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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 20

22/1/1996

  1. DEUIL NATIONAL AU KURDISTAN APRÈS LA MORT DE FRANÇOIS MITTERRAND
  2. LA CÉRÉMONIE DE REMISE DU PRIX SAKHAROV
  3. LE PARLEMENT EUROPÉEN DEMANDE AUX AUTORITÉS TURQUES DE RÉPONDRE À SON APPEL AU CESSEZ-LE-FEU
  4. VIVE ÉMOTION DE L'OPINION PUBLIQUE APRÈS LA PUBLICATION PAR THE EUROPEAN DE 3 PHOTOS DE KURDES DÉCAPITES
  5. UNE ÉMISSION DE LA TÉLÉVISION CBS SUR LES KURDES CRÉE UNE TENSION ENTRE ANKARA ET WASHINGTON
  6. MEURTRE D'UN JOURNALISTE, ARRESTATION D'UN ANCIEN DÉPUTÉ
  7. AGGRAVATION DU QUADRILLAGE MILITAIRE DANS LES PROVINCES KURDES
  8. SUBMERGÉE PAR DES PLAINTES DÉPOSÉE CONTRE LA TURQUIE


DEUIL NATIONAL AU KURDISTAN APRÈS LA MORT DE FRANÇOIS MITTERRAND


La disparition du Président Mitterrand a suscité une vive émotion en pays kurde et chez les Kurdes de la diaspora. Au Kurdistan irakien, administré par les Kurdes, les autorités ont décrété un deuil national de 3 jours pour rendre un hommage solennel à celui qui était considéré comme l'ami et le protecteur du peuple kurde. Ailleurs, dans des régions kurdes de Turquie, d'Iran et de Syrie toutes les organisations kurdes, sans exception, ont tenu à rendre hommage au Président disparu en envoyant des télégrammes et des fleurs à son épouse et en dépêchant à Paris des délégations pour prendre part à la messe célébrée à Notre Dame et au rassemblement de la Bastille.

Dans ces centaines de messages envoyés d'Australie, des Etats-Unis, d'Europe, de Russie, mais aussi du Kazakhistan et de Kirghizie, les Kurdes et les associations les représentant ont exprimé à Danielle Mitterrand leur chagrin, leur affection et leur sympathie.

François Mitterrand était de loin l'homme d'Etat occidental connaissant le mieux la question kurde. Tout en approuvant et soutenant l'engagement public de son épouse en faveur du peuple kurde il avait lui-même fait une série de gestes discrets mais bien réels témoignant de sa sympathie envers les Kurdes. Parmi ces gestes, l'asile accordé au cinéaste kurde Yilmaz Güney évadé des prisons de la dictature militaire turque, le soutien à la création d'un institut kurde à Paris, les interventions personnelles en faveur de l'ancien maire de Diyarbakir et des autres prisonniers d'opinion de Turquie, l'autorisation donnée aux Kurdes d'Iran d'ouvrir à Paris un bureau d'information et de représentation avec un statut similaire à celui d'ANC de Nelson Mandela. Dès 1983, le Président français avait autorisé ses conseillers et le Quai d'Orsay à recevoir les dirigeants et personnalités kurdes et à faciliter leurs visites en France.

Tout au long des années 1980 la France, comme tous les pays de l'Ouest et de l'Est, a soutenu la dictature de Saddam Hussein, considérée comme «un rempart laïc contre l'intégrisme islamiste de l'Iran», un argument qui se trouve actuellement à la base du soutien occidental à un régime turc martyrisant sa population kurde. Ce n'est qu'à partir de 1988 et des images du gazage des Kurdes et de leur premier exode vers la Turquie que Paris a commencé une révision de sa politique irakienne. Premier homme d'Etat occidental à condamner le gazage des Kurdes, le Président Mitterrand prit alors l'initiative de convoquer rapidement une Conférence internationale pour l'interdiction de la fabrication, du stockage et de l'usage des armes chimiques et bactériologiques, qui s'est tenue en janvier 1992 à Paris. Des dirigeants kurdes, irakiens ignorés dans les autres capitales occidentales, furent reçus à Paris par plusieurs ministres français malgré les protestions de Bagdad et d'Ankara. Après la visite mémorable de Mme. Mitterrand dans les camps de réfugiés kurdes irakiens du Kurdistan turc, la France décida d'accueillir un millier de ces réfugiés et de faciliter la tenue, avec le concours discret du Quai d'Orsay, d'une conférence internationale sur les droits de l'homme au Kurdistan. Cette conférence, tenue au Centre des conférences internationales du ministère des Affaires étrangères, avec la participation des personnalités de 32 pays et de toutes les composantes du mouvement kurde, constitua un pas décisif dans l'internationalisation de la question kurde auprès des médias, des ONG et des gouvernements.

