Cinq mouvements
pour un silence

 

 

 

de N. Lygeros

 

 

 

 

 

 

 

 

Cinq mouvements pour un silence

 

 

Composition

 

Premier mouvement : Allegro
Deuxième mouvement : Andante
Troisième mouvement : Scherzo
Quatrième mouvement : Variazione
Cinquième mouvement : Finale

 

Musiques

 

1. Prokofiev : Roméo et Juliette (suite de ballet). Montaigus et Capulets

2. Beethoven : Symphonie No 7 en la majeur, Opus 92. Allegretto (Marcia funebre)

3. Beethoven : Symphonie No 9 en ré mineur, Opus 125. Molto vivace

4. Mozart : Requiem d-moll KV 626. Tuba mirum

5. Mozart : Requiem d-moll KV 626. Requiem/Aeternam

 

 

 

Cette pièce, construite comme une composition, évoque le thème de la résistance de la mémoire face à l'oppression de l'oubli. Sans se contenter de se souvenir, les hommes décident de ne pas oublier. A travers ce choix étrange, nous apercevons le problème de la conscience collective qui transcende le mur des mots pour atteindre le silence.

 

 

 


Premier mouvement

 

Allegro

 

Luc, Marc.

 

 

La scène est vide de tout objet. Il est difficile d'identifier sa nature. Elle représente le symbole musical. Un personnage fait irruption sur la scène. Il tient un journal d'une main et une chaise de l'autre. Il traîne la chaise rapidement.

 

Luc

 

Je ne pensais pas que cela fut possible... Silence.

 

Il s'assoit sur la chaise et regarde le journal avec étonnement.

 

Un autre personnage arrive lui aussi en traînant une chaise. Il s'assoit en opposition au premier personnage. Ils sont dos à dos à présent.

 

Marc

 

Je crois au contraire que tout est possible...

 

Luc se penche vers Marc.

 

Luc

 

As-tu lu le journal ?

 

Marc

 

Non !

 

Luc

 

Alors comment peux-tu savoir de quoi je parle ?

 

Marc

 

Je ne le sais pas.

 

Luc

 

Tu es insupportable !

 

Marc

 

C'est quelque peu excessif tout de même !

 

Luc

 

Le sujet est grave.

 

Marc

 

J'en conviens... Un temps. Cependant cela change-t-il quelque chose ?

 

Luc

 

C'est bien là tout le problème !

 

Marc

 

Quel est le thème de notre conversation d'aujourd'hui ?

 

Luc

 

Un crime qui n'a peut-être pas existé !

 

Marc

 

Quel drôle de sujet !

 

Luc

 

Il est pourtant à la une...

 

Il montre le journal.

 

Marc

 

Cela ne prouve rien... De quoi s'agit-il ?

 

Luc

 

De génocide... Silence.

 

Marc se retourne brusquement.

 

Marc

 

Je croyais que tu plaisantais.

 

Luc

 

Tout le monde pense qu'il s'agit d'une plaisanterie.

 

Marc

 

Tu parles sérieusement ?

 

Luc

 

Oui. Silence.

 

Il lui tend le journal. Marc parcourt l'article. Son visage s'attriste.

 

Marc

 

Ils sont inconscients. Un temps. Comment peuvent-ils plaisanter à ce sujet.

 

Luc

 

Car de nos jours, tout est sujet à plaisanterie.

 

Marc

 

Mais ici ce n'est même pas un crime de guerre, c'est un crime contre l'humanité.

 

Luc

 

Qu'importe pour eux il ne s'agit que de mots.

 

Marc

 

Mais ces mots blessent la mémoire !

 

Luc

 

Les hommes qui ont survécu au génocide meurent peu à peu et avec eux, leur mémoire.

 

Marc

 

Alors nous devons agir !

 

Luc

 

Mais comment ?

 

Marc

 

Nous devons nous souvenir pour eux.

 

Luc

 

Cela ne suffira pas !

 

Marc

 

Alors nous ne devons pas oublier ! Silence.

 

Luc

 

Oui, c'est cela... Un temps. Seule la mémoire peut vaincre la mort.

 

Marc

 

C'est pour cela qu'ils tentent d'assassiner notre mémoire.

 

Luc

 

Cependant nous ne sommes ni Arméniens, ni Chypriotes, ni Grecs, ni Juifs, ni Kurdes, ni... !

 

Marc

 

Cela n'est pas une raison ! Au contraire !

 

Luc

 

Au contraire ?

