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Bulletin N° 311 | Février 2011

 

KURDISTAN D’IRAK : MANIFESTATIONS À SULEYMANIEH

Le 17 février, une manifestation pacifique, d'environ 3000 personnes, principalement des jeunes gens, répondant à l'appel d'une organisation de jeunesse proche de Gorran, ont défilé à Suyleimanieh pour protester contre la corruption et les défaillances des services publics.

D’abord menée dans le calme, la fin de la manifestation a tourné au drame quand une petite fraction du cortège, déviant soudain de sa route, a tenté de prendre d'assaut le quartier général du PDK à Suleymanieh, le parti de Massoud Barzani, qui compte très peu de partisans dans cette province. Des assaillants ont pénétré dans les locaux, qu'ils ont saccagé, détruisant les bureaux et les ordinateurs du rez-de-chaussée. Réfugiés sur le toit, les gardes du PDK ont tiré en l'air avant que les forces de sécurité de la ville surviennent et se déploient. Lors des tirs, de provenance incertaine, un adolescent de 14-15 ans a été touché mortellement à la tête. Parmi la centaine de manifestants autour du bâtiment, on parle de près de 50 blessés. Les images filmées par les manifestants et les journalistes font très vite le tour d'Internet et des media proches de Gorran.

La mort quasi directe d'une des jeunes victimes choque profondément les Kurdes, sans que les vidéos puissent indiquer vraiment qui a tiré. Un couvre-feu est instauré le jour-même dans la ville, tandis qu'en représailles, des inconnus, sans doute sympathisants du PDK ou de l'UPK, attaquent et brûlent ou pillent des permanences de Gorran à Erbil et Duhok.

Très vite, les partis politiques s'accusent mutuellement. Le PDK accuse l'UPK (dont les forces contrôlent Suleimanieh) de n'avoir pas envoyé ses forces protéger à temps ses locaux et empêcher les manifestants d'assaillir son QG. Le Premier Ministre Barham Salih, le soir même, décide d'envoyer des forces d’Erbil en renforts à Suleimanieh. Le 18 février, les forces du PDK patrouillent la ville et celles de Kosrat Rassoul (pour l’UPK) la cernent à l’extérieur, ce qui n'empêche pas d'autres manifestations d'avoir lieu, cette fois pour demander le retrait des forces du PDK. Le 20 février, un autre adolescent meurt sur le coup à Suleimanieh dans un affrontement entre des manifestants et les forces du PDK, alors que de nouveau, les locaux du PDK sont pris d'assaut afin, semble-t-il, de les brûler. Les « Zerevani » (forces spéciales) tirent et usent de gaz lacrymogène. Des arrestations ont lieu. Durant la nuit, une cinquantaine d'hommes armés attaquent une TV-radio privée, Nalia, à Suleimanieh. Les locaux sont dévastés et brûlés et le gardien blessé. Les manifestations se poursuivent les jours suivants à Suleimanieh mais de façon plus paisible. Le 21 février, près de 5000 personnes ont à nouveau défilé, avec des personnalités, artistes, chanteurs et acteurs, brandissant des mots d'ordre pacifiques. Des fleurs ont été distribuées au passage, et ce, même aux forces de l'ordre.

La presse proche du gouvernement accuse Nawshirwan Mustafa, le leader de Goran, d'avoir agi à l'instigation de l'Iran, qui voulait ainsi se venger de manifestations tenues en janvier dernier devant son consulat pour protester contre l'exécution d'un Kurde à Ourmiah. Peyamner, l'agence de presse du PDK, l'accuse même d'avoir rencontré les Sepah (services iraniens) trois jours avant les événements, alors que le leader de Gorran était à Penjwin, près de la frontière. Goran a riposté en niant être à l'origine des troubles et a réclamé que les responsables de la « tuerie » soient traduits en justice, tandis que ses sympathisants se rassemblent autour de ses locaux pour les « protéger ». Le gouvernement appelle au calme, condamne les violences des manifestants et des tireurs, et promet une enquête. Barham Salih a rendu visite au père du premier adolescent tué, alors que le président Massoud Barzani lui a téléphoné personnellement. La plupart des associations et ONG civiles appellent aussi à la cessation des violences et craignent la reprise de la guerre civile.

Le 23 février, une manifestation à Halabja a fait un mort, cette fois un policier, tandis qu'un autre était blessé, sans que l'on sache clairement s'ils ont été victimes de balles malencontreuses émanant des forces de l'ordre, ou si, comme accuse le maire de la ville, des manifestants étaient armés (ce que ces derniers nient). Goran Adhem affirme même être en possession de vidéos prouvant ses accusations et parle même de perturbateurs arabes venus d'Irak. Cette version d'infiltrations étrangères à la Région est relayée par les services kurdes parlant d'agents iraniens à l'origine des troubles, tel Ismat Argushi, de la Sécurité nationale, qui affirme être en possession d'informations précises sur la pénétration de 'terroristes' venant d'autres régions d'Irak et même de l'étranger.

Le 25 février devait être une journée de protestation générale (même en Irak) mais qui n'a vu bouger, au Kurdistan, que Suleimanieh et ses environs. Le Parlement, réuni en session d'urgence a réclamé, en la personne de son président, Kamal Kirkouki, que le gouvernement protège les citoyens et les forces de sécurité et qu’il cesse de stigmatiser les mouvements des protestataires comme 'anarchistes'. Cette dernière remarque faisait réponse aux déclarations des officiels du GRK, dont le Premier Ministre Barham Salih, accusant franchement ou laissant entendre qu'une « main » était derrière les manifestations (comprendre soit Goran, soit des pays voisins soit les deux ensemble) et qualifiant le mouvement de 'sédition' (fitna) et d'anarchie ou de vandalisme.

