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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 286

21/10/2004

  1. HOMMAGE DU PARLEMENT EUROPÉEN À LEYLA ZANA - PRIX SAKHAROV 1995


HOMMAGE DU PARLEMENT EUROPÉEN À LEYLA ZANA - PRIX SAKHAROV 1995


Pour son premier séjour à l'étranger depuis sa sortie de prison, près de dix ans après avoir été distingué par le Prix Sakharov pour les droits de l'homme du Parlement européen, l'ancienne députée kurde Leyla Zana, libérée de prison en juin dernier par Ankara, a, le 14 octobre, finalement reçu sa récompense, une distinction annuelle créée en 1988 en hommage au dissident soviétique Andreï Sakharov. Invitée par le Parlement européen, Leyla Zana est arrivée, le 11 octobre à Bruxelles, accompagnée des ses trois collègues kurdes incarcérés avec elle, Orhan Dogan, Selim Sadak et Hatip Dicle et de leurs avocats.

Reçue avec tous les honneurs réservés aux chefs d’Etat, Leyla Zana a également retrouvé sa famille, son mari Mehdi Zana et son fils Ronay réfugiés en Europe qu’elle n’avait pas vus depuis dix ans. Le groupe des Verts du Parlement européen avait organisé le soir du 12 octobre une réception en son honneur au Parlement européen, permettant des retrouvailles émouvantes avec ses amis et ses défenseurs de longue date tels que Claudia Roth et Daniel Cohn-Bendit, mais également des parlementaires européens comme Joost Lagendijk, président de la Commission parlementaire mixte UE-Turquie, Angelika Beer, Helène Flautre, présidente de la sous-commission des droits de l’homme, Cem Ozdemir, Baronness Nicholson, Luisa Morgantini et Feleknas Uca.

Au cours de sa visite officielle, Leyla Zana a été, le 13 octobre, auditionnée dans le cadre d’une réunion co-organisée par la commission des affaires étrangères, la sous-commission des droits de l’homme et la commission parlementaire mixte UE-Turquie. Lors de cette audition, l’ancienne députée kurde a appelé le gouvernement turc à être « beaucoup plus résolu » dans ses réformes et a souhaité une nouvelle Constitution en Turquie, tout en saluant le « chemin parcouru » ces dernières années dans le pays. Le gouvernement turc « doit être beaucoup plus résolu. Il reste à faire preuve d'une volonté politique très importante, ce qui fait défaut à ce gouvernement pour l'instant », a estimé Mme Zana. « Le gouvernement en place fait quelques retouches qui ne sont pas suffisantes. Il est important qu'une nouvelle Constitution moderne voie le jour », a poursuivi l'ex-députée, qui s'exprimait en turc. Selon elle, la Turquie « est candidate au changement ». Pour l'ancienne députée, une nouvelle Constitution turque est « indispensable » pour que les Kurdes, mais aussi les communautés non-musulmanes de Turquie, « puissent s'exprimer librement ».

Leyla Zana a toutefois reconnu l'ampleur des réformes engagées ces derniers temps en Turquie. « Je ne peux que constater le grand chemin parcouru », a-t-elle déclaré. « Il est évident que le processus engagé avec l'UE (..). a contribué aux changements », a-t-elle ajouté. « Il peut y avoir ça et là encore des actes de torture. Mais on ne peut plus parler aujourd'hui de tortures systématiques. Cela me donne des espoirs pour l'avenir », a conclu Mme Zana.

Leyla Zana a également rencontré les présidents de tous les groupes politiques du Parlement européen ainsi que le chef de la diplomatie européenne Javier Solana. Ce dernier lui a assuré que l'Union européenne « continuerait de défendre les valeurs et principes démocratiques sur lesquels est fondée la construction européenne ».

Le 14 octobre au cours d’une session plénière du parlement européen, Leyla Zana a délivré un message de paix en turc puis en kurde, traduit simultanément dans les vingt langues officielles de l’Union européenne. Vêtue de noir, menue, volontiers souriante, Leyla Zana, s’est exprimée devant le Parlement européen après avoir été accueillie par M. Josep BORREL FONTELLES, président du Parlement qui s’est félicité de la venue de Mme Leyla ZANA en déclarant en kurde « Hatina we ji parlementoye bo me serbilindî ye » [ndlr : Notre Parlement est honoré de vous recevoir]. Leyla Zana n’a pas manqué de le remercier en catalan et en espagnol.

Dans une allocution de 30 minutes entrecoupée d’applaudissements, Leyla Zana a souligné que les mesures en faveur de la démocratie adoptée en Turquie « semblent encore cosmétiques ». « Les critères de Copenhague doivent être appliqués sur le fond et non pas seulement en mots », a ajouté Leyla Zana, sous les applaudissements. Elle a tendu la main au « peuple turc frère » et apporté à Bruxelles son soutien à la candidature d'Ankara à l'Union européenne, tout en appelant le pays à redoubler d'efforts pour assurer la démocratie.

