Mardi 5 mai 2009 à 16h46
BILGE (Turquie), 5 mai 2009 (AFP) — Le massacre de 44 villageois lors d'un mariage kurde dans le sud-est de la Turquie vient brutalement rappeler que la violence reste un recours fréquent dans des régions où code d'honneur et traditions féodales sont les maître mots.
Les mobiles des assaillants masqués qui ont dévasté avec leurs fusils d'assaut le village de Bilge, dans la province de Mardin, lundi soir --la pire tuerie de civils à ce jour en Turquie, selon les experts-- n'ont pas encore été élucidés.
Mais on connaît la facilité avec laquelle les incidents les plus triviaux --une vache venant paître dans le potager du voisin, des différends fonciers ou des dettes impayées-- peuvent dans cette région se transformer en conflits sanglants entre familles, pouvant se poursuivre durant des décennies.
"Dans cette région, les concepts d'honneur, de réputation et de dignité sont portés à des extrémités qui défient l'entendement occidental", affirme le Dr Azhar Bali, sociologue à l'université Isle de Diyarbakir, la principale ville du sud-est anatolie, à la population en majorité kurde.
"Dans le langage populaire, on dit qu'un homme 'vit pour son honneur'", poursuit le scientifique, estimant toutefois que le massacre de Bilge est "l'incident le plus sanglant lié aux crimes d'honneur" dont il a eu connaissance.
La société dans le sud-est de la Turquie, une des régions les plus pauvres du pays, est largement régie par un code social d'ordre clanique qui fait prévaloir l'honneur de la famille sur l'intérêt des individus, la responsabilité des torts d'une personne retombant sur l'ensemble du groupe.
Dans ces cycles de vengeances et de représailles, refuser d'agir au nom de la famille est absolument inacceptable et peut mener à une ostracisation du fautif, jugé malhonnête, explique M. Bagli, ajoutant qu'au contraire, "ceux qui tuent pour leurs familles sont souvent perçus comme des héros".
Sait Sanli, boucher de profession, joue également le rôle de médiateur dans les conflits entre clans. Pour lui, l'illétrisme est un facteur majeur dans la survivance des vendettas.
"La plupart des gens n'ont jamais été à l'école et la seule chose qu'ils connaissent, c'est régler leurs comptes par les armes. Ils ne vont pas devant les tribunaux pour régler leurs différends", affirme-t-il.
La crainte de représailles contraint parfois des clans entiers à abandonner leurs villages, ce qui a incidemment conduit à une propagation des règlements de comptes vers les grandes villes de l'ouest de la Turquie et jusqu'en Europe.
Autre raison de la prévalence de la violence dans la région: le conflit qui oppose depuis 24 ans les rebelles kurdes séparatistes à l'armée, qui a fait quelque 45.000 morts et conduit à la création d'un système de "gardiens de villages", des miliciens kurdes au service d'Ankara, souvent accusés d'abuser de leur pouvoir et de leurs appuis pour se livrer à diverses extorsions.
Des habitants de Bilge ont accusé des gardiens de village d'être les auteurs présumés du massacre.
"Il devrait y avoir des comités pour la paix dans chaque village, comprenant l'imam, l'instituteur, le chef du village et des villageois importants, pour tenter de résoudre les problèmes auquel la loi n'a pas trouvé de solution", suggère M. Sanli, face au développement des vendettas.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.