 

Marc

 

Comme la mémoire n'a pas marqué notre corps, elle doit marquer notre esprit.

 

Luc

 

As-tu conscience de l'effort que cela représente ?

 

Marc

 

Un devoir de mémoire, n'est pas un effort. Un temps. Nous n'étions pas là au moment des évènements mais nous serons présents désormais.

 

Luc

 

Nous ne sommes pas responsables des vies du passé mais de la mémoire du futur ! Silence. Seulement qui nous croira ?

 

Marc

 

Les hommes qui savent souffrir...

 

Luc

 

Mais ils sont si peu !

 

Marc

 

C'est le principe de la résistance.

 

Luc

 

Tu veux dire que les résistants sont toujours peu nombreux.

 

Marc

 

Oui, ils ne le deviennent que lorsqu'ils ont réussi.

 

Luc

 

Et s'ils échouent ?

 

Marc

 

En général, nous les oublions.

 

Luc

 

Nous aurons besoin des autres.

 

Marc

 

Nous avons toujours besoin des autres.

 

Luc

 

Viendront-ils ?

 

Marc

 

Ils viennent toujours !

 

Luc

 

Mais cette fois, c'est différent.

 

Marc

 

Alors ils ne repartiront plus.

 

Luc

 

Je n'arrive pas à croire qu'ils tentent d'assassiner la mémoire.

 

Marc

 

C'est pourtant la réalité ! Un temps. Et si nous ne résistons pas, ils vont y parvenir.

 

Luc

 

Que pouvons-nous faire ? Un temps. Nous ne sommes que des hommes...

 

Marc

 

C'est parce que nous sommes des hommes que nous devons résister.

 

Luc

 

Quel qu'en soit le prix ?

 

Marc

 

La mémoire n'a pas de prix.

 

Luc

 

J'ai peur de la mort...

 

Marc

 

C'est l’oubli que nous devons craindre, la mort est naturelle, l'oubli est inhumain !

 

Ils quittent la scène en laissant les chaises.

 

 

 


Deuxième mouvement

 

Andante

 

Anne, Jean puis Luc, Marc et Matthieu.

 

 

Sur la scène, nous discernons avec peine la silhouette de deux personnages attachés à des chaises. Ils semblent abattus. Leurs têtes penchent misérablement vers le sol froid. Silence. Tout à coup, ils reçoivent de l'eau glacée. Ils se relèvent brusquement. Au même instant, une douche intense les éclaire.

 

Anne

 

C'est la fin ?

 

Jean

 

Non, c'est le commencement !

 

Anne

 

Cela ne finira donc jamais.

 

Jean

 

Ils nous veulent vivants... Un temps.

 

Anne

 

Pour quelle raison ?

 

Jean

 

Si nous mourons, d'autres se souviendront de nous... Un temps. Ils veulent que nous oubliions !

 

Anne

 

Mais comment oublier un génocide ?

 

Jean

 

Certains l'ont fait et d'autres le feront.

 

Anne

 

C'est indigne !

 

Jean

 

Nul besoin de dignité pour vivre.

 

Anne

 

Mon Dieu !

 

Elle penche la tête.

 

Jean

 

Redresse-toi, ils nous regardent.

 

Anne

 

Nos bourreaux ne me font pas peur, c'est de nos corps que j'ai peur.

 

Jean

 

Ils n'en veulent qu'à notre esprit !

 

Anne

 

L'aveu de l'oubli... Silence.

 

Jean

 

Tant que nous serons ici, les autres lutteront pour nous.

 

Anne

 

Nous ne sommes donc pas seuls ?

 

Jean

 

Nous sommes toujours seuls, mais d'autres partagent la même solitude.

 

Anne

 

Les hommes aux ailes brisées.

 

Jean

 

Elles ne sont pas toutes brisées... Un temps.

 

Anne

 

Tant que l'un d'entre nous restera vivant, l'oubli ne vaincra pas.

 

Jean

 

Non, tant que l'un d'entre nous n'aura pas avoué la mort de la mémoire.

 

Ils se retrouvent dans l'obscurité.

 

Anne

 

Jean ! Jean !

 

Jean

 

Je suis là, près de toi.

 

Anne

 

Ils vont nous frapper à nouveau ?

 

Jean

 

Oui mais nous résisterons. Un temps. Surtout n'ouvre pas la bouche...

 

Nous entendons des coups et des bruits sourds. Puis le second mouvement de la septième de Ludwig van Beethoven. Allegretto Marcia funebre.

 

Obscurité totale. 

