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Procès de jihadistes étrangers: les Kurdes syriens moins pressés que l'Irak


Vendredi 23 février 2018 à 11h19

Qamichli (Syrie), 23 fév 2018 (AFP) — Capturés par milliers en Irak et par les Kurdes de Syrie, les jihadistes étrangers sont rapidement jugés par le premier mais attendent toujours de savoir ce qui les attend chez les seconds, plus démunis et favorables à des procès dans leurs pays d'origine.

Contrairement à la grande majorité des Français arrêtés ces derniers mois à la suite de la débâcle du groupe Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie, Mélina Boughedir, 27 ans, a été jugée rapidement et va pouvoir bientôt rentrer en France.

Condamnée lundi à Bagdad à sept mois de prison qu'elle a déjà purgés -les Irakiens n'ayant retenu contre elle que l'entrée illégale sur leur territoire-, elle devrait être expulsée puis placée en garde à vue et entendue par les services antiterroristes à son arrivée en France.

Elle fait partie des milliers de détenus étrangers arrêtés en Irak et Syrie pour avoir servi l'EI, de près ou de loin.

Plus d'un millier, dont 560 femmes et plus de 600 enfants, ont été interpellés comme elle en Irak, qui enchaîne les procès.

En janvier, une Allemande a été condamnée à mort par Bagdad pour "soutien logistique et aide à une organisation terroriste". Dimanche, une Turque a elle aussi écopé de la peine capitale.

La France s'est dite favorable à ce que ses ressortissants arrêtés en Irak et Syrie y soient jugés -en précisant qu'elle interviendrait en cas de condamnation à mort- malgré les appels des familles et avocats qui réclament des procès en France.

Rares sont les pays, notamment en Europe où les attentats jihadistes des dernières années ont tétanisé les opinions publiques, qui réclament l'extradition de ces ressortissants.

-'Jugés dans leur pays'-

La question ne fait pas débat en Irak, qui a proclamé en décembre la victoire militaire sur l'EI après trois ans de tensions et affrontements meurtriers.

"Ces gens ont tué, réduit des femmes en esclavage... Ils ont commis des crimes de guerre sur le sol irakien et la loi irakienne y prévaut", explique à l'AFP le porte-parole du Conseil irakien de la justice suprême, Abdel Settar Bayraqdar.

La situation est bien moins claire de l'autre côté de la frontière, chez les Kurdes de Syrie, alors qu'un nombre encore plus important de jihadistes étrangers présumés et leurs familles, dont au moins une quarantaine de Français, ont été interpellés par les Forces démocratiques syriennes (FDS), coalition de combattants kurdes et arabes soutenue par les Occidentaux.

"Nous avons arrêté des milliers de jihadistes étrangers" de "plus de 40 pays" et "nous continuons d'en arrêter tous les jours", explique à l'AFP Redur Khalil, porte-parole des FDS.

Cela pose un "gros problème" aux autorités kurdes syriennes, qui ont d'autres priorités actuellement, comme la sanglante offensive turque en cours dans l'enclave d'Afrine (nord-ouest), explique à l'AFP Abdul Karim Omar, haut responsable de Jaziré, l'un des trois cantons formant la "région fédérale" kurde en Syrie.

"Nous voulons que les jihadistes étrangers soient jugés dans leur pays" pour éviter un casse-tête à la fois juridique et logistique, souligne M. Khalil.

- 'Pièce maîtresse' -

Contrôlé en grande partie par des milices kurdes depuis 2012, les territoires kurdes semi-autonomes en Syrie sont dirigés par un gouvernement de facto dont les institutions, notamment judiciaires, restent embryonnaires et ne sont pas reconnues au niveau international.

"En vertu de quelle loi allons-nous les juger?", se demande M. Khalil, ajoutant: "Nous n'avons pas de grandes prisons" pour les garder une fois condamnés.

"Nous voulons livrer les prisonniers étrangers de l'EI à leurs pays", confirme M. Omar, en soulignant que des accords en ce sens ont déjà été conclus avec la Russie et l'Indonésie.

Mais face à l'inflexibilité d'autres pays comme la France, les Kurdes syriens, en mal de reconnaissance et de soutien internationaux face la Turquie notamment, ne ferment pas la porte à d'éventuels procès chez eux.

"S'il n'est pas possible de les livrer, nous les jugerons ici", note ainsi M. Omar, tout en soulignant que trouver un tel accord avec chaque pays concerné prendra du temps, au moins plusieurs mois.

Les peines, qui vont jusqu'à 20 ans de prison pour les faits de terrorisme, y sont souvent réduite ou aménageables dans la pratique.

Cette situation confuse est dénoncée par les familles et avocats de Français détenus en Syrie, qui redoutent que ces derniers ne deviennent otages de marchandages géopolitiques.

"Les Kurdes ont parfaitement conscience que les prisonniers étrangers sont une pièce maîtresse dans leur jeu", note l'avocat français Martin Pradel, qui défend plusieurs Français détenus dans les territoires kurdes en Syrie.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.