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Les Kurdes de Turquie réclament un statut officiel pour leur langue


Dimanche 12 mars 2006 à 13h06

ISTANBUL, 12 mars 2006 (AFP) — "Je veux chanter dans ma langue natale, c'est mon droit le plus légitime", explique Nilüfer Akbal, une chanteuse populaire kurde qui exhorte à la levée de toutes les restrictions imposées sur la langue kurde en Turquie, pays qui espère rejoindre les valeurs européennes.

Cette jeune artiste, très connue dans le sud-est anatolien à majorité kurde dont elle est originaire, estime que si la Turquie veut se démocratiser c'est avant tout par la langue kurde qu'elle doit commencer.

"J'ai toujours vécu le sentiment d'être l'autrui, celle qui est différente des autres", c'est-à-dire les Turcs, dit-elle au deuxième et dernier jour d'une importante conférence d'intellectuels turcs et kurdes qui se sont penchés à Istanbul dans les locaux d'une université privée sur les moyens d'une solution pacifique au vieux conflit kurde qui ternit l'image de la Turquie au sein de l'Union européenne.

Chanter en Kurde est autorisé depuis le milieu des années 1990 mais Mme Akbal déplore encore de nombreux préjugés: "Quand je dis à quelqu'un que je fais de la musique kurde, on me regarde d'un air bizarre, comme si j'étais une +terroriste+", dénomination officielle des autorités d'Ankara pour désigner les rebelles kurdes du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK, séparatistes), explique l'artiste.

A l'instar d'autres artistes kurdes, elle dénonoce des pressions des autorités policières. "Nous les artistes kurdes, nous sommes fichés à la police et on doit présenter un casier judiciaire vierge à chaque fois que nous voulons donner un concert", affirme la chanteuse.

Désireuse d'affermir sa crédibilité en tant que régime démocratique afin de s'intégrer à l'UE avec laquelle elle a entamé en octobre des négociations d'adhésion, la Turquie autorisé en 2003 l'enseignement, à titre privé, de la langue kurde ainsi que son usage dans des émissions publiques.

Mais les Kurdes de Turquie estimés à plus de 12 millions sur une population de 72 millions en demandent davantage et appellent le gouvernement d'accorder à la langue kurde le statut de langue officielle.

La constitution turque interdit l'utilisation d'une autre langue que le turc, seule langue officielle, dans les établissements publics.

Le principal parti pro-kurde de Turquie, le DTP (Parti pour une société démocratique) a demandé la semaine dernière au gouvernement d'accorder à la langue kurde le statut de langue officielle, un appel qui a eu peu d'effets à Ankara.

"Nous insistons pour que le kurde soit enseigné à l'école et dispose d'un statut officiel", a expliqué Ahmet Türk, un ancien député kurde, vice-président du DTP présent à la conférence.

Plusieurs établissements privés d'enseignement du kurde ont ouvert leur portes après les réformes pro-européennes d'Ankara mais ils sont actuellement tous fermés, faute notamment de fonds et d'élèves.

"Le kurde n'a pas de prestige social (...) les gens savent qu'ils ne peuvent l'utiliser dans la fonction publique et le commerce mais seulement dans la vie quotidienne, chez eux, et n'envoient donc pas leurs enfants l'étudier dans les écoles privées", a relevé Salih Akin, chercheur à l'Université de Rouen, en France.

Il a exhorté le gouvernement à amender la constitution pour que le kurde devienne "la deuxième langue officielle" de la Turquie.

Une telle chose est cependant très improbable à l'heure actuelle alors que le PKK, une organisation considérée de terroriste par l'UE et les Etats-Unis, n'envisage pas de déposer les armes qu'elle a brandie en 1984, selon les observateurs.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.