Lors de cette session, sans surprise, le chef des députés de Goran a réclamé la démission du gouvernement, réclamation que ce parti avait déjà faite le 29 janvier, avant le début des troubles, en espérant une 'révolution du jasmin' kurde. Pour le moment, seul ce parti d'opposition soutient les manifestations – au moins en tant que 'sympathisant' – les autres partis opposants se contentant d'une position de médiation entre Goran et l'Alliance kurde, tels les deux listes islamiques, le Groupe islamique du Kurdistan et l'Union islamique du Kurdistan, dont le chef de fil, Omar Abdul-Aziz, a, lui, accusé le Parlement de mollesse, et de se montrer 'incapable d'adresser une question à un ministre' en lui demandant de 'prouver sa sincérité aux citoyens'. Le même s'est prononcé pour de nouvelles élections, a réclamé la résolution des problèmes d'électricité, l'élucidation du sort de de quelques dizaines de personnes 'disparues' lors des affrontements inter-kurdes des années 1994-1997, la divulgation publique des revenus de gaz et de pétrole dans la Région.

Dans la même journée, à Kalar (à 150 km de Suleimanieh) les événements du 17 février se sont répétés quand un groupe de jeunes manifestants a marché vers les locaux du PDK et jeté des pierres sur les gardes, qui ont riposté avec des munitions. Selon Awene, journal d'opposition, 13 personnes auraient été blessées par balles et 4 par des jets de pierres, dont 3 policiers. Le 27 février, le président Massoud Barzani, de retour d'Italie, a pris la parole, toujours dans le même esprit ‘d’apaisement’, avec ses condoléances aux victimes, la réaffirmation du droit à manifester pacifiquement, l'égalité de tous les citoyens, et la condamnation de toutes violences.

Réuni en urgence dès le début des troubles, le parlement du Kurdistan a adopté une résolution en 17 points, condamnant les violences du 17 février, tant de la part des manifestants que du PDK. Cette résolution a d’abord été présentée comme unanime, mais il semble que Goran se soit ensuite rétracté car son porte-parole, Kardo Mohammed, a annoncé leur refus de signer arguant que leurs revendications n'ont pas été prises en compte dans le texte et que son parti fera plus tard une déclaration séparée.

Dans ce texte, le Parlement: 1. Condamne, interdit et déclare criminel la violence et l'usage d'armes à feu contre les citoyens, l'attaque contre les bureaux gouvernementaux et ceux des partis politiques, ainsi que toute nuisance aux biens publiques et privés. 2. Demande le retrait immédiat de toutes les forces mobiles qui ont été envoyées le 17 février à Suleimanieh ou dans d'autres villes du Kurdistan, et leur retour dans leur bases initiales. 3. Demande la libération de tous ceux qui sont détenus en raison de leur participation aux manifestations ; les auteurs de crimes doivent être remis aux mains de la police et de la justice. 4. Le gouvernement doit, en accord avec la loi, indemniser toutes les personnes, partis et institutions qui ont subi des dommages lors des attaques et des violences. 5. Demande que la protection et l'organisation des manifestations soit du seul ressort des forces de polices intérieures et des gardiens de la paix. L'identité de ces forces (nom, carte d'identité et lieu de travail) doivent être publiques et personne ne doit masquer son visage ou aveugler les fenêtres des véhicules. 6. Les Peshmerga doivent être interdits de participation à tout conflit politique interne et doivent exercer leurs missions nationales en protégeant le peuple du Kurdistan. 7. Il est nécessaire d'instituer une commission d'enquête gouvernementale dirigée par un magistrat de la Cour de Cassation, et composée de personnalités indépendantes et de professionnelles, qui devra rendre publiques ses conclusions dès que possible. 8. Il y a eu des défaillances dans la gestion de la situation par la police et les Asayish (forces de sécurité) dont les responsables devront être légalement poursuivis après les conclusions de l'enquête. 9. Aucun manifestant ne doit être détenu pour sa participation sans procédure légale. 10. La décision d'envoyer des forces militaires ne doit être prise qu'en cas de danger extérieur. 11. Les auteurs de l'incendie de la chaîne Nalia et de la radio Gorran devront être poursuivis et jugés immédiatement. 12. Dans le but de réformes générales et radicales, des propositions devront être élaborées par les blocs et les commissions parlementaires, avec l'aide du Conseil des ministres, en partenariat avec les partis politiques, les organisations civiles, les universitaires et des personnalités indépendantes. Ces propositions devront être présentées au Parlement pour y être débattues et leur application mise en œuvre dès que possible. 13. Le gouvernement doit immédiatement prendre une série de mesures importantes et urgentes pour améliorer la vie quotidienne de la population, instaurer une justice sociale et accroître les droits et libertés politiques. 14. Toutes les parties doivent jouer leur rôle pour calmer la situation et mettre fin aux attaques des media par les partis politiques. 15. Appelle le Premier Ministre, le ministre de l'Intérieur et le ministre des Peshmerga à être entendus par le Parlement, pour des clarifications et des questions, conformément aux dispositions et procédures légales. 16. Veut organiser et soutenir un dialogue politique national entre les partis politiques et les organismes qui ont des représentants au Parlement du Kurdistan, afin d'instaurer une entente politique et juridique permettant de modifier les lois qui ont des dimensions politiques et nationales. 17. Demande la création d'une commission spéciale composée de tous les blocs parlementaires afin d'enquêter et de permettre des auditions, à la demande des manifestants.