En avril 1991, lors du grand exode kurde, le président Mitterrand fut le premier, et pendant plusieurs jours le seul chef d'Etat occidental, à appeler l'ONU et la communauté internationale à intervenir d'urgence pour sauver les Kurdes. En cas de carence de l'ONU, la France agira seule avait-il menacé. Ce geste spectaculaire, considéré par les média comme «un baroud d'honneur», fut finalement suivi par Washington et Londres avec le soutien du Président turc Özal et aboutit à l'opération Provide Comfort.

Le Président Mitterrand fut aussi le premier et seul chef d'Etat occidental à recevoir les leader kurdes irakiens pour donner une consécration internationale à la légitimité de leur cause et pour affirmer publiquement que la protection de la population kurde était un «devoir sacré pour la France». Même sous la cohabitation cette politique n'a pas changé jusqu'au terme du mandat du président.

Les Kurdes de Turquie se souviendront longtemps de ses prises de position lors de son voyage officiel à Ankara, en avril 1992. Après s'être un moment interrogé sur l'opportunité de maintenir cette visite quelques semaines après la répression sanglante des manifestations du Nouvel an kurde, François Mitterrand avait décidé de se rendre en Turquie pour dire à Ankara même le droit des Kurdes à vouloir rester eux-mêmes, à exprimer librement leur identité et à prendre en main leur destin, tout comme il avait affirmé devant la Knesset les droits des Palestiniens. En février 1994, il avait reçu à l'Élysée Leyla Zana et ses collègues menacés dans leur liberté. Convaincu de la justesse de la cause de ces députés kurdes il prit leur défense et fut à l'origine des prises de position de l'Union européenne en leur faveur. Emu par le courage civique de Leyla Zana, qui a, pour la première fois dans l'histoire de la Turquie, osé parlé kurde à la tribune du Parlement, défié la toute puissante armée et qui, sachant qu'elle allait être arrêtée, condamnée, emprisonnée peut-être même pendue, retournait dans son pays pour être auprès de son peuple, le Président Mitterrand avait dit à plusieurs visiteurs «cette fille est une héroïne; il faut agir pour la sauver». Et pour marquer son intérêt, il avait décidé de lui écrire personnellement. La dernière de ces lettres, transmises par le canal diplomatique et solennel, est datée du 22 avril 1995, soit deux semaines avant le terme de son mandat. Le Président y résume les engagements des 15 Etats de l'Union en faveur de la libération des députés et de la démocratisation en Turquie.

L'ultime marque de sollicitude du Président Mitterrand envers ses amis kurdes et leur combat démocratique avait été son consentement à faire partie du Comité de parrainage du CILDEKT.

LA CÉRÉMONIE DE REMISE DU PRIX SAKHAROV


Le geste demandé, espéré, attendu par les euro-députés n'est pas venu. Leyla Zana n'a pas été autorisée par le gouvernement turc à venir à Strasbourg recevoir le Prix Sakharov pour la liberté de l'esprit que lui a décerné le Parlement européen. En son absence, c'est son mari, Mehdi Zana, libéré le 25 décembre, qui est venu la représenter. Multipliant les tracasseries Ankara n'a donné à celui-ci un passeport que l'avant-veille de la cérémonie, de mauvais gré et sous la forte pression de Bruxelles.

Au cours d'une cérémonie émouvante, en présence de Mme. Mitterrand longuement ovationnée par une salle debout, le président du Parlement, M. Klaus Hänsch, a salué en Leyla Zana «une femme au courage, à l'énergie, à l'intelligence et à l'abnégation extraordinaires» devenue «dans son pays et bien au delà le la lutte non violente pour les valeurs et les droits du peuple kurde». Il a souligné l'attachement de son Parlement aux libertés publiques et aux droits de l'homme, y compris «le droit naturel au libre usage de la langue de l'enfance, dans laquelle nous apprenons à nommer les premiers objets et les premiers sentiments, grâce à laquelle nous allons à la rencontre du monde, par laquelle nous l'apréhendons, dans laquelle nous nous sentons à l'aise». Il a également rappelé le combat de Mehdi Zana, les 15 ans qu'il a dû passer dans les prisons turques pour délit d'opinion et sa condamnation en 1994 à 4 ans de prison en raison de son témoignage devant une commission du Parlement européen et s'est félicité de sa libération et de sa présence à Strasbourg. Puis il lui a remis le diplôme représentant le Prix Sakharov et un bouquet de fleurs aux couleurs kurdes. Très applaudi par les euro-députés, Mehdi Zana a répondu en kurde par une brève intervention de remerciements, traduite dans toutes les langues de l'Union ainsi qu'en turc. Le Parlement a également diffusé auprès de ses membres et des médias le message envoyé par Leyla Zana pour cette cérémonie.

