigée par les Etats-Unis, sont depuis plusieurs années le fer de lance de la lutte contre l'EI en Syrie et mènent depuis septembre des combats acharnés contre l'ultime réduit du groupe dans l'est du pays.

Mais la Turquie qualifie les Unités de protection du peuple (YPG), épine dorsale des FDS, de groupe "terroriste" pour ses liens présumés avec le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui livre une sanglante guérilla sur le sol turc depuis 1984.

Ce différend sur la question kurde a longtemps été une source de crispations entre les deux alliés de l'Otan, notamment après l'installation par Washington de postes d'observation à la frontière syrienne pour empêcher toute altercation entre les YPG et l'armée d'Ankara.

Mais les relations américano-turques se sont nettement détendues depuis la libération en octobre par la Turquie du pasteur américain Andrew Brunson.

Et mercredi, Washington a approuvé la vente à la Turquie de son système antimissiles Patriot pour un montant de 3,5 milliards de dollars, alors qu'Ankara envisageait auparavant l'achat d'équipements de défense russes.

"Cette décision (de retrait américain) porte un coup aux aspirations kurdes dans le nord de la Syrie, mais les Kurdes s'y préparaient, en entamant des pourparlers avec Damas", estime Joshua Landis, spécialiste du conflit syrien.

- "Trahison" -

Des responsables kurdes avaient mené cet été dans la capitale syrienne un premier round de pourparlers avec le régime concernant l'avenir du nord de la Syrie, déserté en 2012 par les forces loyalistes.

Les Etats-Unis ne peuvent pas rester en Syrie ad vitam æternam, estime M. Landis. Ils "sont entourés d'ennemis déterminés à les forcer à quitter la Syrie".

Cependant, "ils ne doivent pas se retirer d'un seul coup, et doivent négocier un accord favorable pour les Kurdes en Syrie (...) avec des garanties russes et syriennes", ajoute-t-il.

Même son de cloche pour Joost Hiltermann, de l'International Crisis Group, selon qui l'administration américaine devrait "négocier un accord qui rétablirait la souveraineté syrienne (sur le nord) tout en accordant un degré d'autonomie aux Kurdes et en empêchant le retour de l'EI".

Selon Joost Hiltermann, de l'International Crisis Group, un retrait américain précipité laisserait les Kurdes plus exposés que jamais.

"La décision, si elle est appliquée précipitamment, laisserait les FDS dans une situation très précaire", dit-il.

"A la fois la Turquie et la Syrie veulent éliminer les YPG comme acteur militaire", prévient-il.

En attendant sur le terrain, des Kurdes manifestant à Ras al-Ain, près de la frontière avec la Turquie, voyaient jeudi le retrait des Etats-Unis comme un abandon.

"C'est une trahison majeure pour le peuple de Rojava", a déploré Khaled Usso, un protestataire de 45 ans.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.