SUÈDE : MORT DU CHEIKH EZZEDINE HOSSEINI

Le cheikh Ezzedine Hosseini est mort le 10 février à l’âge de 89 ans, à l’hôpital d’Uppsala, en Suède, où il vivait en exil. Né en 1922 dans la petite bourgade frontalière de Baneh, au sein d’une famille de dignitaires religieux, le cheikh a participé de manière active au développement du mouvement de libération nationale du Kurdistan en adhérant dès le début des années 1940 au Komela, alors qu’il n’était encore qu’un jeune homme.

En 1946 il prit part au processus qui aboutit à l’instauration de la république de Mahabad et par la suite il pérennisa son engagement en étant constamment présent en qualité de compagnon de route et de référant moral et intellectuel aux cotés des combattants et activistes de la cause sacrée kurde. Durant les événements de 1978 et 1979 qui conduisirent à la chute de la monarchie il fit preuve de constance et de rigueur dans la défense des principes fondamentaux de la démocratie, de l’Etat de droit et de ses corollaires tels que la liberté d’expression, la liberté de conscience et d’opinion, la redistribution équitable des richesses au sein du corps social, la relégation du fait religieux dans la sphère privée infirmant de cette manière la position quasi unanimement adoptée par ses collègues jurisconsultes, muftis et autres sans omettre bien entendu la souveraineté du citoyen et l’égalité entre hommes et femmes.

Le cheikh a joué un rôle politique fédérateur de premier plan au Kurdistan iranien pendant la période révolutionnaire de 1978-1980, en facilitant l’engagement dans le mouvement national kurde de larges secteurs de la société kurde, musulmans et peu politisés. Face à l’ayatollah Khomeiny, incarnant le leadership des chiites de l’Iran et de la république islamique, le cheikh Ezzedine Hosseini fut la figure religieuse emblématique des Kurdes sunnites revendiquant une démocratie laïque et pluraliste représentant la diversité culturelle et linguistique des populations d’Iran.

La pensée du maître pouvait se décliner autour du thème de la centralité de la providence divine qui est à l’origine de toute forme de vie insufflant au corps et à l’âme humaine le désir de progresser en intelligence et en harmonie avec son environnement immédiat rendant effectif l’universalité des merveilleux accomplissements et réalisations de ce dernier. Il croyait fermement en la capacité acquise par les hommes à prendre en mains propres leurs destinées en vertu de la primauté du principe du libre arbitre. L’être humain développe par voie de conséquence une relation privilégiée et personnalisée avec son créateur ne supportant aucune forme d’interventionnisme provenant de l’extérieur et à fortiori imposée par des organes ou des institutions religieuses d’où la nécessité d’une séparation de la sphère privée (spirituel et religieux) du domaine public.

Correspondant à ses dernières volontés, la sépulture mortelle du cheikh a été envoyée au Kurdistan irakien, à Suleimanieh, où il fut enterré. Les principaux dirigeants de toutes les parties du Kurdistan, les intellectuels kurdes et iraniens, se sont associés à son deuil, et ont rendu hommage à la mémoire de cette grande figure patriotique de la vie religieuse et politique kurde.

PARIS : CONFÉRENCE INTERNATIONALE AU SÉNAT SUR LES CHRÉTIENS D’IRAK

Le 26 février, une conférence internationale intitulée « Le sort des chrétiens en Irak : Quelles perspectives ? », organisée par l’Institut kurde de Paris a eu lieu au Sénat. Des personnalités religieuses venues d’Irak ou du Kurdistan, des membres du Gouvernement kurde et des experts de la situation des communautés chrétiennes en Orient y sont intervenues.

La conférence a été introduite par M. Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, qui a indiqué que l'idée de cette conférence est venue après le massacre perpétré dans la cathédrale Notre-Dame du Secours de Bagdad, la veille de la Toussaint qui a fait une cinquantaine de civils, assassinés avec deux prêtres, par des terroristes se réclamant de la branche irakienne d'al-Qaïda. Citant Pierre Rondot, « Kurdes et chrétiens ont vécu en symbiose pendant des siècles, sur les mêmes terres, dans les mêmes villages », Kendal Nezan a souligné l’engagement des Kurdes pour défendre les chrétiens d’Irak en raison d’une cohabitation et de liens mutuels séculaires entre les différentes communautés religieuses :

