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En mal d'énergie, la Turquie courtise les Kurdes d'Irak, contre toute attente


Mercredi 20 février 2013 à 08h33

ANKARA, 20 fév 2013 (AFP) — Soucieuse de réduire sa dépendance énergétique au gaz et au pétrole importés, la Turquie lorgne avec insistance vers le Kurdistan irakien et ses réserves de brut, malgré la colère de Bagdad et la crainte de son allié américain de voir l'Irak éclater sous l'effet de ce rapprochement.

C'est un de ses bouleversements d'alliance qui donne des sueurs froides aux diplomates. Pendant très longtemps, Ankara s'est refusé à tout contact avec les Kurdes d'Irak, accusés d'héberger sur leur sol leurs "frères" honnis du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en guerre ouverte contre ses troupes depuis 1984.

Mais, depuis qu'il a pris les rênes du pouvoir, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a prudemment repris langue avec les dirigeants de ce qui constitue aujourd'hui la "région autonome kurde" d'Irak, et noué avec elle des liens économiques très forts destinés à nourrir en énergie l'impressionnante croissance (8,9% et 8,5% en 2010 et 2011) de son pays.

De 2,8 milliards de dollars en 2007, le montant des échanges entre la Turquie et l'Irak est passé à 10,7 milliards l'an dernier, dont une très large part avec sa région kurde, où un millier d'entreprises turques sont implantées.

Aujourd'hui, la Turquie propose de transformer cette entente en véritable partenariat stratégique. Selon la presse turque, ce projet prévoit la construction d'un gazoduc capable d'acheminer 10 milliards de mètres cubes de gaz par an.

S'il n'a pas confirmé ce projet, le ministre turc de l'Energie Taner Yildiz a en tout cas justifié l'intérêt de son pays pour son voisin du sud. "Quoi de plus naturel pour la Turquie que de protéger ses intérêts ?", a-t-il lancé.

Une réponse aux critiques que suscite le rapprochement entre Ankara et Erbil. A commencer par celles de l'Irak, qui dénie à la région kurde le droit d'exporter ses hydrocarbures sans son accord.

Ajoutée au refus turc d'extrader le vice-président irakien Tareq al-Hashemi, la question énergétique a pourri les relations entre le Premier ministre chiite irakien Nouri Al-Maliki et la Turquie, à majorité sunnite.

Inquiétude américaine

En décembre, l'Irak a interdit à l'avion du ministre Yildiz d'atterrir à Erbil pour y parapher l'accord. Un mois plus tôt, les autorités de Bagdad ont empêché le groupe pétrolier turc TPAO de participer à un appel d'offres pour un contrat d'exploration.

Mais ce n'est pas tout. M. Erdogan doit aussi affronter les mises en gardes de Washington, qui redoute que ses attentions pour la région kurde précipite un éclatement de l'Irak, dévastateur pour la stabilité de la région.

"La réussite économique peut favoriser l'intégration en Irak. Un échec pourrait y nourrir les forces qui poussent à sa désintégration, et ce ne serait bon ni pour la Turquie, ni pour les Etats-Unis, ni aucun pays de la région", a averti récemment l'ambassadeur américain à Ankara, Francis Ricciardone.

La sortie a été peu goûtée des Turcs. "Nos relations économiques se renforcent malgré tout, même malgré les Etats-Unis", a lancé M. Erdogan. "Ils nous disent que nous avons tort d'agir ainsi. Je leur réponds +non+, la Constitution irakienne l'autorise", a-t-il ajouté en rappelant que ce texte permettait aux Kurdes d'utiliser comme bon leur semble 18% de l'or noir du pays.

Aux yeux des analystes, le choix turc de réorienter une partie de ses coûteuses importations d'hydrocarbures de l'Iran, l'Azerbaïdjan et la Russie vers le Kurdistan irakien est une évidence économique.

"L'énergie irakienne est la meilleure marché et un moyen, pour la Turquie, de réduire sa dépendance énergétique", souligne Mete Goknel, l'ancien patron du transporteur turc d'hydrocarbure Botas.

Politiquement, Ankara a fait de l'enclave kurde irakienne une de ses cartes maîtresses dans le dialogue de paix renoué fin 2012 avec le chef emprisonné du PKK Abdullah Öcalan. Sur ce dossier, le Kurdistan irakien constitue l'un de ses rares alliés.

"La Turquie ne peut pas ignorer les Kurdes d'Irak", juge le professeur Huseyin Bagci, de l'université technique du Moyen-Orient. "Je considère les liens noués par la Turquie avec les chefs kurdes d'Irak comme l'un des plus intéressants développements survenus dans les affaires régionales", renchérit Ross Wilson, du Conseil atlantique, un centre de recherche américain.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.