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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 204

6/6/2001

  1. L’AFFAIRE DES DÉPUTÉS KURDES DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME, LE 12 JUIN 2001
  2. LE COMMANDANT EN CHEF DE LA GENDARMERIE TURQUE SERMONNE LE GOUVERNEMENT ET DÉCLARE QU’IL NE LE PREND PAS AU SÉRIEUX
  3. LA TURQUIE CONDAMNÉE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME POUR LA MORT DE 11 CIVILS KURDES
  4. UNE PETITE KURDE MORDUE À MORT PAR LES CHIENS DES GENDARMES TURCS
  5. EN UN TRIMESTRE, LA CRISE ÉCONOMIQUE A MIS AU CHÔMAGE PLUS DE 358 000 PERSONNES EN TURQUIE
  6. LU DANS LA PRESSE TURQUE : TÉMOIGNAGE DE ZEKIYE DOGAN, MÈRE KURDE, EPOUSE ET SŒUR DE DISPARUS


L’AFFAIRE DES DÉPUTÉS KURDES DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME, LE 12 JUIN 2001


La Cour européenne des droits de l’homme entendra le mardi 12 juin 2001 le rapporteur chargé de l’affaire des députés kurdes du parti de la démocratie (DEP). Le verdict, qui sera rendu à huit clos, sera communiqué le même jour aux parties. Il faudra cependant attendre plusieurs semaines pour connaître point par point tous les attendus du jugement. Leyla Zana, Orhan Dogan, Hatip Dicle et Selim Sadak, sont emprisonnés depuis le 2 mars 1994 à la prison centrale d’Ankara où les conditions de détentions se détériorent constamment. Depuis plusieurs semaines déjà, les députés n’ont plus le droit de recevoir de la nourriture et du linge de la part de leurs familles venues en visite. La Cour européenne des droits de l’homme devrait se prononcer sur le fond de l’affaire à savoir les condamnations des députés pour délit d’opinion par la Cour de sûreté de l’Etat turque. L’audience attendue depuis plus d’un an a été régulièrement remise de mois en mois.

Le 25 avril 1997, la Cour de Strasbourg avait condamné la Turquie une première fois dans le cadre de cette affaire pour les conditions d’arrestation et de détention au secret des députés pendant une durée de 12 à 15 jours, selon les cas, dans les locaux de la Section anti-terroriste de la police. Le gouvernement turc s’était engagé à maintes reprises à respecter le verdict de la Cour européenne.

LE COMMANDANT EN CHEF DE LA GENDARMERIE TURQUE SERMONNE LE GOUVERNEMENT ET DÉCLARE QU’IL NE LE PREND PAS AU SÉRIEUX


Au cours de la réunion, le 29 mai du Conseil national de sécurité (MGK) le général Aytaç Yalman, commandant en chef de la gendarmerie turque, a clairement sermonné le Premier ministre Bülent Ecevit. Prenant spécialement la parole en début de séance, le général a voulu réagir contre les dernières déclarations de M. Ecevit qui avait qualifié d’" inélégantes " les perquisitions effectuées par la gendarmerie au siège de plusieurs établissements publics impliqués dans la corruption. Le général Yalman a exprimé " la tristesse de la gendarmerie " en rappelant que la gendarmerie était présente sur plus de 92 % du territoire et qu’ " elle agissait conformément à la loi sur requête du parquet ". Il a ajouté : " ce genre de déclarations met la gendarmerie en position de cible du gouvernement. On ne peut pas accepter cela. Et de toute façon nous ne prenons pas au sérieux ces propos ". Aytaç Yalman a également tancé, le ministre de l’intérieur, Sadettin Tantan qui n’a pas réagi et a attendu simplement que la colère du chef militaire s’apaise.

LA TURQUIE CONDAMNÉE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME POUR LA MORT DE 11 CIVILS KURDES


La Cour européenne des droits de l'Homme a, le 31 mai, condamné Ankara pour " violation du droit à la vie " et " traitements inhumains ou dégradants " après la mort en 1993 de 11 civils kurdes, disparus lors d'une opération de l’armée turque au Kurdistan.