 

En bord de scène. Eclairage arrêté. Trois personnages discutent à voix basse.

 

Matthieu

 

Ils ont arrêté deux des nôtres... Silence. Anne et Jean.

 

Marc

 

Nous devons tout faire pour qu'ils les relâchent.

 

Luc

 

Sais-tu où ils sont enfermés ?

 

Matthieu

 

Non, pas encore...

 

Marc

 

Il faut faire vite.

 

Luc

 

Ils font ce qu'ils peuvent... Ne sois pas dur avec eux...

 

Matthieu

 

Dès demain, nous saurons où ils se trouvent.

 

Marc

 

Nous devons les retrouver vivants.

 

Luc

 

Vivants, ils le seront.

 

Marc

 

Que veux-tu dire ?

 

Matthieu

 

Luc a raison, ils seront vivants de toute manière.

 

Marc

 

Alors je ne comprends pas...

 

Luc

 

L'aveu... C'est tout ce qu'ils désirent.

 

Marc

 

Mais que peuvent-ils avouer ? Un temps. La vérité est connue de tous.

 

Matthieu

 

Connue de tous et oubliée de la plupart.

 

Marc

 

Lavage de cerveau...

 

Luc

 

La mort de la mémoire, c'est leur unique but.

 

Marc

 

Le génocide ne leur suffisait pas.

 

Matthieu

 

Non ! Un temps. Celui-ci doit être oublié.

 

Luc

 

Aucun de nous ne l'acceptera.

 

Matthieu

 

Alors nous devrons nous aussi être oubliés.

 

Marc

 

C'est donc cela leur but. Un temps. L'effacement de toute mémoire.

 

Matthieu

 

C'est seulement ainsi qu'ils poursuivront leur invasion...

 

Luc

 

Comme si les gens n'écoutaient que les bourreaux.

 

Marc

 

C'est ainsi que se referme le piège sur les victimes. Un temps. Nous devons les retrouver le plus tôt possible.

 

Matthieu

 

C'est ce que nous tenterons de faire.

 

Luc

 

Laisse-leur un peu de temps.

 

Marc

 

De combien de temps disposent Anne et Jean ?

 

Matthieu

 

Ils tiendront le coup.

 

Luc

 

Oui, j'en suis certain.

 

Marc

 

Combien de sacrifices seront-ils encore nécessaires pour que vive la mémoire des peuples ?

 

Luc

 

Tant que les régimes militaires existeront, nous devrons lutter.

 

Matthieu

 

Lutter dans l'indifférence générale...

 

Marc

 

Et dans l'isolement social.

 

Luc

 

C'est l'unique moyen de devenir des hommes...

 

Marc

 

La mémoire est un morceau d'humanité dans l'homme.

 

 

 


Troisième mouvement

 

Scherzo

 

Anne, Jean, Luc, Marc, Matthieu.

 

 

Toute la scène se déroule dans la pénombre. Les mouvements sont vifs. Ils dépassent la parole. Des personnages accourent de toutes parts. Ils convergent vers ceux qui sont attachés aux chaises.

 

Matthieu

 

Ils sont là !

 

Marc

 

Vite ! Vite !

 

Luc

 

Anne ! Jean !

 

On entend un son sourd.

 

Matthieu

 

Dans quel état ils les ont mis !

 

Marc

 

Détachons-les !

 

Ils s'affairent autour d'eux.

 

Luc

 

Je crois que c'est bon !

 

Ils les relèvent lentement.

 

Matthieu

 

Levons-les, à présent. Un temps. Nous devons partir !

 

Les trois soutiennent les deux et avancent avec peine.

 

Jean

 

Laissez-la !

 

Anne

 

Jean !

 

Luc

 

C'est nous ! Ne craignez rien !

 

Matthieu

 

Je suis là avec Luc et Marc.

 

Jean

 

Matthieu, c'est toi ?

 

Matthieu

 

Oui, mon ami.

 

Jean

 

Occupez-vous d'Anne...

 

Luc et Marc la soutiennent encore mieux.

 

Anne

 

Jean ! Jean !

 

Jean

 

Ce sont les nôtres, Anne, tu n'as plus rien à craindre.

 

Anne

 

Ne me laisse pas seule...

 

Luc

 

Anne, tout va bien à présent. Un temps. Vous êtes libres !

 

Anne

 

Libres ?

 

Marc

 

Oui, libres !

 

Anne

 

Jean, méfie-toi c'est encore un de leurs pièges.

