2 juillet 2003

Turquie: "J'ai assisté à la dernière séance du procès de Leyla Zana."

Sylvie Jan représentait le Parti communiste français lors de la dernière séance du procès de Leyla Zana. Elle s'était engagée activement, dès 1994, avec de nombreuses personnalités et alors qu'elle était présidente de la Fédération internationale des femmes pour sauver la députée kurde menacée de la peine de mort. Elle témoigne.

Par Sylvie Jan

La révision du procès des quatre parlementaires kurdes, qui vient de se dérouler à Ankara est une première dans l'histoire de la Turquie. Elle est due à la décision récente du Parlement turc, conformément à la condamnation unanime de la Cour européenne des droits de l'homme, qui avait jugé le premier procès tenu en 1994 " non équitable ". Leyla Zana, Orhan Dogan, Hatip Dicle et Selim Sadak avaient alors été condamnés à quinze ans de prison pour délit d'opinion. Supposés engagés avec les rebelles séparatistes kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), la solidarité internationale les avait sauvés de la peine de mort. Depuis ce procès, je n'avais revu Leyla Zana qu'une seule fois en prison, un an plus tard. Elle n'avait eu que des paroles de paix : " Je veux que toute cette répression contre le peuple kurde, tout ce bain de sang s'arrête. Mon combat pour les droits humains fera avancer la Turquie. Je suis lucide et c'est aujourd'hui le prix à payer. Je suis là pour les Kurdes et pour les Turcs. " Depuis, toutes les demandes, toutes les tentatives d'entrer sur place ont été repoussées. Nos échanges n'ont pu se poursuivre que par écrit.

Retour à la Cour de sûreté de l'État d'Ankara pour ce nouveau procès. C'est la quatrième audience, depuis son ouverture au mois de mars dernier. Des amis venus de nombreuses villes de Turquie, des témoins de la défense arrivés de l'est du pays après vingt heures de bus, Akin Birdal, sorti miraculeusement d'un attentat qui lui avait laissé treize balles dans le corps, l'avocate Iren Keskin, Yavuz Onen, président de la Fondation des droits de l'homme en Turquie, tous sont au rendez-vous avec gravité. Ils savent l'enjeu de ce procès. La Turquie va-t-elle enfin accepter d'avoir un geste significatif de démocratisation à l'égard des Kurdes ?

L'entrée des députés se fait dans un silence de plomb. Lorsque Leyla apparaît, il n'y a pas que mon cour qui bat, nous sommes nombreux dans la salle à ne pas l'avoir vue depuis longtemps. La démarche assurée, le cheveu court toujours très noir, les joues légèrement arrondies par le temps, pas une ride, elle porte une tunique bleu turquoise qui tranche avec la grisaille ambiante. La seule femme. Elle a quarante-deux ans, elle irradie de sérénité. Son regard brillant, son sourire d'une merveilleuse fraîcheur impressionne tout le monde. La prison n'a eu aucune prise sur elle. Elle parle beaucoup avec ses yeux. Elle salue les quelques Européens présents, embrasse et rassure les siens, s'attarde sur Rüken, sa fille, qu'elle voit chaque mardi mais seulement derrière une vitre. Les quatre parlementaires sont pour quelques secondes face à nous et ne pourront se retourner qu'au moment des pauses, avant de disparaître entourés des militaires armés.

Lors de la précédente séance, Leyla avait déclaré : " Vous messieurs les juges, vous aussi les journalistes et observateurs, bref nous tous et donc la Turquie, nous sommes en train de passer un examen de démocratie. Par conséquent, même si nous avons l'impression que cette période procédurale concerne en premier lieu nos libertés individuelles, au fond cela concerne notre avenir commun. Si notre problème était uniquement la liberté individuelle, nous n'aurions pas attendu cette période en Turquie, mais aurions exercé notre droit à l'exil volontaire. Nous saluons et soutenons malgré les insuffisances existantes, les ouvertures telles que l'abolition de la peine de mort, l'éducation en d'autres langues que le turc. Mais nous voudrions attirer l'attention sur la non application de ces réformes et le fait que ce retard est susceptible de constituer un terreau propice aux provocations. Nous ne pouvons pas panser les blessures d'une période que l'on ne veut plus vivre avec des rancours, de la haine et des sentiments fondés sur la vengeance. Ne pas être compris est comme une blessure qui vous anéantit et qui ne peut pas être soignée facilement. Nous ne pouvons soigner nos blessures que par le biais d'un dialogue et d'un essai de compréhension mutuelle. L'Europe sans la Turquie sera un projet inachevé. Faites ce signe à l'Europe et au monde, pour montrer que vous voulez démocratiser la Turquie ! "

Dans les conclusions de l'audience de ce mois de juin, le procureur a rejeté la demande de libération " pour cette fois-ci ".

Cette fois-ci ? Prochaine audience dans le courant de ce mois.

Pour demander la libération des parlementaires kurdes, écrivez à l'ambassade de Turquie, 16, rue d'Ankara, 75016 Paris.