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Perte de Raqa par l'EI: quelles conséquences géopolitiques en Syrie?


Samedi 21 octobre 2017 à 10h03

Beyrouth, 21 oct 2017 (AFP) — Ex bastion syrien du groupe Etat islamique (EI), Raqa est désormais aux mains d'une alliance dominée par les Kurdes, alliés à Washington mais qui pourraient à terme se rapprocher du régime de Bachar al-Assad et de la Russie, dans ce pays morcelé par la guerre.

Rapprochement Kurdes/régime?

La capture de Raqa, l'ex-"capitale" de l'EI en Syrie, est la dernière victoire en date des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance antijihadistes disposant du soutien aérien crucial des Etats-Unis.

Depuis 2015, elles ont chassé l'EI de plusieurs régions, s'imposant comme une force incontournable dans la lutte contre l'organisation jihadiste.

Mais alors que le "califat" autoproclamé par l'EI s'écroule, avec le risque d'un désengagement américain de Syrie, les FDS pourraient se retrouver isolées, selon les analystes.

"Si les Américains partent, les FDS seront vulnérables", explique à l'AFP Aaron Stein, chercheur au centre de réflexion Atlantic Council.

Dans ce cas, les Kurdes, d'après des experts, pourraient composer avec le régime de Bachar al-Assad, qui les traitait jusqu'alors avec méfiance.

Profitant en 2012 du retrait de l'armée de Damas --trop occupée à combattre la rébellion ailleurs--, les Kurdes ont établi une administration semi-autonome dans des régions du nord syrien, frontalières de la Turquie.

Leur annonce d'une "région fédérale" en 2016 et la tenue de leurs premières "élections" ont provoqué l'ire du régime, qui veut aujourd'hui reprendre tout le territoire perdu depuis 2011.

Mais si "les Etats-Unis retirent leurs troupes rapidement, dans les six mois, les Kurdes (...) vont devoir se rapprocher de Damas" --avec Moscou en arrière-plan--, affirme Fabrice Balanche, analyste auprès de la Hoover Institution de l'Université de Stanford.

Aaron Stein va dans le même sens en estimant que "les FDS sont bien placées pour négocier avec le régime".

Un analyste proche du régime pense également que l'heure est au rapprochement.

"Les discussions portent aujourd'hui sur la tenue de négociations entre (les Kurdes) et le gouvernement syrien", avance Bassam Abou Abdallah, directeur du Centre de Damas pour les études stratégiques.

Retour du régime à Raqa?

Le régime n'a pas officiellement réagi à la prise par les FDS de Raqa, région qui "n'a aucune importance stratégique" pour lui, selon M. Balanche.

"Pendant que les FDS et les Etats-Unis se concentraient sur Raqa, l'armée syrienne et ses alliés s'emparaient du désert et fonçaient sur Deir Ezzor", explique-t-il, en référence à la province orientale où l'EI conserve de nombreux secteurs.

Les forces du régime ont progressé rapidement ces dernières semaines dans cette province, avec l'appui crucial de l'aviation russe.

Fabrice Balanche note le côté "stratégique" de Deir Ezzor, région pétrolière frontalière de l'Irak.

Mais cela ne veut pas dire que le régime, qui dit contrôler aujourd'hui 52% du territoire, a abandonné toute prétention sur Raqa.

"Pour l'Etat syrien, l'autorité doit être rétablie dans toute la Syrie", fait valoir M. Abou Abdallah. "Une structure séparée (...) est inacceptable, même si cela implique un recours à la force", poursuit-il, en référence à l'administration autonome kurde.

En outre, au vu des énormes destructions à Raqa, les Kurdes risquent de ne pas être en mesure de gérer seuls la reconstruction.

"En échange d'une protection russo-syrienne, ils vont rendre Raqa au gouvernement de Damas", qui réoccupera des bâtiments officiels et ramènera la police, prédit en conséquence M. Balanche.

Retrait américain?

"Il ne reste plus grand-chose à faire en Syrie pour les Etats-Unis puisque l'EI est pratiquement éliminé", soutient par ailleurs Fabrice Balanche. "Trump semble vouloir en finir avec l'EI et s'arrêter là".

"Les Etats-Unis utilisent les Kurdes comme une carte dès qu'ils auront réalisé une partie de leurs objectifs, ils vont les lâcher", estime Bassam Abou Abdallah.

Dernier grand bastion urbain de l'EI en Syrie, la ville de Boukamal, dans la province de Deir Ezzor, devrait tomber dans les prochains mois, très probablement aux mains du régime.

Du coup, les Etats-Unis vont se trouver "dans une situation géopolitique inconfortable" en Syrie, selon M. Abou Abdallah, ajoutant: "la Turquie, la Russie et l'Iran veulent les voir partir".

Ankara, qui appuie la rébellion, d'une part et Téhéran et Moscou, qui soutiennent Damas, d'autre part, ont effectué ces derniers mois un rapprochement inédit, isolant Washington dans le jeu syrien.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.