 

Jean

 

Non, non... Un temps. Viens dans mes bras, Anne.

 

Anne

 

Que vont-ils nous faire encore ?

 

Jean

 

Plus rien. Il ne nous arrivera plus rien.

 

Marc

 

Il faut partir.

 

Jean

 

Mais elle ne peut pas.

 

Luc

 

Comment ?

 

Jean

 

Elle ne vous reconnaît pas, la pauvre.

 

Anne

 

Jean ?

 

Jean

 

Je suis là !

 

Anne

 

Reste avec moi. Un temps. Ne me laisse pas seule. 

 

 

La scène s'éclaire et nous nous retrouvons dans une maison. Anne est entourée de ses amis. Pourtant elle semble ne pas les reconnaître.

 

Marc

 

Je ne sais pas ce que nous allons faire...

 

Luc

 

Elle semble avoir perdu tout souvenir...

 

Jean

 

Ils nous ont matraqués jour et nuit. Un temps. Si vous n'étiez pas venus plus tôt... Silence. Je serais dans le même état.

 

Matthieu

 

Vous avez tellement souffert...

 

Jean

 

Mais elle n'a rien avoué ! C'est pour cela qu'ils l'ont mise dans cet état.

 

Luc

 

Comment peut-on être si ignobles.

 

Marc

 

Ils ont commis un génocide, ils sont capables de tout.

 

Matthieu

 

Alors comment leur résister ?

 

Jean

 

Peu importe le moyen, l'essentiel c'est de résister.

 

Luc

 

Cela ne suffit pas ! Un temps. Regarde, Anne. Elle a trop souffert. Elle ne nous reconnaît plus.

 

Jean

 

Nous lui apprendrons à nouveau l'histoire.

 

Marc

 

Mais comment ?

 

Jean

 

Chacun de nous lui dira un texte par jour.

 

Luc

 

Tu es inconscient.

 

Jean

 

Alors nous ferons cela de nuit.

 

Matthieu

 

Vous êtes complètement fous.

 

Marc

 

Non, nous sommes des résistants et nous l'aiderons par tous les moyens.

 

Luc

 

Vous avez raison ! Un temps. Nous lui réécrirons l'histoire. Elle restera avec nous.

 

Matthieu

 

Alors nous commencerons dès aujourd'hui.

 

Marc

 

A travers elle, nous retrouverons la tradition des peuples qui ont souffert.

 

Luc

 

Nous devrons remonter le temps.

 

Marc

 

Le temps est avec nous.

 

Jean

 

Tant que nous n'oublierons pas.

 

Matthieu

 

Alors chacun de nous devra consigner tout ce qu'il sait. Un temps. Ainsi elle aura une vision globale de notre histoire.

 

Anne

 

Jean, tu es là !

 

Jean s'approche d'elle.

 

Jean

 

Oui, Anne. Je serai toujours là.

 

Anne

 

Parle-moi...

 

Jean fait signe aux autres qui se lèvent.

 

Jean

 

Je raccompagne nos amis.

 

Anne

 

Ne me laisse pas.

 

Il lui prend la main.

 

Jean

 

Je commencerai donc le premier.

 

Il lui parle à voix basse tandis que les autres personnages sortent de scène.

 

 

 


Quatrième mouvement

 

Variazione

 

Anne, Jean, Luc, Marc, Matthieu.

 

 

Nous retrouvons les mêmes personnages plusieurs semaines après les terribles évènements. Leur lutte commune les a encore plus soudés. Ils forment désormais les doigts d'une même main qui ne cesse d'écrire l'histoire afin que l'essentiel ne soit oublié. Chacun est assis à une table, éclairé d'une bougie. L'ambiance est celle d'une bibliothèque cachée. L'un des personnages relève la tête.

 

Luc

 

Avant que nous n'écrivions à nouveau l'histoire du siècle précédent je n'avais pas conscience... Un temps.

 

Anne

 

De quoi n'avais-tu pas conscience ?

 

Luc

 

De l'importance de la notion de génocide.

 

Jean

 

Cela ne provient pas de toi ! Un temps. Même la langue française n'a découvert ce mot qu'en 1944, comme s'il n'avait pas existé auparavant.

 

Matthieu

 

Et pourtant bien avant 1944, le siècle avait été blessé par le génocide.

 

Marc

 

Seulement qui se souvient de 1915 ?

 

Luc

 

Je me suis rendu compte aussi qu'il existait une idée bien pire que celle du génocide... Silence.

 

Jean

 

Comment est-ce possible ?