Les onze hommes, arrêtés par les policiers en octobre 1993, avaient été détenus en plein air à Kepir pendant au moins une semaine, au cours de laquelle ils ont subi de nombreux mauvais traitements. Ligotés, à l'exception de l'un d'entre eux, battus pour certains, ils ont souffert du froid " mais aussi de peur et d'angoisse à l'idée de ce qui risquait de leur arriver ", selon les juges européens. Tous ont ensuite " disparu ".

La Cour européenne, qui estime que ces hommes sont " présumés morts à la suite de leur détention par les forces de sécurité ", compte tenu du temps écoulé et de " l'incapacité du gouvernement à fournir une explication plausible et satisfaisante quant à leur sort ", a conclu à la responsabilité d'Ankara dans leur décès. La Cour s'est par ailleurs dite " frappée par l'absence d'efforts sérieux de la part des procureurs pour enquêter sur les graves allégations formulées ", et malgré les preuves apportées par les neuf requérants - tous des proches parents des disparus.

Les juges européens ont notamment alloué aux requérants la somme totale de 382.340 livres sterling (639.649,38 euros) pour dommage matériel. Pour dommage moral, ils ont octroyé à chacun des plaignants 2.500 livres (4.165 euros), ainsi que 20.000 livres (33.322 euros) pour les héritiers de chacun des disparus.

UNE PETITE KURDE MORDUE À MORT PAR LES CHIENS DES GENDARMES TURCS


Emre Kocaoglu, député ANAP d’Istanbul, a adressé une question écrite au Premier ministre Bulent Ecevit à propos de la mort d’une petite fille kurde âgée de 11 ans, tuée à l’incitation des gendarmes par leurs chiens de garde à Bingöl. La Fondation turque des droits de l’homme avait dénoncé l’affaire dans son rapport d’avril 2001 : Gazal Beru, sa grande sœur, Meral, âgée de 13 ans et une dizaine d’autres petites filles, après avoir ramassé des plantes dans les champs, passent devant la caserne de la gendarmerie. Meral, rescapée, raconte : " Au bout de quelque temps nous nous sommes rendues compte que nous avions perdu un couteau. Nous sommes alors retournées devant la caserne pour le rechercher. Le soldat de garde nous a demandé de quitter les lieux et nous lui avons expliqué que nous cherchions simplement nos couteaux. Il a alors lâché ses chiens sur nous en pointant son doigt sur nous et en criant " attrape ". Les chiens nous ont pris d’assaut et nous avons commencé à hurler pour qu’il les arrête, mais il a continué et nous nous sommes enfuies jusqu’au cimetière. Le mur étant élevé, Gazal n’a pas pu monter. Cinq ou six chiens l’ont alors tiré et mordu ".

Outre le sort des petites filles kurdes, la question d’Emre Kocaoglu rentrait plutôt dans le cadre des dernières polémiques survenues entre Bülent Ecevit, Mesut Yilmaz et la gendarmerie turque. " Si la gendarmerie dépasse ses prérogatives, pensez-vous engager une instruction contre elle ? " conclue-t-il. Mais qui, en Turquie, va avoir le courage de poursuivre des militaires ?

EN UN TRIMESTRE, LA CRISE ÉCONOMIQUE A MIS AU CHÔMAGE PLUS DE 358 000 PERSONNES EN TURQUIE


Selon un rapport l'Institut National des Statistiques (DIE), la crise économique qui secoue la Turquie depuis plusieurs mois a mis plus de 358.000 personnes au chômage au cours du seul premier trimestre de l'année 2001.

Le nombre des personnes officiellement à la recherche d'un emploi est passé de 1,451 million à 1,809 million entre le 31 décembre 2000 et le 31 mars 2001, soit une augmentation de 24,7 %, déclare le DIE.

Selon DIE, le taux officiel du chômage aurait ainsi augmenté de 8,3 % à 8,6 %, même si ces chiffres passent pour être très loin de refléter la véritable situation de l'emploi et de sous-emploi en Turquie, où l'économie dite "informelle" occupe une large place. En février, le DIE avait déjà annoncé que le programme de stabilisation économique mis en place en décembre 1999 avec le Fonds Monétaire International (FMI) avait coûté 120.000 emplois au cours du second terme de l'année 2000.

