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Turquie: Erdogan veut une "dictature constitutionnelle", accuse le chef du parti kurde


Lundi 6 avril 2015 à 11h19

Ankara, 6 avr 2015 (AFP) — A deux mois des législatives, le coprésident du principal parti kurde de Turquie espère contrarier les rêves de pouvoir du président Recep Tayyip Erdogan, qu'il accuse de vouloir instaurer une "dictature constitutionnelle".

Sur fond de pourparlers entre le gouvernement et la rébellion du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Selahattin Demirtas sait que son mouvement, le Parti démocratique du peuple (HDP), détient entre ses mains une partie du sort du scrutin du 7 juin.

De son score dépend l'ampleur de la victoire annoncée du parti islamo-conservateur qui règne sans partage depuis 2002. Et donc l'avenir de l'homme fort du pays.

"M. le président Tayyip Erdogan essaie de mettre en place une dictature constitutionnelle en s'arrogeant tous les pouvoirs", dénonce M. Demirtas dans un entretien accordé à l'AFP au quartier général de son parti à Ankara.

Cofondateur du Parti de la justice et du développement (AKP), M. Erdogan a été contraint l'an dernier à renoncer au poste de Premier ministre qu'il occupait depuis 2003, victime d'une règle interne de son mouvement qui interdit à ses membres d'exercer plus de trois mandats successifs.

Vainqueur haut la main de la présidentielle en août 2014, il s'efforce depuis de garder par tous les moyens les rênes du pays, au besoin en tordant la lettre de la Constitution qui impose au chef de l'Etat la neutralité et un rôle très protocolaire.

"On peut considérer que la Constitution est aujourd'hui suspendue", regrette le patron du HDP, "le président ne la respecte pas et fait campagne ouvertement pour l'AKP".

Depuis des semaines, Recep Tayyip Erdogan bat les estrades pour faire en sorte que son parti obtienne une majorité d'au moins 367 des 550 sièges de députés, nécessaire pour modifier la loi fondamentale et renforcer ses pouvoirs.

"La Turquie serait confrontée à de graves défis si quelqu'un qui ne reconnaît pas la Constitution aujourd'hui imposait demain son pouvoir personnel sous le prétexte d'instaurer un régime présidentiel", prévient Selahattin Demirtas.

- Trouble-fête -

Le patron du HDP est déterminé à faire dérailler ce scénario en ramenant dans le giron de son parti l'électorat kurde de Turquie --une communauté estimée à 15 millions de personnes soit 20% de la population--, jusque-là largement acquis à l'AKP.

L'équation politique du 7 juin est simple. Si le parti kurde passe la barre des 10% au niveau national, indispensable pour garantir sa représentation au Parlement, il privera le parti de M. Erdogan de sa majorité qualifiée et pourrait même, à en croire certains sondages, l'empêcher de garder la majorité absolue qu'il détient depuis 2002.

"Si le HDP franchit le seuil des 10%, les calculs de nombreux partis seront réduits à néant", pronostique M. Demirtas.

Arrivé troisième de la présidentielle de 2014 avec un peu moins de 10% des voix, le dirigeant kurde est l'une des étoiles montantes de la politique turque.

Mais, paradoxalement, les discussions engagées depuis 2012 pour mettre un terme à la rébellion kurde, qui a fait 40.000 morts depuis 1984, constituent un obstacle sur la route de M. Demirtas.

Ses adversaires de l'opposition l'accusent d'avoir conclu un accord secret en vertu duquel il soutiendrait la présidentialisation du régime voulue par M. Erdogan en échange de la paix et de réformes favorables à la minorité kurde du pays.

"Nous n'avons pas passé d'accord officiel ou secret avec l'AKP", s'insurge le responsable kurde, en rappelant que ses convictions en faveur de la laïcité ou du droit des femmes vont à l'encontre de celles de M. Erdogan.

Même si le chef du Parti des rebelles kurdes du PKK Abdullah Öcalan a appelé ses troupes à déposer les armes, les perspectives d'un accord de paix rapide se sont envolées à l'approche du scrutin.

Soucieux de ne pas perdre son électorat le plus nationaliste, M. Erdogan a durci le ton contre la partie kurde et fait de la fin de la rébellion un préalable indispensable à toute avancée en faveur des Kurdes.

Une condition fermement rejetée par M. Demirtas. "Plus vite le gouvernement prendra des mesures, plus vite nous aboutirons à une solution", juge-t-il, "mais nous savons que les négociations ne vont pas dans ce sens".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.