 

Anne

 

L'oubli ?

 

Luc

 

Oui, l'oubli mais pas seulement...

 

Matthieu

 

La reconnaissance... Un temps. Ou plutôt la non reconnaissance...

 

Luc

 

Oui, c'est cela l'idée. La non reconnaissance du génocide est bien pire que le génocide !

 

Jean

 

Je ne comprends pas ton raisonnement.

 

Luc

 

Dans l'expression destruction méthodique qui qualifie le génocide, c'est le mot méthodique qui est le pire.

 

Matthieu

 

Je comprends à présent ce que veut dire Luc. Un temps. La justice elle-même effectue une distinction entre crime passionnel et crime prémédité.

 

Luc

 

Ce qui différencie les deux, c'est justement la méthode. Et la non reconnaissance est la continuation de cette méthode.

 

Jean

 

A travers la négation de la mémoire, ils assassinent les morts.

 

Anne

 

Il ne leur suffit pas de les avoir torturés ; ils veulent aussi qu'ils meurent dans l'oubli.

 

Matthieu

 

Les évènements historiques peuvent expliquer l'apparition d'un génocide mais seule l'ignominie peut justifier la non reconnaissance.

 

Jean

 

Le génocide est une blessure pour l'humanité tandis que la non reconnaissance est une aliénation de l'homme.

 

Luc

 

Certains hommes n'interviennent pas car ils n'étaient pas présents au moment des évènements sans se rendre compte que leur neutralité ne sert que les bourreaux.

 

Matthieu

 

Dans le génocide, je vois la barbarie alors que dans la non reconnaissance se trouve son horreur.

 

Anne

 

Dans la reconnaissance, il y a bien plus que le devoir de mémoire. Il y a la résurrection d'un peuple.

 

Marc

 

Je partage ces pensées mais ce sont des actes qu'il nous faut.

 

Jean

 

C'est pour cela que nous écrivons l'histoire.

 

Luc

 

Mais nous devons aussi écrire l'histoire du futur. Un temps. Les génocides si nous voulons qu'ils appartiennent au passé, nous devons nous occuper de leur reconnaissance.

 

Marc

 

Nos ennemis ne sont pas les bourreaux qui sont morts mais ceux qui continuent leur oeuvre à travers la non reconnaissance.

 

Matthieu

 

Et comment convaincre celui qui ne connaît pas !

 

Luc

 

Pour vaincre avec lui, nous devons naître avec lui.

 

Jean

 

Pour certains, l'écriture de la déclaration des droits de l'homme est un non sens alors qu'elle est nécessaire.

 

Anne

 

A travers le génocide, notre lutte s'adresse à l'Humanité.

 

Luc

 

L'Humanité a elle aussi le droit d'exister.

 

Marc

 

A l'instar de tout homme libre.

 

Matthieu

 

Nous devons lutter contre tout pays, tout système qui bafoue les droits de l'homme et ne reconnaît pas les génocides.

 

Jean

 

Nous devons lutter en priorité contre les pays qui ont commis des génocides et qui ne le reconnaissent pas car ils servent d'exemples à l'ignominie.

 

Matthieu

 

Seulement il faut être prudent.

 

Anne

 

Comment oses-tu parler de prudence quand il s'agit de génocide ?

 

Matthieu

 

Ce n'est pas ce que je voulais dire. Justement je pensais à vous, à toi et à Jean.

 

Anne

 

Ce n'est pas à nous qu'il faut penser mais aux autres qui n'ont pas pu se défendre, aux autres qui sont morts parce qu'ils existaient, aux autres qui ne vivent que dans nos mémoires.

 

Jean

 

C'est uniquement à cela que nous devons penser.

 

Marc

 

Pour nous aider je connais une personne qui a survécu au génocide.

 

Matthieu

 

Nous devons la rencontrer le plus tôt possible.

 

Marc

 

Alors nous devons aller la voir chez elle. Elle ne peut se déplacer désormais. Les tortures l'ont clouée à son fauteuil.

 

Anne

 

Nous avons besoin d'elle. Partons !

 

Ils soufflent sur leurs bougies et partent.

 

 

 


Cinquième mouvement

 

Finale

 

 

Anne, Jean, Luc, Marc, Matthieu, Silence et Sophie.

 

 

Dans une petite maison, une pièce est éclairée d’une lumière douce. Là, nous voyons une ombre accompagnée du silence. Nous entendons un bruit de sonnette.

 

Sophie

 

Ce sont eux !

 

Le personnage muet s’éloigne et revient avec le groupe.