« Il y a eu beaucoup d'échanges de toutes sortes. Nous avons partagé le même mode de vie, beaucoup de traditions communes. Dans beaucoup de villages du Kurdistan, à côté de la mosquée, il y avait l'église, et parfois la synagogue. Beaucoup de Kurdes ont des grands-mères chrétiennes, et je ne citerai qu'un exemple, juste pour saluer sa mémoire : le grand leader des Kurdes d'Iran, le Dr. Ghassemlou, dont la mère était assyrienne. C'est vous dire combien de liens personnels, familiaux, culturels, ont été tissés au fil des siècles entre Kurdes musulmans et chrétiens du Kurdistan. Je sais que les chrétiens du Kurdistan sont, à l'heure actuelle, parmi les plus libres du monde musulman. Ils peuvent pratiquer librement leur culte, ils peuvent construire de nouvelles églises, ils peuvent enseigner leur langue à leurs enfants, ils ont leurs media, leurs partis politiques. Malheureusement, ces chrétiens du Kurdistan ne représentent qu'une petite partie des communautés chrétiennes de l'Irak, et dans le reste de l'Irak, les communautés chrétiennes vivent une situation difficile, très peu sécurisée. L'objet de la réunion d'aujourd'hui est que faire pour empêcher le désastre que constituerait un exode de ces chrétiens vers les pays voisins ou vers l'Europe ? Est-ce que, justement, l'exode est une solution ? Que doit faire le gouvernement central de Bagdad pour mieux protéger ces communautés ? En a-t-il les moyens ? Ou est-ce que leur installation provisoire, en attendant des jours meilleurs, au Kurdistan, est une perspective possible, réalisable ? Est-ce que le Kurdistan a les moyens d'héberger, de donner du travail et de faire l'effort d'insertion pour des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de chrétiens vivant dans le reste de l'Irak ? D'ailleurs, est-ce que ceux-là souhaitent venir s'installer au Kurdistan ? Et, dans ce cas-là, que doit faire l'Union européenne pour accompagner cet effort de protection, de sécurisation des chrétiens ? Nous sommes convaincus que s'ils étaient installés au Kurdistan, ils resteraient encore sur les terres de leurs ancêtres, et aux jours meilleurs, ils pourraient toujours regagner leurs foyers dans telle ou telle ville de l'Irak. »

Le sénateur Bernard Cazeau, président du Groupe interparlementaire France-Irak, a ensuite pris la parole, rappelant d’abord la longue histoire des chrétiens en Irak ainsi que le caractère « totalement autochtone » de leurs différentes églises « Le christianisme, en Irak, n'est nullement, donc, un corps étranger, mais partie prenante de son identité, comme au Liban d'ailleurs, en Égypte, en Syrie ou en Palestine. » Une autre caractéristique de ces chrétiens est celle de leur rôle dans « l'émancipation du monde arabe » :

« À partir du siècle dernier, des chrétiens d'Irak vont jouer un rôle considérable dans l'émancipation des droits et des libertés. Certains ont joué un rôle important parmi les précurseurs du nationalisme arabe irakien. Beaucoup d'entre eux, représentants syndicaux, intellectuels ou hommes politiques, ont ainsi milité en faveur d'un État indépendant, démocratique, laïque, social et ouvert sur le monde. En dépit de leur combat acharné en faveur de la cause arabe, force est de constater que les chrétiens d'Irak ont été exclus de la vie politique depuis l'indépendance. Seul l'investissement de la sphère économique leur fut permis. En 1920, les autorités britanniques réalisèrent un recensement de la composition religieuse de la population irakienne. Les chrétiens y représentaient 20%. En 1980, un million de fidèles y demeurait encore. Ils sont aujourd'hui 500 000. On estime que cette communauté chrétienne dans le monde a plus de 2 millions présents à l'étranger. Depuis l'invasion américaine, 750 chrétiens ont été tués. Dans un pays basé sur l'arbitrage des communautés, les plus nombreux, comme les Kurdes, les chiites ou les sunnites, obtiennent automatiquement plus de pouvoirs politiques. La communauté chrétienne, elle, ne compte qu'un seul ministre, celui de l'Environnement, dans le nouveau gouvernement. En situation de faiblesse depuis la guerre, leurs conditions de vie se sont détériorées. 250 000 d'entre eux ont quitté le pays, d'autres ont migré vers le Nord. En effet, alors que le Kurdistan irakien comptait jusqu'en 2003 environ 30 000 chrétiens, ce chiffre aurait triplé en 7 ans. Si bien qu'aujourd'hui, ils seraient près de 100 000 à vivre dans l'un des trois gouvernorats du Gouvernement régional autonome du Kurdistan, Duhouk, Suleymaniye et Erbil. Chaque mois, de nouvelles familles, ayant fui Bagdad ou Mossoul, viennent s'installer là. Quelles perspectives ? »

Comme l’ensemble des intervenants, le sénateur s’est dit hostile « à tout exode des chrétiens d'Irak » invoquant la catastrophe culturelle et sociale qu’impliquerait ce départ massif en Irak, ainsi que la perte d’un grand nombre de compétences humaines :

« Beaucoup sont ingénieurs, médecins, commerçants, ou ont des qualités qui sont irremplaçables pour le renouveau de l'Irak. Pour ma part, je pense qu'il faut continuer à promouvoir énergiquement le dialogue et le respect mutuel entre les communautés, notamment en développant des programmes d'éducation et en distribuant des supports d'information qui traitent des stéréotypes et des préjugés anti-chrétiens. Tout doit être entrepris pour protéger les personnes et les biens des chrétiens en Irak, en recherchant activement, d'abord, et en punissant sévèrement les coupables des attentats, chaque fois que c'est possible. Car derrière ces actions criminelles se cache en réalité une atteinte à un des piliers de la jeune démocratie irakienne, celle du multiculturalisme. »

La première table ronde réunissait le philosophe et écrivain Ephrem-Isa Yousif, pour un exposé historique sur les communautés chrétiennes d’Irak ; le directeur de l’Œuvre d’Orient, l’abbé Pascal Gollnish, pour un aperçu de la situation de l’ensemble des chrétiens d’Orient ; le père Nejib Mikaël, supérieur des Dominicains de Mossoul a présenté la situation des chrétiens à Bagdad et l’évêque de Mossoul, Mgr Émil Nona, celle des communautés chaldéennes de Mossoul.