Après une conférence de presse donnée par M. Hänsch et M. Zana, le Parlement a offert un déjeuner officiel à la délégation des «proches de Leyla Zana» composée outre Mehdi Zana, son fils et trois avocats venus de Turquie, de Mme. Mitterrand, de Ségolène Royal, de Kendal Nezan ainsi que d'Akin Birdal, président de l'Association des droits de l'homme de Turquie, de Sylvie Jan, présidente de la Fédération démocratique internationale des femmes et du directeur du CILDEKT. Les présidents de tous les groupes du Parlement et les responsables de l'Union des droits de l'homme ont assisté à ce déjeuner présidé par le vice-président du Parlement.

Ensuite, à l'invitation de quatre groupes de gauche du Parlement, une réunion de rencontre avec Mehdi Zana et de discussion sur le problème kurde s'est tenue de 15 à 17 heures dans une autre salle du Parlement. Outre Mehdi Zana et les présidents de ces groupes, Mme. Mitterrand est intervenue dans ce débat au cours duquel de nombreux parlementaires ont pris la parole pour analyser notamment les conséquences de la ratification de l'Union douanière. Ces discussions se sont poursuivies en cercle plus restreint et jusque tard dans la nuit lors des deux dîners offerts à la délégation kurde le 16 et le 17 janvier respectivement par le groupe des Verts et par le groupe Socialiste, avec la participation des principaux dirigeants de ces groupes.

Les médias turcs ont réduit au strict minimum la couverture de cette journée qualifiée par eux de «noire». La presse écrite lui a consacré quelques paragraphes en pages intérieures, les télévisions ont mentionné la remise du Prix sans diffuser aucune image. Les Kurdes et les Turcs n'ont pu avoir de plus amples informations que grâce aux médias étrangers, notamment CNN, Euronews, BBC et la Voix de l'Amérique. (L'affiche imprimée par le Parlement européen pour cette occasion ainsi que les textes de l'intervention du Président Hänsch et du message de Leyla Zana sont disponibles au CILDEKT).

LE PARLEMENT EUROPÉEN DEMANDE AUX AUTORITÉS TURQUES DE RÉPONDRE À SON APPEL AU CESSEZ-LE-FEU


Le 13 décembre dernier après le vote sur la ratification de l'Union douanière, le Parlement européen avait adopté une résolution appelant «le gouvernement turc, le PKK et les autres organisations kurdes à trouver à la question krude une solution non violente et politique, respectueuse de l'intégrité territoirale et de l'unité de la Turquie. Le PKK, qui mène depuis août 1984 une lutte armée dans les provinces kurdes de Turquie, a répondu favorablement à cet appel en décrétant un cessez-le-feu unilatéral et pour une durée indéterminée, qu'il semble avoir respecté à ce jour. De son côté, le gouvernement turc a opposé une fin de non recevoir à cet appel et s'est montré «offusqué d'être mis sur le même plan qu'une organisation terroriste».

Dans une nouvelle résolution adoptée le 18 janvier 1996, le Parlement européen «se réjouit de l'annonce d'un cessez-le-feu unilatéral faite par le président du PKK et y décèle une première réaction positive à l'appel lancé le 13 décembre 1995, exprime l'espoir que le gouvernement d'Ankara y verra une contribution positive à la recherche d'une solution pacifique du problème et invite toutes les parties turques conernées à profiter de l'occasion qui s'offre pour étudier les voies et les moyens de l'ouverture d'un dialogue national qui ait pour objectif de trouver une solution politique et non violetne aux problèmes de la région sud-est du pays». (...)

Cette résolution demande égalemnt que «le nouveau gouvernemnet propose une révision de la législation afin de permettre la libération imméditate de Mme. Leyla Zana, des trois autres anciens déptués du DEP encore détenus ainsi que des autres prisonniers politqiues» (...).