LU DANS LA PRESSE TURQUE : TÉMOIGNAGE DE ZEKIYE DOGAN, MÈRE KURDE, EPOUSE ET SŒUR DE DISPARUS


Celal Baslangiç, journaliste au quotidien turc Radikal, relate le témoignage de Zekiye Dogan, une Kurde ordinaire, mère de quatre enfants, forcée par les autorités turques de quitter son village puis sa ville et ensuite la Turquie pour finalement venir s’installer en Allemagne. Voici de larges extraits de cet article intitulé " Que lui reste-t-il encore à perdre ? ", publié le26 mai 2001.

" Le mari de Zekiye Dogan a été assassiné. Sept membres de sa familles, âgés entre 13 et 75 ans sont portés disparus. Quant à elle, elle a fui Dargeçit avec ses enfants pour venir s’installer à Istanbul. Elle est probablement la personne la plus brisée de la ‘Semaine des disparus’ [ndlr : la Semaine des disparus démarre le 17 mai, jour anniversaire de la découverte du corps d’Hasan Ocak, exécuté après une détention en garde-à-vue et s’achève le 31 mai]

…Zekiye Dogan est née au village d’Akyol, district de Dargeçit dans la province de Mardin…Cela faisait déjà six ans qu’elle était en fuite à Istanbul, mais elle ne parlait pas un seul mot turc.…

Au village, sa famille avait une bonne situation : Des jardins, des potagers, des rizières, 700 pistachiers, un cheptel de bovins et d’ovins. Le bonheur n’a duré que jusqu’à ce que la " guerre à faible intensité " commence. Et puis, les villages voisins ont accepté un par un de s’enrôler dans la milice (pro-gouvernementale) des protecteurs de villages, mais les villageois d’Ancak, anciennement [et en kurde] Drêjan, ont refusé d’y adhérer. C’est pourquoi et conformément à " la pratique régionale ", le village a commencé à subir des raids.

" Non seulement les gendarmes, mais les protecteurs des villages voisins venaient y faire des descentes. Un jour d’été, ils sont venus perquisitionner le village puis notre maison. Nous dormions sur le toit, et pour éviter le danger, mon époux et moi, nous nous sommes enfuis, mais notre bébé de trois mois est resté là. La maison a été encerclée et personne n’a été autorisé à s’en approcher. L’enfant a pleuré toute la nuit sur le toit… "

Vingt jour après la perquisition, son mari Süleyman Turgut et ses cousins Ergin et Ahmet se rendront aux champs. Ergin à 67 ans et Ahmet à 75 ans, se déplacent avec difficulté, mais ce soir-là ils ne reviendront pas à la maison.

" Nous avons d’abord cru qu’ils arrosaient les champs, mais le lendemain matin nous nous sommes inquiétés… Un jour le chauffeur du village qui se rendait à Dargeçit voit dans le ruisseau trois corps. Ils avaient attaché au cou de mon mari un fichu jaune, rouge et vert et avaient déposé des armes auprès d’eux. Les militaires ont emmené les caméras de télévision et ont fait diffuser un " reportage " en déclarant " voici, les terroristes tués au cours des combats ". Mon neveu avait alors crié " comment un homme de plus de 70 ans peut être un terroriste ? " Il a été violemment battu. Les corps sont restés tout un jour dans l’eau du ruisseau, les militaires ne nous ont pas laissé les emporter. C’est seulement après leur départ que nous avons sorti les corps hors de l’eau et nous les avons cachés…Le jour même des funérailles, ils ont lancé sept obus de mortiers sur notre village ".

Ensuite les villages qui avaient refusé de devenir des protecteurs de villages ont été un par un vidés et incendiés. Zekiye Dogan, sans attendre son tour, a alors ramassé ses affaires et emménagé avec son frère chez son père Ramazan Dogan à Dargeçit.