 

Marc

 

Nous ne voudrions pas vous déranger mais nous devions venir vous voir.

 

Sophie

 

Vous avez bien fait, mes enfants.

 

Marc

 

Nous voulons que vous nous aidiez.

 

Sophie, en montrant sa chaise.

 

Cela fait longtemps que je ne peux plus aider personne.

 

Le personnage muet pose sa main sur son épaule et elle esquisse un sourire.

 

Sans le soutien du silence, je ne serais plus.

 

Marc

 

Ne dites pas cela… Un temps. Surtout maintenant…

 

Sophie

 

Pourquoi maintenant ?

 

Jean

 

Car nous avons un combat à mener.

 

Sophie

 

Un combat ?

 

Luc

 

Une œuvre à créer… Silence.

 

Sophie

 

Ma vie s’achève.

 

Anne

 

Mais votre œuvre doit subsister.

 

Sophie

 

Je suis la survivante d'un génocide non reconnu. Un temps. Mon œuvre n’existe pas.

 

Matthieu

 

Non, c’est faux !

 

Sophie

 

Pourtant je sombre dans l’oubli et dans l’indifférence générale. Tandis que d’autres négocient le futur de nos enfants avec les bourreaux du passé.

 

Marc

 

C’est pour cela que nous sommes là !

 

Sophie

 

Vous arrivez trop tard, mes enfants.

 

Marc

 

Trop tard ?

 

Sophie

 

Tous les autres sont morts. Un temps. Je suis la dernière des survivantes. Après moi, plus personne ne pourra les accuser.

 

Luc

 

Nous nous adresserons à la cour européenne des droits de l’homme.

 

Sophie

 

Sans documents, ils seront incapables de …

 

Matthieu

 

Mais vous êtes notre document ! En vous, vit la mémoire du génocide.

 

Sophie

 

Elle vit comme une note dans un requiem.

 

Anne n’y tenant plus embrasse Sophie et elle est rejointe par Jean.

 

Jean

 

Si nous avions pu être là plus tôt.

 

Sophie

 

Vous devez vivre, mes enfants. Assez d’hommes n’ont connu que la mort.

 

Marc

 

Mais à présent il s’agit de l’invasion de l’oubli.

 

Sophie, dans un cri.

 

Non ! L’oubli ne passera pas !

 

Marc

 

Alors je vous en supplie, aidez-nous !

 

Sophie

 

Que dois-je faire ?

 

Luc

 

Le récit de chaque événement.

 

Sophie

 

Vous me demandez de revivre la mort… Silence.

 

Le personnage muet se penche vers elle et lui souffle un mot à l’oreille. Les autres attendent sa réaction.

 

Je le ferai à une condition !

 

Matthieu

 

Nous ferons ce que vous voudrez.

 

Sophie

 

Je veux que vous poursuiviez ce combat même après ma mort. Silence. A partir d’aujourd’hui vous serez ma mémoire.

 

Anne

 

Vous êtes notre humanité.

 

Sophie

 

Quand voulez-vous commencer ?

 

Jean

 

Le plus tôt possible.

 

Sophie

 

Alors nous commencerons en ce jour.

 

Elle fait un signe au personnage muet qui sort de scène aussitôt.

 

Silence.

 

Personne n’ose intervenir. Tout le monde attend son retour.

 

Silence.

 

Le personnage muet revient entouré d’une immense étoffe noire. Il la traîne avec peine. Tous les autres se relèvent. Il continue imperturbable, son avancée sans se préoccuper d’eux. Il finit par remplir toute la scène de cette étoffe noire.

 

 

Sophie

 

Sur cette étoffe sont inscrits tous les noms des victimes du génocide. Il ne manque plus que le mien. Un temps. Prenez-la elle est à vous désormais. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas nous oublier car nous ne sommes plus que cette étoffe noire.

 

Chacun à leur tour, ils lèvent l’étoffe noire. Le personnage muet reprend son avancée et sort de scène. Il marche à travers le public. Il est suivi par l’ensemble du groupe qui tente avec peine de retenir ses larmes. Ils sortent tous de scène en laissant Sophie seule.

 

Mon Dieu, à présent que ma tâche est finie, prends-moi avec toi.

 

Elle penche la tête et ferme les yeux. Le personnage muet accompagné du groupe revient et ils la placent à même le sol, en la recouvrant de l’étoffe noire. Ils s’agenouillent tous.

 

Pénombre.

 

Obscurité.

 

Noir.

 

Fin.