Cette nouvelle résolution du Parlement européen a été pratiquement ignorée par les média turcs. Le quotidien à grand tirage Milliyet lui a accordé une modeste place en page 10 et l'Hürriyet l'a passé sous silence. Passé le cap de l'union douanière, les autorités turques ne semblent guère se laisser impressionner par les prises de position des euro-députés et cela risque fort de durer jusqu'au jour où ceux-ci adoptent une résolution ayant des conséquences financières comme, par exemple, le blocage des subventions communautaires à la Turquie.

VIVE ÉMOTION DE L'OPINION PUBLIQUE APRÈS LA PUBLICATION PAR THE EUROPEAN DE 3 PHOTOS DE KURDES DÉCAPITES


L'hebdomadaire britannique The European a publié, dans son numéro du 11 janvier, 3 photos «parmi les moins choquantes qui lui sont parvenues» où l'on voit de soldats turcs tenir comme des trophées des têtes tranchées de jeunes Kurdes probablement des combattants du PKK. D'après l'hebdomadaire, ce lot de photos aurait été envoyé par un membre des commandos de montagne de Hakkari. Selon une pratique courante dans les unités spéciales de lutte contre le terrorisme, des commandos de ces unités perçoivent des primes diverses en fonction de leur commandement. Ces pratiques bien connues et signalées par la presse d'opposition (voir notamment les confessions d'un soldat dans Özgür Gündem des 19, 20 et 21 septembre 1992) n'avaient pu jusqu'ici être étayées par des photos ou des films en raison du black-out appliqué par l'armée dans les régions kurdes empêchant le libre travail d'information de la presse. Or il se trouve que comme dans l'Irak de Saddam Hussein, les commandos turcs en mission documentent par de photos les exécutions et décapitations à la fois pour rendre compte à leur commandement et pour se vanter de leurs prouesses auprès de leurs camarades. Les photos publiées par The European et d'autres publiées plus tard par le quotidien pro-kurde Özgür Politika seraient prises lors d'une même expédition militaire turque en avril 1995, dans les montagnes de Hakkari, près de la frontière irakienne. Ces quelques images témoignant de la cruauté et de la barbarie de la guerre du Kurdistan ont ému l'opinion publique européenne. Mises en accusation les autorités turques ont affirmé qu'il s'agissait d'un montage car les soldats turcs ne portent pas de barbe ! Les experts du laboratoire Kodak interrogés par The European ont, après un examen approfondi, déclaré que rien ne permettait de parler d'un montage. Et chacun en Turquie sait que si les soldats turcs ordinaires ne portent ni barbe, ni moustache, ni cheveux, les membres des unités spéciales, recrutés parmi les militants d'extrême droite et des repris de justice, sont presque toujours moustachus et chevelus et souvent également barbus. Le Parlement européen a exprimée son émotion et demandé aux autorités turques de procéder à une enquête.

UNE ÉMISSION DE LA TÉLÉVISION CBS SUR LES KURDES CRÉE UNE TENSION ENTRE ANKARA ET WASHINGTON


La célèbre émission 60 minutes de CBS a consacré son numéro du 14 janvier au sort des Kurdes en Turquie. Outre des images de destruction de villages et des conditions de vie de la population, les journalistes ont interviewé «quelque part au Proche-Orient» le chef du PKK. Des personnalités américaines comme le congressman John Porter, le secrétaire d'Etat-adjoint chargé de droits de l'homme, John Shattuck, le secrétaire d'Etat adjoint chargé des affaires européennes, John Kornblum y donnent également leurs opinions très critiques vis-à-vis de la politique kurde d'Ankara et dénoncent le massacre de civils kurdes innocents et la destruction de villages kurdes par l'armée turque. M. Shattuck a comparée cette politique turque de terre brûlée à celle pratiquée par Saddam Hussein contre les Kurdes irakiens. «On peut comprendre les sentiments des paysans kurdes dont le village a été évacué et détruit. Ils ne doivent pas être très différents de ceux éprouvés par des victimes kurdes du régime de Saddam Hussein» a notamment déclaré M.Shattuck.

L'ambassadeur turc à Washington et le ministère turc des Affaires étrangères ont réagi vivement en se déclarant «choqué» que des responsables de l'administration américaine aient accepté de participer à une même émission que le chef d'une organisation terroriste et qu'ils y expriment «des vues dangereuses» incriminant la Turquie. Ankara demande officiellement des explications à Washington sur «sa politique réelle» envers la Turquie. Celle-ci reste très vulnérable aux critiques américaines car c'est Washington qui lui fournit près de 85% de ses armes. Les Etats-Unis ont également fait du forcing auprès de leurs alliés européens pour l'entrée de la Turquie dans l'Union douanière. S'ils se mettent à critiquer eux-aussi le régime turc...

