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En Turquie, un candidat amputé tente de combattre le populisme


Dimanche 24 mars 2024 à 05h04

Bolu (Turquie), 24 mars 2024 (AFP) — Veli Saçilik a perdu un bras en prison. L'activiste combat désormais la rhétorique anti-réfugiés qui domine la campagne des élections municipales turques du 31 mars à Bolu (nord-ouest).

Le candidat du parti pro-kurde Dem veut "offrir une alternative démocratique" aux habitants de la ville, "coincés entre le racisme et l'économie de rente".

Sa tâche s'annonce ardue, avec des adversaires qui ont bâti leur campagne sur le sentiment anti-migrants, comme le maire sortant Tanju Özcan, élu du principal parti de l'opposition CHP, qui s'est illustré par le passé en tendant une bannière hostile aux réfugiés syriens à l'entrée de sa ville.

Le sort des 3,3 millions de Syriens installés en Turquie pour fuir la guerre dans leur pays a agité la présidentielle de mai 2023, plusieurs partis d'opposition promettant de les expulser quand le président Recep Tayyip Erdogan prônait des retours volontaires.

Depuis, le sujet a quasiment disparu des débats, sauf à Bolu.

La ville compte moins de 4.000 réfugiés syriens, soit 1,2% des 320.000 habitants, mais le maire sortant veut poursuivre sa politique anti-immigrés comme sa tentative, annulée par la justice, de leur facturer l'eau dix fois plus cher ou de leur retirer des permis d'activité commerciale.

Sollicité par l'AFP, M. Özcan n'a pas répondu à une demande d'interview.

"Tanju Özcan fait du populisme. Si vous ne luttez pas contre les guerres et pour l'environnement, vous ne pouvez pas résoudre les questions liées à l'immigration", affirme M. Saçilik, accompagné de sa colistière, Birsen Bas.

"Nous sommes les candidats des anti-populistes, des jeunes et des urbains pauvres", ajoute-t-il.

- Identités multiples -

Militant socialiste depuis trois décennies, M. Saçilik, 47 ans, a perdu un bras en prison en 2000, lors d'une intervention de la police contre des grévistes de la faim.

L'ex-prisonnier a surtout marqué les esprits avec une photo prise à Ankara en 2017 lors des manifestations contre les purges dans la fonction publique : on l'y voit se débattre de son seul bras gauche face aux boucliers anti-émeutes.

À première vue, tout oppose le socialiste Veli Saçilik à sa colistière, voilée et issue d'une famille conservatrice.

Mais il veut transformer ces différences en avantage. "En tant qu'homme et femme, Alévi et sunnite, handicapé et valide, laïque et conservatrice, nous embrassons toutes ces identités", sourit-il.

Cette alliance leur ouvre les portes des quartiers populaires et conservateurs de Bolu, où vivent près de 20.000 électeurs d'origine kurde.

"Ici, la majorité des femmes sont condamnées à rester chez elles, elles ont même peur d'être prise en photo sans l'autorisation de leur mari. Je leur parle des droits des femmes et je les rassure", dit Mme Bas.

- "Menace constante" -

Nombre d'habitants craignent cependant d'être vus avec les candidats pro-kurdes. Des attaques en 2015 contre des commerçants et des ouvriers d'origine kurde hantent encore les mémoires.

"Je suis à Bolu depuis trente ans, mes enfants sont nés ici, ne parlent même pas le kurde. Mais mon restaurant a été caillassé par mes voisins", regrette un commerçant requérant l'anonymat.

Troisième formation politique au parlement, le parti pro-kurde fait l'objet d'une répression implacable depuis 2016, année où son chef de file Selahattin Demirtas a été emprisonné.

"Le nationalisme est en hausse à Bolu à cause des discours populistes du maire. Même certains enseignants nous regardent de travers", déplore Metin, étudiant d'origine kurde.

Özkan Üstün, co-président du syndicat des travailleurs de la santé, regrette que le racisme ambiant empêche d'évoquer le "travail au noir, les problèmes d'environnement, de transports ou le risque sismique à Bolu".

Symboles de la ville, les cigognes ne s'arrêtent plus à Bolu à cause de la déforestation et de la construction d'un bassin d'irrigation, affirme-t-il.

M. Saçilik ironise, tenant le maire sortant responsable.

"Il a annoncé qu'il ne voulait plus d'immigrés, donc les oiseaux migrateurs ne viennent plus", sourit-il.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.