« Vous n'avez pas attribué ce prix à moi toute seule. Vous l'avez attribué au peuple kurde, vous l'avez attribué au peuple turc frère. Vous l'avez en fait attribué à la Turquie », a déclaré aux eurodéputés Mme Zana. « La violence a fait son temps (...) Les Kurdes veulent une solution pacifique au sein de l'intégrité territoriale de la Turquie (...) Personne ne doit douter d'une manière ou d'une autre du soutien des Kurdes aux mesures en faveur de la démocratisation », a-t-elle ajouté.

Leyla Zana a également insisté sur le fait que le gouvernement turc pour résoudre le problème kurde doit d’abord l'appeler celui-ci par son nom. Selon elle, il n'y a pas de raison de redouter le dialogue et la paix. Les Kurdes sont une des composantes de la Turquie. Bien que des mesures importantes aient été prises, il faut faire disparaître la base du conflit, il faut associer les prisonniers politiques et les intellectuels en exil à la vie publique, il faut faire disparaître les disparités économiques, il faut que les Kurdes soient reconnus et leurs droits garantis par une nouvelle Constitution.

« J’en appelle au monde entier. La paix civile en Turquie va de pair avec la paix au Moyen-Orient, mais aussi la paix en Europe et donc dans le monde. Cette paix est aujourd’hui entre nos mains. Elle est entre vos mains. Dans l’union de nos mains. La première chose est avant tout de savoir la vérité (…) La vérité c’est qu’il faut avant tout dénommer le problème, le reconnaître puis le définir. Toute chose sans dénomination et sans définition demeure sans identité et est considérée comme inexistante. Il est temps pour le monde de reconnaître les droits politiques, sociaux, et culturels démocratiques des Kurdes, forts de plus de 40 millions d’âmes. Les Kurdes ont démontré leur volonté d'intégrer le monde moderne en entreprenant leur période de renaissance. Nous attendons du monde qu’il respecte cette volonté et qu’il ne la marchande pas dans le cadre de ses relations internationales. Tant que l’on n'abordera pas ce problème avec humanité et conscience, il continuera à être un risque potentiel menaçant la paix régionale et mondiale. Les Etats se sont isolés car ils ont construit des murs au lieu des ponts. L’Europe a souffert pendant longtemps de ces maux, puis l’humanité a abattu un par un tous ces murs. L’Europe et le monde en abattant les murs invisibles instaurés avec les Kurdes devront pouvoir être des ponts à la solution du problème. Ne n’oublions pas qu’une Turquie membre de l’Union européenne ayant résolu le problème kurde, favorisera la rencontre de la civilisation occidentale avec le riche patrimoine culturel de la Mésopotamie (… )»

Après cet appel aux Européens pour qu’ils pèsent de tout leur ponds afin que le peuple kurde puisse vivre dans la dignité et dans la reconnaissance de ses droits, Leyla Zana s’est adressée aux Kurdes : « Mon dernier message est adressé aux Kurdes. Luttant pour la démocratie dans toutes les régions géographiques qu’ils habitent, les Kurdes devront avant tout vivre entre eux en paix, dans la démocratie, la liberté et dans l’union. Sans respect réciproque de ces valeurs, il ne peut y avoir de solidarité, sans la solidarité pas d’union et sans union pas de force capable d’assurer la paix. Il faut savoir que tout le monde veut avoir son propre Kurde à la table des loups. Pour empêcher cela il n’y a qu’une solution : une union et une paix intérieure, une solidarité réciproque et une politique saine »

En achevant son discours, Leyla ZANA a souligné le fait qu'elle le dédie à la fraternité et au bonheur des peuples turcs et kurdes. Le Président du Parlement européen l’a remercié en turc et Leyla Zana a été saluée par des ovations debout des euro-députés.

Les chefs d'Etat et de gouvernement doivent décider le 17 décembre d'ouvrir ou pas des négociations d'adhésion avec la Turquie. La Commission européenne a préconisé le 6 octobre d'entamer ces négociations, mais en les encadrant de plusieurs conditions.

Leyla Zana ne s'est pas exprimée directement sur le sujet devant l'hémicycle, ni devant les journalistes qui l'ont par la suite pressée de questions.

Les médias turcs ont diffusé les principaux extraits de ce discours dont la totalité a été retransmise en direct par une chaîne de télévision kurde satelittaire. Les médias européens comme Euronews, France 3 et International Herald Tribune ont également accordé une large place à cet évènement.

Le lendemain de cette cérémonie, Leyla Zana, a repris l’avion en compagnie de ses trois collègues et accompagné de son mari Mehdi Zana, ancien maire de Diyarbakir, qui après avoir passé 14 ans dans les geôles turques pour sa défense pacifique de la cause kurde, vivait en exil en Suède depuis 1995. Au terme d’une nuite en garde-à-vue où l'avait placé la police, Mehdi Zana a été relâché par les autorités turques. Le juge turc a estimé que les charges retenues contre lui dans le passé avaient cessé de constituer un délit dans le cadre des réformes démocratiques adoptées par le parlement turc ces dernières années pour favoriser sa candidature à l'Union européenne.

Cependant, Leyla Zana et ses collègues devront le 22 octobre se présenter devant une nouvelle cour pour la révision de leur procès.