Samedi 22 avril 2006 à 08h51
SOULAIMANIYAH (Irak), 22 avr 2006 (AFP) — "C'était en mai 1988 et on se préparait à célébrer le Fitr, la fin du jeûne de Ramadan, lorsque l'armée de Saddam a envahi notre village dans la région d'Erbil, détruisant tout sur son passage et poussant les habitants à fuir".
Adalat Omer, du Centre d'Anfal pour Erbil, une ONG kurde, a recueilli ce témoignage auprès d'une survivante de la campagne de répression qui a fait plus de 100.000 morts dans le nord de l'Irak et pour laquelle Saddam Hussein et six coaccusés doivent être jugés pour "génocide" dans un nouveau procès.
Ce témoignage recoupe avec d'autres récits sur l'opération présentés à la mi-avril par des écrivains, des membres d'ONG et des responsables kurdes à des journalistes à Soulaimaniyah, à 330 km au nord de Bagdad, à l'occasion du 18ème anniversaire de la campagne.
D'après ces récits, Anfal a été une opération soigneusement planifiée et exécutée. Elle a été systématique, ce qui vaut à ceux qui l'ont menée d'être poursuivis pour génocide.
La campagne a consisté en huit opérations de deux semaines chacune qui se sont étalées de février à septembre 1988, selon un scénario identique.
"A chaque fois que l'armée investit un village, elle regroupe les familles, sépare enfants, mères et pères et les évacue dans des grands camps, où ils meurent souvent de froid ou de brutalités", raconte Adalat.
Une fois vidées de leurs habitants, les "zones interdites" sont bombardées et "rien n'est épargné", indique l'écrivain Mala Sakhy.
D'après d'autres récits, certains villages ont été pilonnés et bombardés à l'arme chimique. Des témoignages évoquent des pillages à grande échelle, des exécutions massives et des villages rayés de la carte.
Le gazage de la ville d'Halabja, qui a fait 5.000 morts le 16 mars 1988 est considéré comme un cas à part et ne fait pas partie de la campagne d'Anfal.
Anfal, du nom d'une sourate du Coran signifiant "butin", a été planifiée en 1987, deux semaines après la nomination par Saddam Hussein de son cousin Ali Hassan al-Majid comme chef du bureau des affaires du nord, au sein du conseil du commandement de la révolution (CCR, instance dirigeante de l'ancien régime).
Elle avait été menée en riposte aux incursions de combattants kurdes (peshmergas), qui avaient pris le contrôle, pendant la guerre contre l'Iran, de certaines villes avec le soutien des Gardiens de la révolution iraniens.
Ali Hassan al-Majid, dit "Ali le chimique", chargé par Saddam Hussein de ramener la région sous son contrôle, a alors délimité des "zones interdites" dans le Kurdistan, où tous les habitants étaient considérés comme des insurgés.
Pour Gulala Aziz, une militante kurde, il ne s'agissait pas d'opérations de contre-insurrection, mais d'une "campagne d'extermination". "Leur objectif était de détruire notre culture", assure-t-elle.
"Séparer des mères de leurs enfants, transférer des habitants hors de leurs villages ou les cantonner dans des camps, n'a rien à avoir avec une opération militaire", estime Mme Aziz.
Le responsable du département de la Coopération de l'administration de la province de Soulaimaniyah, Jamal Aziz, avance le chiffre de 182.000 disparus kurdes bien que le chiffre de 100.000 soit plus communément admis.
Il se base, pour cela, sur des documents des services de renseignements de Saddam Hussein sur cette campagne de répression saisis, selon lui, après l'insurrection kurde contre le régime de Bagdad en 1991.
"Nous avons mis la main sur des tonnes de documents que nous avons jalousement cachés et ils nous permettent aujourd'hui de retracer l'histoire de ce régime cruel", assure-t-il.
Ce sont ces documents qui ont servi à l'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch (HRW), basée aux Etats-Unis, pour élaborer en 1993 un rapport détaillé sur la campagne Anfal.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.