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Pour Ankara, la défense de l'Europe passe aussi par la Turquie


Vendredi 7 mars 2025 à 15h26

Istanbul, 7 mars 2025 (AFP) — La Turquie, deuxième armée de l'Otan sur la rive sud de la mer Noire, entend contribuer pleinement à la sécurité en Europe. Par la négociation si possible, par la voie militaire si besoin.

Depuis le sommet de Londres auquel elle était conviée par le Premier ministre britannique Keir Starmer et de nouveau après le sommet de l'UE sur le réarmement européen, jeudi, la Turquie répète qu'il faut compter avec elle face au désengagement américain.

Pour le président turc Recep Tayyip Erdogan, il "est inconcevable d'établir la sécurité européenne sans la Turquie". Sans elle, il lui "devient de plus en plus impossible de conserver son rôle d'acteur mondial", a-t-il lancé cette semaine aux ambassadeurs réunis pour l'iftar (le dîner de ramadan).

"Suite aux évolutions récentes, il n'est pas possible d'assurer la sécurité européenne sans notre pays", a de nouveau martelé jeudi un responsable au ministère de la Défense, précisant que la décision est loin d'être prise, mais qu'il est prêt à déployer des forces de maintien de la paix "si nécessaire".

Ankara a défendu avec constance la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine depuis le début de l'invasion russe en février 2022, sans rompre le contact avec Moscou ni se joindre aux sanctions occidentales ce qui lui ménage un position unique en Europe.

- Industries de défense en hausse -

Proposant régulièrement d'accueillir des pourparlers entre les belligérants, le chef de l'Etat et celui de la diplomatie, Hakan Fidan, reçoivent régulièrement le ministre russe des Affaires étrangères Serguei Lavrov (le 24 février) et le président ukrainien Volodymyr Zelensky (le 18 février), fournissant des drones de combat à Kiev et des bâtiments pour sa marine.

La Turquie a considérablement développé ses industries de défense avec une croissance de ses exportations de +29% sur l'année en 2024 (7,15 milliards de dollars, soit 6,58 milliards d'euros), ce qui la classe au 11è rang mondial, s'est félicité en janvier le chef de l'Etat.

Elle affiche le succès mondial de ses drones Bayraktar TB2, réputés fiables et peu chers, vendus à plus de vingt-cinq pays, dont des européens comme la Pologne et la Roumanie, selon le Military Balance - la bible de l'International Institute for Strategic Studies, IISS.

"Ses ventes aux membres de l'UE ajoute du crédit à l'argument de la Turquie selon lequel elle est un acteur important de la sécurité européenne", relève d'ailleurs Tom Waldyn, expert de l'IISS.

Son armée, stratégiquement située sur le flanc oriental de l'Alliance atlantique et le sud de la Mer noire dont elle contrôle l'accès via le Bosphore, compte 373.200 militaires et 378.700 réservistes, selon l'IISS.

Et c'est une armée active, déployée dans le nord-est de la Syrie et le nord de l'Irak où elle combat les insurgés kurdes, relève un diplomate occidental.

- "nouvel ordre" -

"La Turquie a conservé une attitude cohérente et conforme à la charte de l'ONU sur la souveraineté et l'intégrité territoriale", de l'Ukraine, rappelle-t-il. "Même si elle s'est montrée plus flexible que l'UE l'aurait voulu".

Elle entretient "la deuxième armée de l'OTAN, mais aussi la plus pertinente, au combat depuis des décennies", insiste-t-il, regrettant que la coopération de l'UE avec Ankara reste entravée par la question chypriote. "Combien de temps va-t-on pouvoir se le permettre?" s'interroge-t-il.

"La Turquie vise à gérer soigneusement ses relations avec la Russie et son soutien stratégique à l'Ukraine afin de remodeler l'équilibre des pouvoirs dans la région, dans le cadre d'un +nouvel ordre+ dans lequel l'UE cherche à assumer une plus grande responsabilité pour sa sécurité", appuie Nebahat Tanriverdi Yasar, analyste indépendante à Ankara et Berlin.

Elle suit ainsi "une approche pragmatique, se concentrant sur ses efforts de médiation, le renforcement de sa coopération en matière de défense avec certains États européens et l'exploitation de son industrie de défense".

Mais, tempère Sümbül Kaya, maître de conférence en Sciences politiques à Lyon (France), "la Turquie est animée avant tout par la défense de ses intérêts personnels".

"Elle n'intervient chez ses voisins que pour des questions de sécurité intérieure, comme en Syrie ou en Irak. Mais pas question d'envoyer des troupes faire la guerre partout. Ça ne passerait pas dans la population".

"Cette crise est une occasion de rappeler qu'elle est membre de l'Otan et candidate à l'Union européenne", estime-t-elle.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.