L’abbé Pascal Gollnish a insisté sur les problèmes posés par la migration massive des chrétiens en critiquant notamment des initiatives ponctuelles prises par des gouvernements étrangers pour accueillir ça et là, quelques centaines de réfugiés :

« Il ne faut pas que ce type d'annonces donnent, avec diplomatie, avec sourire, des signaux que les terroristes donnent avec d'autres moyens ! Il ne faut pas que ces annonces dispensent les puissances occidentales, les puissances internationales, de leurs responsabilités vis-à-vis des chrétiens qui sont sur place. Car notre crainte serait celle-là : En annonçant qu'on va accueillir généreusement quelques centaines de chrétiens irakiens, on se dispense d'agir dans les pays qui méritent, je crois, une action réelle. Après l'attentat de Bagdad, tout de même, il y a eu un certain nombre de pressions internationales pour davantage sécuriser les lieux de culte. Ces protestations ont eu certains fruits. Ça ne règle pas tous les problèmes, ce serait trop facile ! Mais enfin, ça aurait dû être fait plus tôt. Nous savons tous que cette cathédrale à Bagdad avait déjà été la cible d'un attentat. Pourquoi est-ce qu'elle n'était pas davantage sécurisée ? Ce sont tout de même des questions que nous sommes en droit de nous poser. »

Autre question plusieurs fois évoquée au cours des débats, le statut civil des minorités religieuses dans des pays où l’islam reste souvent la source de la législation :

« Il y a des problèmes lorsque certains pays, comme l'Égypte, avait affirmé, il y a quelque temps, que le droit musulman était la source principale du droit civil égyptien. C'est une réalité nouvelle, cela n'a pas toujours été ainsi. Le droit civil était un droit laïque, avec des applications pour les musulmans, selon une tradition musulmane, et des applications chrétiennes selon la tradition chrétienne. Il est inquiétant de dire que le droit musulman devient la source principale du droit civil lorsque ce droit civil doit s'appliquer également à des non-musulmans. Prenons des pays où les chrétiens se trouvent assez bien, comme la Syrie : Cependant, un chrétien ou une chrétienne qui épouse un musulman ou une musulmane, va devoir être considéré comme musulman. Ce sont tout de même des questions que nous pouvons nous poser. Il y a des questions quant aux droits des femmes. Il y a des questions – nous le savons tous ! – d'un musulman qui se convertirait au christianisme et qui mettrait sa vie en danger. Je ne veux pas faire la liste de ces questions, parce que ce n'est pas mon propos. Je pense que ces questions doivent être posées, et spécialement en France, et dans ce temple de la laïcité qu'est un parlement français, je crois que nous avons le droit et le devoir de dire que ces questions peuvent être posées, dans un esprit de dialogue. »

S’exprimant sur la situation des Chaldéens de son diocèse, l’évêque de Mossoul a commencé par donner des chiffres : Sur 4.500 familles chrétiennes chaldéennes avant 2003, il ne reste plus qu’environ 500 familles, réfugiées autour de Mossoul, ou dans la zone qui est pacifique au Kurdistan d'Irak, ou qui ont fui l'Irak pour l'étranger. Sur les motifs de cette persécution contre les chrétiens, Mgr Nona avance plusieurs interprétations :

« Au début de 2003, après l'entrée des forces militaires d'occupation, les autres Irakiens ont regardé les chrétiens comme alliés aux envahisseurs. C'est une des raisons pour viser les chrétiens. La deuxième raison est de les viser, de les attaquer dans leur religion. Il y a des groupes fanatiques qui frappent et visent les chrétiens. La troisième raison est financière, économique. Le meilleur moyen pour ces groupes de s'enrichir est de viser et d'attaquer les chrétiens. Pour cela, on commence par menacer les chrétiens, pour s'emparer de leur argent. La dernière raison est que l'on vise les chrétiens parce qu'ils sont faibles et qu'ils ne veulent pas utiliser la violence. C'est pratiquement la seule communauté qui n'utilise pas la force et la violence. »

Quant aux remèdes possibles contre le terrorisme, l’éducation et une refonte complète des programmes scolaires, est nécessaire, ainsi que des actions en faveur des populations les plus appauvries :

« Les programmes éducatifs en Irak ont eu des changements il y a quelques années. Beaucoup de points encouragent le terrorisme dans ces programmes, parce que les programmes éducatifs, surtout dans la ville de Mossoul, sont orientés vers la religion, et cette éducation encourage le fanatisme. C'est un grand danger, si le système éducatif devient un centre de fanatisme. D'un côté la connaissance va régresser et, de l'autre, il y aura un terrain favorable au terrorisme. Dernier point : l'aspect économique. Le terrorisme pousse là où il y a de la pauvreté. L'Irak a besoin de renouveler ses structures, d'offrir de bons services, de trouver du travail pour ceux qui sont au chômage. Ainsi, nous pourrions éliminer ou diminuer le terrorisme, et il y aura un changement dans la société. »

Le père Nejib Mikaël, ancien supérieur des Dominicains de Bagdad, à présent supérieur du couvent de Mossoul, s’est élevé contre l’illusion d’une protection armée qui serait particulière aux chrétiens et ne résoudrait pas le problème en profondeur :

« Protéger, c'est éphémère. Protéger veut dire provisoire. Protéger veut dire incertitude ou inégalité. C'est pourquoi nous demandons avant tout, avant de protéger ou de mettre des check-point devant les églises – et il est impossible de mettre des check-point devant chaque famille chrétienne, et ce n'est pas normal : On peut résoudre le problème quand il y a accord entre les responsables en Irak. Les forces internationales peuvent intervenir par la force ou la diplomatie auprès du gouvernement, pour vraiment imposer la paix et un peu de discernement entre ces forces antagonistes, qui se battent jour et nuit entre elles. C'est pourquoi elles sont protégées, dans un lieu très sûr, mais toute la population vit dans la mort. Aujourd'hui, protéger les chrétiens, c'est avant tout donner, par la loi, la possibilité de vivre en vrais citoyens, égaux avec les autres. »

