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Les Kurdes veulent un tribunal international spécial pour juger les crimes de l'EI


Lundi 25 mars 2019 à 18h09

Ain Issa (Syrie), 25 mars 2019 (AFP) — Les Kurdes de Syrie ont appelé lundi à la création d'un tribunal international spécial, basé dans le nord-est de ce pays, pour juger les crimes commis par le groupe Etat islamique (EI) durant les plus de quatre ans de son "califat" aujourd'hui éradiqué.

L'organisation jihadiste la plus redoutée au monde est accusée d'avoir commis de nombreux crimes -exécutions de masse, viols, enlèvements- sur les vastes territoires qu'elle a contrôlés en Syrie et en Irak de 2014 à 2019. Elle a aussi revendiqué des attaques meurtrières sur d'autres continents.

Le dernier réduit de ce proto-Etat est tombé samedi, quand une alliance arabo-kurde, les Forces démocratiques syriennes (FDS), ont conquis le dernier lambeau du "califat" à Baghouz dans l'est de la Syrie, avec l'aide d'une coalition internationale menée par les Etats-Unis. Les derniers jihadistes se sont rendus ou ont été tués.

A l'issue de cette ultime bataille, les FDS ont indiqué avoir arrêté plus de 5.000 combattants jihadistes désormais détenus dans les prisons de l'administration autonome de facto établie par les Kurdes dans les régions sous leur contrôle (nord-est).

Hors Syriens et Irakiens, ils sont environ un millier d'étrangers, a précisé à l'AFP le chargé des Affaires étrangères au sein de cette administration, Abdel Karim Omar.

Après avoir appelé en vain les pays d'origine à les rapatrier, les autorités kurdes semblent avoir changé de stratégie.

"Nous appelons la communauté internationale à établir un tribunal international spécial dans le nord-est de la Syrie", ont déclaré les FDS et l'administration autonome. Avec la création d'un tel tribunal dans cette région aux mains des FDS, cela permettra "que les procès soient conduits de manière équitable".

- "Pas réaliste" -

"La communauté internationale n'a pas assumé ses responsabilités et aucun pays n'a accepté de rapatrier ses ressortissants", a expliqué à l'AFP Abdel Karim Omar en allusion aux jihadistes.

"Nous lui demandons maintenant de coopérer en nous fournissant un soutien légal et logistique pour établir et protéger une telle cour" et ses centres de détention dans le pays où les crimes ont été commis, a-t-il ajouté.

En Irak, où s'étendait également le "califat" de l'EI jusqu'à fin 2017, plus de 600 personnes -dont de nombreux étrangers- ont déjà été condamnées à mort ou à la perpétuité pour avoir rejoint l'EI.

Les ONG de défense des droits humains dénoncent des procès "expéditifs" et des "aveux" obtenus après de "possibles tortures".

"L'idée d'un tribunal pénal international est pertinente mais dans le nord-est de la Syrie ce n'est pas réaliste", a déclaré à l'AFP Joël Hubrecht, responsable du programme justice internationale à l'Institut des hautes études sur la justice (IHEJ) de Paris.

L'administration kurde n'est pas reconnue internationalement, l'établissement d'une telle cour prend du temps et instaurer des systèmes fiables de protection des témoins paraît difficile dans un pays en guerre, relève-t-il.

Un tel tribunal, peut-être dans un autre lieu, "est idéalement souhaitable", dit-il toutefois en rappelant que les crimes reprochés à l'EI "sont internationalisées par leur nature (génocide, crime contre l'humanité...), leur géographie et la nationalité de leurs auteurs".

- Milliers d'étrangers -

Deux tribunaux ont notamment été créés par la communauté internationale: le Tribunal pénal international pour le Rwanda après le génocide de 1994 (siège en Tanzanie) et le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, qui a jugé les personnes accusées de génocide et crimes contre l'humanité lors des guerres des années 1990 (siège à La Haye).

Il existe en outre une Cour pénale internationale (CPI), premier tribunal permanent chargé de juger les plus graves violations du droit humanitaire. Les Etats-Unis, principal soutien des FDS, ne reconnaissant toutefois pas sa compétence, ni la Syrie.

Les Kurdes ont par ailleurs tiré la sonnette d'alarme au sujet des dizaines de milliers de déplacés entassés dans le camp d'Al-Hol (nord-est), où plus de 9.000 femmes et enfants étrangers proches de jihadistes se trouvent selon le porte-parole des autorités kurdes, Luqman Ahmi. Les enfants étrangers sont plus de 6.500, a-t-il dit sans préciser leur nationalité.

"Les réfugiés et les déplacés souffrent de conditions extrêmement difficiles et pénibles qui violent les droits humains", selon l'administration kurde, qui a critiqué "l'efficacité faiblissante des agences de l'ONU".

Lundi, trois orphelins en bas âge russes dont les parents étaient affiliés à l'EI ont été remis par les Kurdes à des représentantes de leur pays venues les rapatrier.

Plus de 70.000 personnes s'entassent dans "des conditions extrêmement critiques" à Al-Hol, d'après le Programme alimentaire mondial (PAM) en Syrie. Selon l'Unicef, le camp a été conçu pour accueillir un maximum de 20.000 personnes.

Depuis décembre, au moins 140 personnes sont mortes lors de leur transport vers Al-Hol ou juste après leur arrivée, selon le Comité international de secours (IRC).

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Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.