DU
Jeudi 22 novembre 2012 - 18h00
AU
Vendredi 4 janvier 2013 - 19h00
Vernissage conférence le 22 novembre 18h-20h30
Chronique d’une culture séculaire dans un contexte géopolitique conflictuel.
Travail photographique de Michael Thévenin:
http://www.transhumance-kurde.com/
La conférence proposera une étude du pastoralisme kurde dans le Sud-Est de la Turquie par une approche ethnographique.
Appuyée par un large diaporama mêlant photographies, enquête personnelle de terrain et données bibliographiques, cet exposé essaiera de pauser un regard supplémentaire sur la compréhension du phénomène de résilience dans la culture pastorale.
Enfin, faisant écho au classement par l’Unesco en 2011 des Causses et Cévennes au Patrimoine Mondial de l’Humanité comme paysage culturel de l’agropastoralisme méditerranéen, il posera la question de la possibilité d’une patrimonialisation de la culture pastorale kurde. Dans le contexte anatolien, sa mise en œuvre est-elle seulement possible, ou même pertinente ?
"Cette exposition est le fruit d’un travail personnel mené au cours de six voyages dans le sud-est anatolien entre 2005 et 2011, d’une moyenne d’environ quinze jours chacun. J’ai varié les dates et les périodes de mes visites afin de multiplier les exemples et les lieux fréquentés pour qu’une vision globale, du moins globalisante, puisse se dégager (une approche ethnographique uniquement extensive est forcément limitée). Les périodes d’estivage et de transhumance ont été privilégiés. Cela correspond aux mois d’avril jusqu’en septembre. La période hivernale reste encore à étudier. Quand cela était possible, je consacrai 24 heures à chaque famille d’éleveur rencontrée, et restait en contact avec elle afin de pouvoir de nouveau la retrouver lors d’un prochain séjour. En tout, ce sont trente-trois campements et une douzaine de tribu qui ont été rencontrés."
Pourquoi s’intéresser au pastoralisme Kurde ?
Parce que les bergers kurdes et leurs traditions vieilles de 10 siècles, semblent de fait oubliés depuis plus de 40 ans du monde pastoral, mais aussi des élites kurdes. Le peuple Kurde a subi au cours du XXe siècle, à l’instar de nombreux autres d’ailleurs, souvent d’une manière violente, une profonde mutation à la fois sociale, économique, mais aussi identitaire. Après la période de guerre des années 80 et 90, un début de réactualisation ethnographique des pratiques pastorales dans le Sud-Est anatolien était à proposer.
Car les bergers kurdes sont installés dans la zone nord de l’ancien Croissant Fertile, région qui vit naître, il y a 12 000 ans environ, la domestication du mouton, et à sa suite peut-être les premières formes de transhumance. Il y a encore 20 ans, 97 % de la population ovine de la Turquie se composait de races locales. Une telle situation ne peut que constituer une mine de données aussi bien archéologiques, ethnozootechniques et génétiques à exploiter.
Parce que la Turquie frappe aux portes de l’Europe. La Turquie, c’est 22 millions de moutons, des pratiques d’élevage oscillant entre une modernité effrénée et un gardiennage millénaire des plus emblématiques : le pastoralisme nomade. Comment ce dernier se présente-t-il en Anatolie à l’approche d’une éventuelle adhésion ?
Parce que les Kurdes, 20 millions de personnes en Turquie, sont le plus grand peuple sans pays au monde, un peuple majeur du Proche-Orient devenu minorité avec l’avènement du système de l’Etat-nation. Cette situation a accentué la question identitaire dans un pays déjà fortement marqué par les conflits ethniques ou religieux. Comment celle-ci s’articule dans les pratiques pastorales du sud-est anatolien en ce début de XXI siècle ?
Enfin, le pastoralisme Kurde ouvre un chantier supplémentaire : celui du Développement durable dans les territoires nomades. En effet, 86 % des terres en Turquie seraient aujourd’hui érodées. Les pâturages auraient diminué de 70 % depuis les années cinquante et ne répondraient plus qu’à 68% des besoins des troupeaux. Il y a donc un risque accru de surpâturage que les dérèglements climatiques, et l’aridification du pays accentuent. La question de la pérennisation et de la préservation d’un domaine pastoral s’impose donc.
L’étude du pastoralisme kurde dans le Sud-Est de la Turquie porte ainsi un regard supplémentaire sur la compréhension du phénomène de résilience des pratiques pastorales. Pour autant, ce qui permet aujourd’hui aux bergers kurdes de maintenir leur tradition dans la diversité pourrait bien être aussi un frein à leur développement. Face à l’attraction de la modernité, mais aussi à la demande du marché turc, et à l’intégration possible du pays à l’Europe, une patrimonialisation de la culture pastorale kurde serait tentante. Mais dans le contexte anatolien, est-elle envisageable ou seulement possible ?
Biographie
Michael Thevenin est accompagnateur en montagne, spécialisé dans le pastoralisme.
Ayant soutenu en 2004 un mémoire sur les bergers du Briançonnais dans le cadre de son cursus d’étude, il applique depuis 2005 ses méthodes de recherche et d’analyse au monde rural kurde, qu’il découvre à l’occasion de voyages répétés entre 2005 et 2011.
Son travail photographique ainsi que sa collecte de témoignages et d’informations sur les transhumances du Kurdistan turc donnent lieu à des expositions, des conférences et des publications depuis 2008.
Le pastoralisme kurde, c’est donc une convergence de thèmes d’une étonnante ampleur, mêlant à la fois la complexité de la situation géopolitique de ce peuple et sa diversité, la richesse historique du cadre géographique sur lequel il se situe et celui du sujet pastoral (sa longue tradition, sa vivacité et sa modernité face aux enjeux mondiaux), et enfin le questionnement de la construction identitaire et de son rapport au territoire dans un monde en mouvement.