Comme l’avait déjà indiqué l’évêque de Mossoul le Père Nejib voit le terrorisme comme le fruit de l’ignorance mais aussi de la pauvreté :

« Quand on manque d'argent, on est prêt à tuer un être humain pour 50 $. Et plusieurs criminels que l'on a attrapés, disent "chaque tête vaut 50 ou 100 $". Si on leur demande : "Pourquoi ils ont fait ça", ils répondent : "Parce que je n'ai pas d'argent. Comment voulez-vous que je vive ?" Aujourd'hui, c'est donc le gouvernement qui est en question. Il faut qu'il travaille absolument à faire vivre les gens. Un pays comme l'Irak, un pays pétrolier, si riche ! C'est inadmissible et inhumain qu'il y ait là dedans un seul homme qui puisse dormir sans avoir dîné. C'est inacceptable. » Enfin, la condition indispensable pour continuer d’assurer la survie des minorités religieuses est d’instaurer un État véritablement laïc, où les non-musulmans ne seraient plus des citoyens de second rang : « L'avenir de l'Irak dépend surtout d'un seul point : séparer la religion de l'État. La religion est pour les hommes de religion, l'État est pour tous les Irakiens. C'est pourquoi les citoyens doivent vraiment jouir de toutes ces donnés, matérielles, spirituelles, humaines ou sociales, pour vivre en êtres humains libres. »

Mgr Rabban Al-Qas, évêque d’Amadiyya, invité à parler de la situation des chrétiens dans la Région du Kurdistan, a exposé la politique du gouvernement kurde pour accueillir les chrétiens réfugiés et retourner dans leurs anciennes maisons en ce qui concerne les chrétiens qui avaient été chassés du Kurdistan dès 1961. Les difficultés rencontrées par ces arrivants sont surtout dues aux problèmes de langue, beaucoup ne parlant plus que l’arabe, et d’emploi, la législation irakienne n’étant pas toujours en faveur de leur intégration :

« Des gens qui étaient des employés, des professeurs ou médecins, ceux qui ont fait des études supérieures, peuvent être embauchés dans les universités ou ailleurs, dans des hôpitaux. Il y a une aide de la part du Gouvernement du Kurdistan pour leur donner du travail. Mais un professeur qui a passé 40 ans en service, est nommé comme s'il avait fini récemment ses études. Le gouvernement central ne leur donne pas cet agrément définitivement quand ils sont nommés, parce que Bagdad ne reconnaît pas encore les nominations au Kurdistan. Et quand ils viennent, se pose le problème de la langue, par exemple le problème du transfert d'un étudiant qui a étudié à Bagdad, à Mossoul, connaît l'arabe, passe ses examens en arabe, mais n'est pas exempt de passer aussi des examens en langue kurde. Il faut qu'il ait, disons 50/100 au baccalauréat [en langue kurde]. Ce n'est d’ailleurs pas un problème seulement pour les chrétiens, mais aussi pour les Kurdes qui viennent d'Europe. »

Autre problème législatif, déjà mentionné par le Père Nejib Mikaël, l’inégalité dans le droit des minorités non musulmanes, faisant de l’islam une religion « par défaut » et se transmettant automatiquement du père aux enfants, sans que ces derniers aient le choix, ce qui pénalise les chrétiens dans les couples mixtes ou oblige toute une famille, en cas de conversion d’un membre, à changer de statut. La constitution du Kurdistan, non encore signée, devrait pallier les manquements de la Constitution irakienne.

Hormis ces problèmes spécifiques, l’évêque d’Amadiyya insiste sur le cas exemplaire du Kurdistan en matière de liberté religieuse et la nécessité de poursuivre cette promotion de la tolérance et de la diversité dans les écoles et les programmes éducatifs :

« Purifier les programmes de tout ce qui attaque l'autre, en appelant seulement à l'islam, créant une nervosité contre l'autre, dans le fanatisme, dans cette mentalité qui nie l'autre. Il faut créer une mentalité qui accepte la diversité, parce que dans la diversité se trouve la richesse. Aujourd'hui, je dois aider mon frère musulman pour apprendre et connaître les valeurs qui pourront élever le niveau de cette société où nous vivons, que ça soit au Kurdistan ou ailleurs. »

Deux membres du Gouvernement régional du Kurdistan ont ensuite pris la parole. : Fallah Mustafa, ministre des Relations extérieures du Gouvernement régional du Kurdistan et le dr. Fuad Hussein, chef du Cabinet de la Présidence du Kurdistan. M. Fallah Mustafa a commencé par affirmer le « devoir moral » du Kurdistan d’assister aujourd’hui les réfugiés persécutés, en raison du passé douloureux des Kurdes et leur qualité de victimes d’un génocide :

« Le Kurdistan a toujours été fier de sa tradition de tolérance envers toutes les religions et tous les groupes religieux. Notre région est un rassemblement pacifique de plusieurs groupes religieux, de croyances si différentes et variées. Nous, Kurdes avons été les victimes de la pire des oppressions, de la violence et même de génocides, et pour cela nous nous sommes jurés de ne jamais perpétrer ce même comportement et que jamais la violence et l'intolérance ne gagnent notre Région. Même après cela, devant les phénomènes récents de persécution en Irak, toutes les religions ont été chaleureusement accueillies au Kurdistan. Il est donc naturel que les groupes persécutés y cherchent refuge et sécurité et nous sommes fiers de pouvoir les aider de quelque manière que ce soit. Nous gardons à l'esprit l'aide matérielle et morale que nous avons reçue nous-mêmes au cours de notre histoire, et nous pensons que nous avons le devoir de rendre à ceux qui en ont besoin ce qui nous a été donné dans le passé. »