MEURTRE D'UN JOURNALISTE, ARRESTATION D'UN ANCIEN DÉPUTÉ


La parenthèse «libérale», ouverte à la veille du vote du Parlement européen sur l'Union douanière semble désormais bien fermée. Les cours de sûreté et les centres des torture de la police ont, repris leur besogne début janvier. Un journaliste turc, Metin Göktepe, du quotidien Evrensel, qui enquêtait sur la mort de 5 détenus lors de l'intervention de la police pour réprimer une mutinerie dans la prison Umraniye d'Istanbul, a été arrêté par la police traîné vers la salle de sports d'Eyup (district d'Istanbul) où il a été battu à mort. La police a interpellé cinq autres journalistes couvrant les mutineries. En 1995, 184 personnes avaient «disparu» durant leur garde-à-vue dans les locaux de la police. L'année nouvelle commence donc avec le meurtre d'un journaliste et Reporters sans Frontières a publié le 9 janvier un communiqué pour condamner vivement ce meurtre.

Le 14 janvier, l'ancien député kurde Abülmelik Firat a été arrêté et incarcéré à Istanbul pour «collaboration avec le PKK». Ce député conservateur élu sur la liste du DYP de M. Demirel était par la suite devenu persona non grata pour avoir signé avec 32 autres députés un appel en faveur d'un règlement par le dialogue du problème kurde. Il avait démissionné de son parti et était resté député non inscrit jusqu'aux élections du 24 décembre dernier. Petit-fils d'un leader kurde pendu par Atatürk, M.Firat, qui est né en déportation et qui a connu 17 ans de bannissement, est une personnalité kurde respectée pour sa vaste culture et sa recherche constante de dialogue. En l'arrêtant quelques jours à peine après la fin de son mandat parlementaire, les autorités turques manifestent une nouvelle fois leur volonté d'étouffer toute voix indépendante et pacifiste kurde.

La répression et la torture restent toujours de mise en Turquie. Dans un arrêt n° 1995/9314 rendu public le 19 janvier la Cour de cassation turque considère comme «légitime» l'usage de la torture par la police «pour faire avouer aux coupables leurs crimes». Ainsi un policier, E.Y. l'un de très rares tortionnaires à être poursuivis en justice, condamné en première instance à 5 ans de prison par la cour d'assises de Salihli pour avoir sévèrement torturé un citoyen turc coupable de jeux illicites d'argent voit sa peine ramenée à 3 mois par la 8ème chambre de la Cour de cassation qui estime legitime le recours à la torture comme moyen d'interrogatoire...

AGGRAVATION DU QUADRILLAGE MILITAIRE DANS LES PROVINCES KURDES


Entrouvert aux observateurs et aux médias durant les deux semaines de la campagne électorale, le Kurdistan turc est placé à nouveau sous une lourde chape de plomb. Des opérations punitives sont organisées contre les villages et les localités ayant voté pour le HADEP. Le 16 janvier, la veille de la cérémonie de la remise du Prix Sakharov au Parlement européen 11 gardiens du village ont été abattus dans la province de Sirnak. La tuerie a été attribuée au PKK qui l'a immédiatement démentie et affirmé sa volonté de respecter le cessez-le-feu unilatéral déclaré par lui. Une enquête indépendante semble indispensable pour faire la lumière mais la région est lourdement quadrillée. Un voyageur arrivé récemment à Paris a subi, entre Silopi, à la frontière irakienne, et Diyarbakir 26 contrôles d'identité et fouilles par les diverses unités militaires et paramilitaires turques saisissant des livres, des lettres, des appareils photos, insultant et maltraitant les voyageurs. 26 contrôles sur 350 km! Plus que les «terroristes», les autorités turques semblent craindre les journalistes et les témoins étrangers. Après les photos parues dans The European et le reportage de CBS, elles semblent être sur les dents.

SUBMERGÉE PAR DES PLAINTES DÉPOSÉE CONTRE LA TURQUIE


Selon les statistiques de la Commission européenne des droits de l'homme portant sur les deux dernières années, la Turquie arrive en tête des 34 pays du Conseil de l'Europe qui violent massivement les droits de l'Homme: 600 plaintes ont été déposées contre celle-ci dont 392 sont en cours d'examen et 208 autres sont dans l'attente d'être examinées. Selon le secrétaire général de la Commission, M. Hans Christian Krüger, la plupart des requêtes provient du Sud-Est de la Turquie (Kurdistan) pour des motifs portant sur des assassinats extra-judiciaires, des évacuations et destructions des villages.