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Kurdes assassinées à Paris: la justice se tourne vers les services de renseignements


Lundi 8 septembre 2014 à 12h29

Paris, 8 sept 2014 (AFP) — Que savent les renseignements français de l'assassin présumé des trois militantes kurdes exécutées à Paris début 2013? Les enquêteurs, qui s'interrogent sur un éventuel lien entre Omer Güney et les services turcs, vont sonder le gouvernement.

Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez avaient été froidement abattues, en plein jour le 9 janvier 2013, dans les locaux du Centre d'information du Kurdistan (CIK), un crime qui avait bouleversé la communauté kurde.

Omer Güney, un Turc qui s'était rapproché fin 2011 du milieu associatif kurde et en avait gagné la confiance avec une "attitude humble, innocente et serviable" selon le CIK, avait rapidement été arrêté puis mis en examen pour assassinats et écroué.

Les investigations ont permis de reconstituer les faits. Mais les familles des victimes, qui sont convaincues d'une implication des services secrets turcs (MIT) -ou d'une de ses branches- dans ce triple homicide, veulent également que l'enquête explore les responsabilités autres que celles du tueur présumé, qui continue de nier.

Elles ont plusieurs fois demandé que soient mis à contribution les renseignements français. Si Omer Güney était un agent des services turcs, alors les services français (DGSI, DRPP et DGSE) ont pu collecter des informations à son sujet, estiment-elles.

Leur requête a été entendue puisque la juge antiterroriste parisienne Jeanne Duyé a décidé ces derniers jours d'adresser aux ministres compétents une demande de déclassification du dossier personnel d'Omer Güney, a indiqué lundi à l'AFP une source proche du dossier.

- "Percée dans une affaire d'Etat" -

La magistrate demandera également la déclassification des dossiers des renseignements sur les trois victimes et le CIK.

Sakine Cansiz était une figure du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considérée comme proche de son chef historique Abdullah Öcalan. Fidan Dogan était une militante très connue au sein de la classe politique européenne.

Selon cette source, Mme Duyé s'est en revanche refusée dans l'immédiat à délivrer des mandats d'arrêts contre quatre Turcs qui apparaissaient comme les signataires d'un document confidentiel, publié le 14 janvier par la presse turque, et présenté comme une note du MIT de novembre 2012 rédigée comme un "ordre de mission" pour Ömer Güney.

La juge n'a cependant pas exclu des vérifications sur l'authenticité du document et sur l'identité de ses signataires.

Pour l'un des avocats des familles de victimes, il s'agit d'une "véritable percée dans une affaire d'Etat dont la France n'a pas voulu prendre la mesure jusqu'à présent".

"Le travail de la juge a démontré que des pistes politiques menant aux services secrets en Turquie sont suffisamment claires pour justifier des recherches plus approfondies afin d'identifier les commanditaires", a déclaré à l'AFP Me Antoine Comte.

"C'est ainsi que seront interrogés les services français sur leur documentation concernant l'assassin présumé et que l'identité d'un certain nombre d'agents turcs sera vérifiée", a-t-il poursuivi.

Dès janvier 2013, Murat Karayilan, le chef militaire du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) avait montré du doigt la Turquie, estimant que "personne ne peut commettre un tel crime s'il n'a pas bénéficié d'un strict entraînement militaire".

Le MIT a démenti toute implication, mais dans un discours préélectoral en mars, le président turc Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, avait lui même évoqué la piste turque en attribuant ces homicides au mouvement de Fethullah Gülen -son ex-allié devenu son ennemi- qu'il accuse d'avoir infiltré les organes de sécurité turcs et de tenter de saborder le processus de paix avec le PKK.

Ankara a repris à l'automne 2012 des discussions directes avec M. Öcalan pour tenter de mettre un terme à un conflit qui a fait plus de 40.000 morts depuis 1984.

Autre point d'interrogation dans un dossier complexe: la provenance d'un courriel anonyme reçu le 20 janvier 2013 par la préfecture de police de Paris. Le texte, qui dénonçait Ömer Güney, contenait des éléments extrêmement précis qui se sont plus tard avérés exacts. Ce message a été adressé d'un ordinateur dont le fournisseur d'accès se trouve à Téhéran.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.