Ensuite les difficultés matérielles, logistiques et financières de cette politique d’accueil ont été exposées, ainsi que l’aide que pourrait apporter, notamment, les pays de l’Union européenne et les Nations Unies :

« Malgré les difficultés, plus de 10 000 familles chrétiennes ont fui les violences dans le reste de l'Irak et ont trouvé refuge au Kudistan depuis l'invasion du pays en 2003. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider, mais nous manquons de ressources pour cela. Nous devons faire face à des besoins humanitaires immédiats, tels que le logement et la nourriture, mais aussi des besoins de moyen terme, dans les domaines de l'éducation et de l'assistance sociale. La communauté chrétienne du Kurdistan fait un travail remarquable pour faciliter l'intégration et l'adaptation des nouveaux arrivants et pour centraliser le soutien moral et matériel des chrétiens de par le monde. Nous accueillons chaleureusement les déclarations du ministère des Affaires étrangères français encourageant l'Union Européenne à nous apporter son soutien. Nous serons heureux de recevoir tout le soutien et l'aide possibles, de quelque pays que ce soit. L'assistance que nous apportons à ces familles a un coût, et nous aurons nous-mêmes besoin d'aide supplémentaire pour pouvoir procurer à ces familles tout ce dont elles ont besoin. Plusieurs agences des Nations Unies et ONG peuvent nous permettre de soulager notre fardeau. Nous savons que l'UNHCR travaille avec des réfugiés irakiens hors d'Irak, mais elle n'apporte pas énormément d'aide aux populations déplacées à l'intérieur du pays, spécifiquement au Kurdistan. Un comité a été mis en place pour traiter l'ensemble de la problématique liée à la population déplacée à l'intérieur du pays, et pour développer des solutions afin de leur venir en aide. Nous continuons à apporter une assistance médicale à toutes les victimes de violences en dehors de nos frontières, et nous nous efforçons de permettre une évacuation sécurisée pour ceux qui en ont le plus besoin. Nous mettons également en place des programmes spécialisés pour apporter tout notre soutien aux populations déplacées et leur permettre de trouver du travail au Kurdistan. Nous avons accordé un statut spécial aux enfants de personnes déplacées afin qu'ils puissent avoir accès à nos écoles et universités. »

Le Dr Fuad Hussein a, lui aussi, évoqué le passé douloureux des Kurdes, notamment la guerre de 1974-1975 où la population kurde subissait les bombardements irakiens :

« Et voilà précisément pourquoi le Kurdistan a mis en place cette politique. Parfois, les gens me demandent pourquoi nous avons cette politique d'ouverture et, pour être tout à fait honnête, certains Kurdes, certains Arabes, certains chrétiens doutent de la justesse ou de la bienveillance de notre politique. Certains doutent de nos intentions. Certains, même, nous accusent de duplicité. Mais nous croyons en cette politique, parce que nous voulons nous tenir aux côtés de nos frères, nous croyons en cette politique parce que nous croyons en notre propre humanité. Nous croyons en cette politique parce que nous croyons en la démocratie. Nous croyons en la diversité de notre société, nous luttons pour la démocratie, et nous savons que nous ne sommes pas seuls. C'est ensemble que nous devons lutter car c'est ensemble que nous devons vivre. La politique qui a été mise en place au Kurdistan et en laquelle nous croyons, a, bien sûr, beaucoup à voir avec notre histoire et a aussi beaucoup à voir avec l'avenir de notre pays, du pays des Kurdes, des Turkmènes, des chaldéens, des assyriens… C'est le pays des musulmans, des chrétiens, des yézidis. Nous croyons sincèrement dans cette diversité. Voilà pourquoi il me semble que notre société doit accueillir toutes sortes de groupes et de communautés. Dès lors, notre politique doit refléter la diversité de la société. Lorsque l'on parle des réalités politiques au Kurdistan, nous pouvons constater que, conformément à nos principes, au Kurdistan, tous les groupes sont égaux, toutes les communautés sont égales. Bien sûr, nous ne sommes pas parfaits, mais ce principe s'applique à tous, pas seulement aux chrétiens : aux Kurdes, aux yézidis également. Lorsque je parle des défauts du gouvernement, ces défauts s'appliquent à l'ensemble des groupes qui coexistent au Kurdistan. Je ne parle pas de 'réfugiés', c'est un terme que je récuse, parce que les chrétiens ne sont pas des 'réfugiés' au Kurdistan. Ce sont des personnes qui ont été déplacées, de force, ou qui ont dû fuir les attaques terroristes, à Bagdad ou d'en d'autres régions, telle que Mossoul. Ces personnes ont été contraintes de quitter leur foyer et de venir au Kurdistan. Mais le Kurdistan est également leur pays. »

Pour le Dr Fuad Hussein, l’avenir des chrétiens dépend en fait de la stabilité et de la survie du Kurdistan, qui est aussi un atout indispensable pour que l’Irak tourne la page de ses violences :

