Manifestation contre l'arrestation de journalistes et de chercheurs, le 21 juin 2016, à Istanbul. Photo Lefteris Pitarakis. AP
Liberation.fr
Les premiers procès de 150 enseignants et chercheurs, accusés de propagande par le gouvernement Erdogan, ont commencé mardi.
Ces collègues hommes et femmes, de toutes disciplines et de toutes générations, sont poursuivis pour les mêmes motifs : leur adhésion à la pétition des «Universitaires pour la paix», s’alarmant du sort des populations civiles kurdes prises en otages par la guerre entre le PKK et les forces de sécurité de l’Etat, signée par 1128 d’entre eux dès le 11 janvier 2016 (et par plus de 1 000 universitaires encore la semaine suivante). Très vite, le pouvoir en la personne même du président de la République, Recep Tayyip Erdogan, cible les signataires accusés d’être de «pseudo-intellectuels», une «foule informe», des «traîtres à la nation», des «forces occultes» qui se permettent de critiquer l’Etat turc et qui sont donc «des terroristes». Le mot est lancé, les articles du code pénal sont là pour engager des poursuites contre les signataires, victimes en parallèle de mesures de rétorsion administrative, licenciements de leur université, mises à l’écart définitives de l’enseignement conduisant certains au suicide (Mehmet Fatih Tras) et aux grèves de la faim (Semih Ozakça et Nuriye Gülmen).
La répression consécutive à la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016 qui s’abat bien au-delà des responsables directs vise particulièrement les universitaires coupables de vouloir maintenir la liberté de pensée, de recherche et d’enseignement indispensable à une vie démocratique et à laquelle, en Turquie particulièrement, nombreux ont été celles et ceux à sacrifier leur carrière et même leur vie.
Aujourd’hui, les «Universitaires pour la paix», qui n’ont fait qu’exercer leur métier et les valeurs qui s’y attachent, sont traduits en justice dans des procès séparés pour déjouer la solidarité des signataires et intimider la société déjà assommée par la politique répressive du régime d’Erdogan. Ces universitaires sont accusés de propagande en faveur du PKK, considéré comme une organisation terroriste, et d’atteinte à l’image de la Turquie à l’étranger : un crime passible de sept années et demie d’emprisonnement.
Les soussignés, chercheurs et enseignants des établissements français de l’enseignement supérieur et de la recherche, entendent dénoncer la caricature de justice mise en œuvre par le régime d’Erdogan. Après la mise au pas de la presse qui a jeté en prison 160 journalistes et près de 500 avocats, phénomène unique parmi les grands pays se réclamant aujourd’hui de l’Etat de droit et de la démocratie parlementaire, après la répression implacable contre le parti d’opposition HDP, dont les principaux dirigeants et cadres sont détenus, après l’arrestation de figures éminentes de la société civile engagées pour la paix, dont Osman Kavala, les soussignés condamnent les violations multiples des libertés universitaires en Turquie qui visent à briser toute autonomie intellectuelle chez celles et ceux qui contribuent au savoir et à la capacité de jugement de la société. Les universitaires français sont nombreux à manifester leur vigilance sur la question de la liberté de pensée, de recherche et d’enseignement depuis le tournant liberticide de la Turquie que plusieurs des signataires avaient dénoncé dès 2011. Ils saluent par cet appel le courage de leurs collègues de Turquie qui sont aujourd’hui, dans leur résistance aux violences d’un pouvoir oppressif, l’honneur de notre métier et l’honneur de la Turquie.
L’appel est aussi publié sur le site du Groupe international de travail (GIT) «Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie» et sur le site de Solidarité avec les Universitaires pour la paix et défense des droits humains en Turquie.
Parmi les signataires :
Michel Agier anthropologue (EHESS) Tuna Altinel mathématicien (université Lyon-I) Stéphane Audoin-Rouzeau historien (EHESS) Igor Babou sémioticien (université Paris-Diderot) Annette Becker historienne (université de Paris-Nanterre) Alain Blum démographe (EHESS) Luc Boltanski sociologue (EHESS) Patrick Boucheron historien (Collège de France) Olivier Bouquet historien (université Paris-Diderot) Hamit Bozarslan historien (EHESS) Edouard Brézin physicien (ENS) Michel Broué mathématicien (université de Paris-Diderot) André Burguière historien (EHESS, LDH) Alain Caillé sociologue (université Paris-Nanterre) Claude Calame historien (EHESS) Pierre Cartier mathématicien (université Paris-Diderot, IHES) Christophe Charle historien (université Paris-I-Panthéon-Sorbonne) Yves Déloye politiste (Sciences-Po Bordeaux) Sophie Desrosiers anthropologue (EHESS) Vincent Duclert historien (EHESS, Sciences-Po) Selim Eskiizmirliler neuroscientiste (université Paris-Diderot) Eric Fassin sociologue (université Paris-VIII) Kristian Feigelson sociologue (université Sorbonne nouvelle) Bastien François constitutionnaliste (université Paris-I-Panthéon-Sorbonne) ; Diana Gonzalez sociologue (Sciences-Po) Ahmet Insel économiste (université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne) Raymond Kévorkian historien (université Paris-VIII) Christiane Klapisch historienne (EHESS) Pascale Laborier politiste (université Paris-Nanterre) Rose-Marie Lagrave sociologue (EHESS) Nicole Lapierre sociologue (CNRS-EHESS) Frédéric Le Blay littéraire (université de Nantes) Emmanuelle Loyer historienne (Sciences-Po) Catherine Mayeur-Jaouen historienne (université Paris-Sorbonne) Pierre-Michel Menger sociologue (EHESS, Collège de France) Edgar Morin sociologue (CNRS Paris) Claire Mouradian historienne (CNRS) Véronique Nahoum-Grappe sociologue (EHESS) Thomas Piketty économiste (EHESS) Emmanuel Terray anthropologue (EHESS) Irène Théry sociologue (EHESS) Stéphane Tirard historien des sciences (université de Nantes) Lucette Valensi historienne (EHESS) Sophie Wauquier linguiste (université Paris-VIII)…