Page Précédente

La justice française se penche sur le sort de deux mères retenues en Syrie avec leurs enfants


Mardi 2 avril 2019 à 19h52

Paris, 2 avr 2019 (AFP) — L'Etat français a-t-il une obligation, au nom de la protection de l'enfant, de rapatrier avec leurs mères des mineurs retenus dans des camps contrôlés par les Kurdes en Syrie? Le débat s'est tenu mardi, pour la première fois publiquement, devant la justice administrative.

Saisie de deux recours en urgence, une juge des référés du tribunal administratif de Paris a écouté, lors d'une audience publique, les arguments des avocats de deux Françaises détenues avec leurs enfants dans le camp de Roj, dans le nord-est de la Syrie, et ceux du ministère des Affaires étrangères.

Le gouvernement français refuse en effet de rapatrier ses ressortissants, jihadistes et épouses, affiliés à l'organisation Etat islamique (EI), et n'accepte de ramener les enfants qu'au "cas par cas". Cinq orphelins ont ainsi été rapatriés le 15 mars et une fillette de trois ans, dont la mère a été condamnée à la perpétuité en Irak, l'a été le 27 mars.

Me William Bourdon et Me Vincent Brengarth avaient déjà saisi le tribunal administratif en décembre pour qu'il contraigne la diplomatie française à rapatrier ces familles, mais leur recours avait été rejeté sans qu'aucune audience n'ait lieu, au motif que la justice administrative n'était pas compétente pour la conduite des relations internationales de la France. Ils avaient ensuite déposé un recours devant la Cour européenne des Droits de l'homme (CEDH), là aussi sans succès.

Dans leur nouvelle démarche, les avocats s'appuient notamment sur "l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt de l'enfant", consacrée par une récente décision du Conseil constitutionnel sur les tests osseux réalisés sur les jeunes migrants.

Les deux femmes, toutes les deux nées en 1989, ont chacune trois enfants, âgés de un an et demi à huit ans.

"On est dans quelque chose d'hors norme dans ce dossier", a convenu Me Bourdon, qui défend ces deux familles, soulignant sa complexité et la pression de l'opinion publique, qui pourrait interpréter certaines décisions comme "un acte de faiblesse".

Mais "le juge administratif ou judiciaire a les outils (...) pour rappeler un certain nombre de principes", dont celui du "droit à la vie", reconnu par la CEDH, a-t-il souligné, estimant que l'on voulait "faire s'évaporer la figure du droit de ce débat".

- "Compte à rebours" -

Or, "nous sommes dans un compte à rebours, dans la chronique annoncée de la mort d'enfants en bas-âge", a-t-il lancé, rappelant notamment que plusieurs enfants étaient décédés récemment dans un incendie survenu dans ce camp contrôlé par les forces kurdes.

"Le gouvernement français est évidemment très attentif à la situation de ce camp", a souligné en introduction la représentante du ministère des Affaires étrangères, assurant ne pas vouloir minorer la situation, notamment sanitaire, qui y régne.

Mais "nous sommes devant vous pour avoir un débat juridique", a-t-elle assuré, rappelant la jurisprudence ayant prévalu lors du rejet du premier recours déposé par les avocats des deux femmes.

Elle a par ailleurs souligné que le rapatriement de certains mineurs n'était "pas une décision unilatérale de l'Etat français", mais résultait d'une négociation avec les autorités kurdes.

"C'est une affaire extrêmement délicate et complexe", a reconnu la juge des référés à l'issue des débats, n'excluant pas la possibilité de renvoyer le dossier devant une formation collégiale.

Depuis plusieurs semaines, les démarches se multiplient pour réclamer le retour d'enfants de jihadistes, un dossier sensible pour Paris. Au moins une autre famille a aussi saisi la justice administrative, tandis que deux avocats se sont tournés vers le Comité contre la torture de l'ONU pour qu'il oblige l'Etat français à rapatrier des enfants.

Saisi d'une demande similaire, un juge bruxellois avait contraint la Belgique fin décembre à rapatrier six enfants belges de jihadistes retenus avec leurs mères dans un camp kurde, mais cette décision a été annulée en appel le 27 février.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.