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La Turquie lance un projet controversé de barrage sur le Tigre


Samedi 5 août 2006 à 17h38

DIYARBAKIR (Turquie), 5 août 2006 (AFP) — La Turquie a lancé samedi la construction d'un grand barrage sur le Tigre, malgré les violentes critiques suscitées par le projet qui pourrait, selon ses opposants, détruire un site historique majeur et provoquer le déplacement de plusieurs milliers de Kurdes.

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a participé à l'inauguration du chantier du barrage d'Ilisu, près de Dargecit, à 45 kilomètres de la frontière syrienne, posant la première pierre d'un projet très controversé depuis sa conception, à la fin des années 70.

Au coeur des critiques, la petite ville d'Hasankeyf, sur les bords du Tigre, cité prospère de l'ancienne Mésopotamie aujourd'hui frappée par la pauvreté, risque de voir une partie de ses terres ensevelies sous le lac du barrage.

Les nombreux opposants au projet, qui prévoit également la construction d'une centrale hydroélectrique, craignent la disparition non seulement d'un site historique unique, où se côtoient des monuments assyriens, romains et ottomans, mais aussi d'un style de vie traditionnel, préservé jusqu'ici par sa population, kurde et arabe.

Pour arrêter le projet, des militants ont remis une pétition à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de Strasbourg et ont appelé les créanciers étrangers à suspendre leurs prêts au consortium international chargé de la construction de l'édifice.

Au contraire, les partisans du barrage estiment qu'il apportera à cette région pauvre les moyens de développer son économie, en permettant notamment la création de 10.000 emplois, le développement d'une activité de pêche et l'irrigation des terres agricoles.

Selon M. Erdogan, ce projet est une preuve de la volonté d'Ankara d'améliorer les conditions de vie de la minorité kurde de Turquie. "Le pas que nous franchissons aujourd'hui montre que le Sud-Est n'est plus négligé (...) Ce barrage apportera des profits substantiels aux populations locales", a-t-il déclaré au cours de la cérémonie.

Le conflit, qui oppose depuis 22 ans les séparatistes kurdes et l'armée dans cette région, a causé la mort de 37.000 personnes, la destruction des infrastructures et la fuite de plusieurs milliers d'habitants vers les quartiers pauvres des grandes villes.

Prévu pour 2013, le barrage d'Ilisu deviendra le deuxième plus grand réservoir d'eau et la quatrième centrale hydroélectrique du pays, avec une production annuelle de 3,8 milliards de kW/h. Son coût est estimé à 1,2 milliard d'euros.

Selon des responsables, 80% des sites archéologiques d'Hasankeyf, dont des tombes et des centaines de maisons souterraines déjà usées par le temps et des années de négligence, resteront au-dessus du niveau de l'eau.

Les autres, notamment des mosquées, un hammam et les restes d'un ancien pont enjambant le Tigre, seront transférés dans un musée en plein air, qui deviendra, selon le voeu de M. Erdogan, un "pôle touristique".

Le gouvernement est déterminé à préserver le patrimoine d'Hasankeyf, a ajouté M. Erdogan, rappelant que 66 millions d'euros avaient été alloués aux recherches archéologiques, déjà bien avancées.

Des opposants estiment pour leur part que même si les monuments sont transférés, l'intégrité du site et le paysage original seront dénaturés pour toujours.

Le gouvernement prévoit aussi d'indemniser les habitants de près de 200 villages qui seront expropriés, et de bâtir une nouvelle ville pour accueillir ceux d'Hasankeyf.

"Le barrage va détruire 12.000 ans d'histoire", déplore Abdulvahap Kusen, le maire d'Hasankeyf, membre d'un groupe civique opposé au projet. "Ni moi, ni personne d'autre n'ira s'installer dans ce nouvel endroit. Si Hasankeyf est inondée, nous migrerons tous vers les grandes villes", a-t-il déclaré à l'agence de presse Anatolie.

Le barrage d'Ilisu fait partie du Projet pour le Sud-Est anatolien (GAP), qui prévoit la construction de 22 barrages et de 19 centrales hydroélectriques dans la région, essentiellement sur le Tigre et l'Euphrate.

Le GAP a été vivement critiqué par l'Irak et la Syrie, qui accusent la Turquie de s'approprier les eaux de deux fleuves coulant vers le sud de leurs territoires frappés par la sécheresse.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.