" Il est difficile de retourner chez ses parents avec quatre enfants. J’ai vendu tout mon bétail, construit une maison près de chez mon père et m’y suis installée. Pour subvenir à mes besoins, j’ai travaillé pendant un an dans des champs de coton. Mon père possédait 600 ovins et d’autres bétails dans son village appelé Dilan. Au cours d’un raid, on demande aux villageois " pourquoi vous n’êtes pas partis " et le village est mitraillé. Ali Duskun, le cousin de mon père meurt sous les coups des balles. Mon père fait une crise paralytique et on le croit mort, mais il reprend connaissance au commissariat après une injection, on lui reproche " d’aider les terroristes "… Finalement, les villages de Dilan et d’Akyol se trouvent vidés et incendiés "

Quelque temps après, les maisons des Dogan et de Duskun à Dargeçit subissent une descente de militaires. Seyhan Dogan, âgé de 13 ans et frère de Zekiye Dogan [et cinq de ses proches] sont alors placés en garde-à-vue…

Ils n’ont pas de nouvelle des détenus pendant un bon moment, on nie même qu’ils sont placés en garde-à-vue en disant : " Ils ne sont pas en garde-à-vue, ils sont partis chez le PKK ".

" Nous n’avons plus jamais reçu de nouvelles de mon frère et de mes proches. Ni même retrouver leurs corps. La pression a été plus forte sur le reste de la famille restée en vie. Ma mère, Asiye Dogan a aussi été placée en garde-à-vue. Ils lui ont bandé les yeux et l’ont emmenée. Nous sommes restés sans nouvelles pendant neuf jours, puis avons appris qu’elle était détenue dans la garnison de Mardin. Personne dans la famille n’avait le courage d’aller demander de ses nouvelles… Je suis alors allée auprès du procureur de Dargeçit et lui ai demandé " qu’est-ce que vous avez fait de ma mère ? ". Quand il m’a répondu qu’il n’en savait rien, je suis devenue comme folle… ils ont réussi à me maîtriser difficilement et ont expliqué au procureur : " son frère est porté disparu, elle n’a pas de nouvelles de sa mère, elle a perdu la tête, pardonnez lui. ". Une heure après, sa mère a été libérée. La famille Dogan reçoit alors un coup de fil d’Allemagne : " Vos enfants se trouvent dans les buissons de telle grotte ". La famille veut alors aller récupérer les corps… mais personne n’est autorisée à sortir de Dargeçit… Nous avons eu des informations plus tard seulement, lorsque la famille d’un soldat est arrivée à Dargeçit pour se renseigner sur le sort de leur fils qui effectuait son service chez nous. Le soldat aurait demandé grâce lorsque nos enfants devaient être exécutés… Mais on a répondu à cette famille " votre enfant a disparu " aussi… Ensuite la maison des Dogan est constamment perquisitionnée… Les jeunes de la famille Dogan partiront d’abord à Istanbul, puis s’enfuiront en Allemagne. Finalement toute la famille quittera Dargeçit un soir… Aujourd’hui Zekiye Dogan travaillent dans un restaurant en fabriquant du pain pour subvenir aux besoins de ses enfants. Sa fille Kader, âgée de 15 ans, est aide couturière, Serivan, Bilal et Ramazan, âgés réciproquement de 9, 11 et 13 ans, vont à l’école le jour, mais travaille ensuite pour apporter leur contribution au budget de la famille. Qui sait, peut-être parmi les enfants-vendeurs de mouchoirs, que vous rencontrez dans les rues, il y a un Serivan, un Bilal, ou un Ramazan.

La semaine des disparus continue. Les familles ont entamé un sit-in pour la première fois le 27 mars 1995 à 12h00 devant le lycée français Galatasaray… Cette opération d’espoir n’a pu durer que 200 semaines. " Les mères de samedi " ne peuvent plus se réunir devant Galatasaray depuis des mois… car depuis 17 août 1998 et jusqu’à 13 mars 1999, durant 30 semaines, les mères de samedi ont été traînées, battues, placées en garde-à-vue et poursuivies devant les tribunaux. 391 personnes ont été placées au total 932 jours en garde-à-vue, ont eu 81 jours d’arrêts de travail. Il y a encore aujourd’hui plus d’une quarantaine de procès contre les Mères de samedi. "