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Rapatriement d'orphelins de jihadistes : "un cas par cas insupportable", selon les familles


Mardi 11 juin 2019 à 16h58

Paris, 11 juin 2019 (AFP) — "Ils attendent que tous nos petits soient morts ?" Après les rapatriements d'orphelins de jihadistes détenus en Syrie, les familles françaises des quelque 200 autres enfants dénoncent "un cas par cas insupportable", "contraire aux valeurs de la France" et risqué pour la sécurité du pays.

Après avoir fait revenir 5 premiers orphelins en mars, Paris a rapatrié lundi de Syrie 12 autres enfants - 10 orphelins et 2 dont la mère a accepté de se séparer.

"C'est une bonne nouvelle, mais il faut aller bien plus loin, et rapidement, et rapatrier tout le monde", a aussitôt déclaré à l'AFP Thierry Roy, de Sevran (Seine-Saint-Denis), membre du Collectif Famille Unies, qui regroupe plus d'une cinquantaine de familles de jeunes partis en Syrie et Irak après 2011.

Selon les familles et leurs avocats, une centaine de mères et environ 200 enfants français, aux trois quarts âgés de moins de 5 ans, survivent "dans des conditions sanitaires déplorables" dans les camps syriens où sont détenues des centaines de familles étrangères qui avaient suivi l'Etat islamique (EI), qui a perdu en mars son dernier bastion territorial, Baghouz.

A Al-Hol, le plus grand camp, la situation sanitaire est "critique", a confirmé fin mai l'ONG Médecins sans frontières (MSF). Fin avril, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) y recensait 286 morts depuis le début de l'année, victimes notamment de déshydratation et de diarrhées aigües.

Mais selon un sondage publié fin février, deux tiers des Français ne veulent pas voir revenir en France les enfants de jihadistes partis en Irak et Syrie, par crainte notamment qu'ils ne deviennent un jour à leur tour jihadistes en France. "Une aberration", pour les familles qui soulignent, entre autres, que la plupart des enfants sont encore tout petits.

Le gouvernement, qui défend des rapatriements d'enfants au "cas par cas", a souligné que les 12 rapatriés lundi étaient des "orphelins, isolés" ou "particulièrement vulnérables". Et "si d'autres opportunités se présentaient, nous essaierons de les mener à bien", a déclaré mardi à l'Assemblée nationale, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.

Or "tous les enfants, orphelins ou non, sont en danger", et faire la distinction entre les deux "est incompréhensible", s'emporte Anne (le prénom a été changé), du nord de la France, qui a sa fille et ses quatre enfants dans un des camps. "Et les autres, on va les laisser mourir à petit feu là-bas ?"

- "Radicalisation croissante" -

La petite-fille de Christine Morin, de Narbonne, se trouve également à Al-Hol avec sa mère, une Turque. Son père, Thomas, est parti en Syrie en suivant Fabien Clain (qui a revendiqué avec son frère Jean-Michel Clain les attentats du 13 novembre 2015 à Paris) avec qui il aurait péri fin février pendant la bataille de Baghouz.

L'enfant "va avoir deux ans cet été, je veux la tirer de là bas avant que sa mémoire ne se forme", explique Mme Morin, 60 ans, en montrant sur son téléphone des photos de cette petite rousse dans une robe blanche à froufrous.

"L'été se profile, ils sont sous des tentes, il va faire chaud. Ils attendent que tous nos petits soient morts ?", s'exclame-t-elle entre larmes et colère.

Pour nombre de familles, les mères comme les enfants sont en danger en Syrie.

Selon des témoignages concordants, à Roj comme à Al-Hol, certaines étrangères fondamentalistes imposent leur loi à d'autres, parfois avec violence (tentes incendiées, agressions...). L'OMS a elle aussi noté la "radicalisation et les tensions croissantes" entre détenues à Al-Hol.

Paris continue de refuser catégoriquement tout rapatriement des adultes, hommes et femmes, estimant qu'ils doivent être jugés "là où ils ont commis des crimes". Onze Français détenus en Syrie ont été transférés à l'Irak, un Etat souverain au contraire du Kurdistan du nord syrien, et condamnés à mort ces dernières semaines.

"La France bafoue ses valeurs en sous-traitant sa justice à l'Irak. Au lieu de céder à l'opinion publique, M. Macron devrait prendre la décision humaine et courageuse de rapatrier toute le monde", estime Amine Elbahi, de Roubaix (Nord), dont la soeur est détenue à Al-Hol avec ses deux enfants.

La France est "parfaitement en capacité d'accueillir tous les enfants, de les prendre en charge et de leur assurer une vie normale, et de juger les adultes", note Thierry Roy.

Les laisser là-bas, assurent les familles, revient à risquer de "les laisser grandir dans une haine de leur pays".

Christine Morin en est certaine, "s'ils grandissent en baignant dans cette idéologie, on n'en sortira jamais. C'est là-bas qu'ils seront des bombes à retardement".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.