« Bagdad ne pourra pas faire l'économie de ce rôle donné aux Kurdes. Les Kurdes peuvent contribuer au changement à Bagdad. Je dis cela parce que, malheureusement, l'idéologie qui domine dans les sociétés irakiennes, – car, j'insiste là-dessus, il y en a plusieurs – eh bien, l'idéologie dominante dans les sociétés irakiennes n'est pas une idéologie démocratique. Je ne dis pas que le Kurdistan est parvenu à la pleine démocratie, mais en revanche, je peux vous dire que nous croyons en la démocratie et que nous luttons pour la faire advenir. Cependant, pour être tout à fait honnête, la situation n'est pas la même dans d'autres régions de l'Irak, et si nous voulons mettre en place un processus démocratique à Bagdad, et si nous voulons que les chrétiens puissent rester en Irak, parce que nous croyons que les chrétiens, comme les Kurdes et comme d'autres, doivent pouvoir rester dans leur pays, et nous voulons que les chrétiens comme d'autres communautés demeurent en Irak, alors nous devons aider les Kurdes à mettre en place un meilleur système politique, de meilleures conditions de vie, et nous devons aider les Kurdes à aider l'Irak. Et je crois que d'autres pays, la France en particulier, peuvent nous aider, peuvent aider les Kurdes à aider les autres. »

TURQUIE : LA SOCIOLOGUE PINAR SELEK À NOUVEAU JUGÉE

Le 9 février, la sociologue turque Pınar Selek était à nouveau jugée à Istanbul pour un acte de terrorisme qu’elle nie, depuis 13 ans, avoir perpétré et pour cause : cet attentat n’a, en fait, jamais eu lieu.

Le 9 juillet 1998, en effet, une explosion et un incendie dans le Bazar d’Istanbul, qui avaient fait sept morts et 127 blessés, avaient, dans un premier temps, été imputés à « un groupe terroriste », le PKK ayant été désigné d’emblée par les autorités. Un « suspect » avait été arrêté et, sous la torture, avait avoué avoir posé une bombe dans le Bazar. Il avait également donné le nom de Pınar Selek comme celui de sa complice.

Pınar Selek a été arrêtée, le 11 juillet, de retour d’une enquête de terrain dans les régions kurdes de Turquie, auprès de combattants du PKK. Elle a été emprisonnée et torturée afin de lui faire avouer les noms des personnes qu’elle a interviewées. Ce n’est qu’un mois plus tard qu’elle apprend, de sa cellule, qu’elle est en fait accusée de « l’attentat du Bazar ».

Emprisonnée pendant deux ans et demi, subissant elle-même des tortures, la sociologue nie toute implication. Entre temps, il a été établi que l’incendie du Bazar est simplement du à une fuite de gaz… ce qui n’empêche nullement la justice turque de continuer les poursuites, même si, à la faveur de ces expertises, l’accusée est relâchée, en 2000.

Mais la Préfecture de police envoie à la cour un rapport « attestant » qu’une bombe est à l’origine de l’explosion, s’appuyant sur des « preuves » qui s’avéreront forgées, comme un soi-disant « cratère » creusé par un engin explosif. En 2005, le procureur requiert la perpétuité. Elle est jugée et acquittée par la 12ème Cour d’assises d’Istanbul, en 2006, les experts scientifiques ayant totalement réfuté la thèse d’un attentat.

Mais le procureur fait appel et renvoie le procès en cour de cassation, ce qu’il fera trois fois de suite, après chaque acquittement, sans d’ailleurs apporter aucun élément nouveau pour relancer son accusation.

Relaxée lors de son deuxième jugement en 2008, elle est à nouveau jugée le 9 février, sur décision de la Cour de cassation, par la 12ème Chambre de la Haute Cour criminelle d’Istanbul. Bien que vivant depuis en Allemagne, Pınar Selek a tenu à retourner à Istanbul pour se présenter devant ses juges. À l’issue du procès, Pınar Selek a été acquittée, pour la troisième fois, ainsi que la personne qui l’avait dénoncée. Cela n’a pas empêché le procureur de la Cour criminelle d’Istanbul de faire appel de cette décision auprès de la Cour de cassation, deux jours après l’acquittement. Et la réquisition ne change pas : perpétuité, dont 36 ans incompressibles.

Le 25 février, Pınar Selek s’est rendue à Paris pour assister à la rencontre de Chercheurs sans frontières, et pour y livrer son témoignage. L’origine de cet acharnement judiciaire tient sans doute aux recherches et aux prises de position de la sociologue, qui a toujours travaillé sur des sujets sensibles, voire tabous en Turquie : la question kurde, le génocide arménien, la place de l’armée au sein de l’État turc et de son système politique. Pınar Selek est aussi une chercheuse « engagée », que ce soit pour les causes féministes ou antimilitaristes. En 1996, elle a fondé une association, l’Atelier de rue, destinée à accueillir plusieurs groupes marginalisés ou sans abri d’Istanbul, tous vivant dans la rue : prostitués, transsexuels ou travestis, gitans, enfants des rues, chiffonniers, vendeurs ambulants, etc. À ces ateliers d’expression artistiques ou de débat se sont joints d’autres universitaires. Mais ses travaux les plus « sensibles » sont ses enquêtes de terrain auprès de militants kurdes pour comprendre leurs parcours et la raison de leurs engagements, ainsi que de leur lutte armée, en leur donnant la parole dans des entretiens publiés. Il est possible aussi que ses activités auprès de groupes marginalisées par une société turque conservatrices=, comme ceux des minorités sexuelles, lui aient aussi aliéné les milieux proches de l’AKP. En tout cas, le gouvernement au pouvoir s’est toujours montré passif devant ce harcèlement judiciaire.